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Pourquoi il ne faut pas avoir peur de l’islam et des banlieues

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Leur message : n’ayez pas peur des jeunes de banlieues, même s’ils sont musulmans, même s’ils sont d’origine arabe, même si leurs mots, leurs musiques ou leurs vêtements dérangent… Médine appartient à la nouvelle génération de rappeurs qui ont le souci d’une vraie réflexion sur la société, Pascal Boniface observe quant à lui les relations internationales, l’évolution des médias et des élites. Ils partagent ici leur vision du vivre ensemble à un moment où les confrontations d’identité apparaissent plus vives, voire violentes.

Sans tabou, ces entretiens évoquent nombre de sujets qui fâchent : stigmatisation des musulmans, islamophobie, antisémitisme, manipulations médiatiques, fragilités et dérives des politiques… Il est urgent d’inviter au débat, pour que justement la brutalité des affrontements n’ait pas le dernier mot.

Extraits de « Don’t panik : N’ayez pas peur ! » de Pascal Boniface et Médine

Pascal Boniface : Mais quel rapport entre le « Don’t Panik » et le « N’ayez pas peur » ? Les catholiques ne faisaient pas peur en 1978. À qui le pape ou les catholiques faisaient-ils peur lorsque Jean Paul II a été élu ?

Médine : Le rapport est davantage dans la symbolique que dans le propos en lui-même. Jean Paul II prononce ces paroles au moment de son intronisation, en pleine guerre froide, dans un temps donc où les tensions idéologiques entre capitalisme et communisme sont à leur paroxysme. Son message est clairement une exhortation à apprendre à se connaître mutuellement et à ne pas céder à l’obscurantisme de la peur de l’autre. Ce qui me surprend, encore aujourd’hui, c’est le caractère intemporel de cette formule, qui est également une expression biblique reprise de nombreuse fois dans les Ecritures. Trente ans plus tard, cette injonction trouve son sens cette fois-ci dans un contexte différent, n’opposant plus deux idéologies mais plutôt deux cultures: le monde oriental et l’occidental. C’est la fameuse théorie du « choc des civilisations » du politologue américain Samuel Huntington.

J’ai découvert ce « N’ayez pas peur » par un ami non musulman d’origine béninoise, qui trouvait que l’état d’esprit que je défendais à travers mon slogan Don’t Panik avait un dénominateur commun avec le texte de Jean Paul II. Ce qui t’amuse dans le fait qu’un musulman ait été sensible à cette parole, me fait aussi sourire. Car me voici maintenant la commentant dans un livre ! Beau pied de nez à ceux qui spéculeraient sur ma fermeture d’esprit ! Quand j’ai lu ce message, bien après avoir érigé Don’t Panik en slogan, j’ai compris que le cri de ralliement qui est le mien aujourd’hui avait été celui de croyants d’une autre confession trente ans auparavant et que les questions centrales d’identité, de discrimination et d’économie continuaient à être posées, dans un contexte différent.

Pascal Boniface : Avec ce Don’t Panik, tu passes du mode de la provocation, comme dans le titre Jihad, au clin d’œil. Tu as même fait imprimer un tee-shirt sur lequel on peut lire : I’m Muslim Don’t Panik, et dont tu as dit qu’il s’inspirait de James Brown déclarant : I am Black, I am proud of it, une revendication en soi. Mais toi, tu te situes plutôt dans le registre de l’humour parce que Don’t Panik apparaît très allusif et plutôt drôle. Et donc, tu fais des t-shirts très peu chers pour dédramatiser finalement les tensions. Une manière de dire, au fond : « Restons calmes, tout ceci n’est quand même pas terrorisant.»

Médine : Dédramatiser a toujours été mon intention première. Il est vrai que la provocation est très présente dans mes albums, et peut parfois déclencher l’inverse de l’effet escompté. Il faut savoir que la provocation n’est qu’une méthode, une stratégie qui utilise des codes et des signaux parfois subversifs, afin d’amener au message principal. Ma carrière est ponctuée de réactions en tous genres. J’ai commencé par évoquer les sujets qui provoquaient beaucoup de frustration chez moi, chez mes concitoyens issus des quartiers et chez mes coreligionnaires. Mon travail, au départ, a donc été perçu de façon assez « réac ».

Au fur et à mesure de mes albums, de mes tournées et donc de mes rencontres, je me suis davantage tourné vers les problèmes qui engendraient des situations de peur. J’en suis arrivé, après des centaines de conversation avec mes amis Alassane et Proof, à orienter mon discours vers la dédramatisation satirique plus que vers la provocation. Je crois que tendre intelligemment le miroir à cette société aura plus d’effet que de le briser en signe de révolte. Don’t Panik, c’est de l’ironie pour celui qui a un esprit d’ouverture et qui comprend le second degré. Ce slogan prend son sens puisqu’il est prononcé par quelqu’un qui incarne physiquement tous les fantasmes de la France. Je suis rappeur, banlieusard, musulman, barbu, issu de l’immigration algérienne… Passer de la provocation à la dédramatisation satirique n’a qu’un but : rassembler.

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