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Quand la crise à l’UMP alimente le sentiment du «tous pourris»

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Dimanche 2 décembre, Jean-François Copé s’est exprimé à Nancy devant environ 400 militants. Le président déclaré de l’UMP a affirmé sa volonté d’organiser un référendum en janvier 2013 auprès des adhérents du parti, afin de décider de l’organisation d’un nouveau scrutin. Jean-François Copé s’est également dit prêt à rencontrer François Fillon.

Le divorce est-il consommé entre Jean-François Copé et François Fillon ?

Christian Delporte : Entre Copé et Fillon, certainement et, quel que soit le vainqueur de la crise, chacun s’évertuera à barrer la route de la présidentielle de 2017 à l’autre. Entre copéistes et fillonistes, c’est autre chose. Les états-majors n’ont pas nécessairement le même intérêt que les élus de terrain. D’abord, celui qui aura le pouvoir proclamera la « paix des braves » et cherchera à attirer les partisans du vaincu en leur offrant breloques et strapontins. Quelques spectaculaires retournements de vestes ne sont pas à exclure.

Ensuite, les élus pousseront au rassemblement de la famille pour conserver leur siège, car de multiples échéances électorales se profilent : municipales de 2014, régionales de 2015, etc. Le vaincu risque d’être vite isolé, sacrifié sur l’autel du réalisme électoral. Mais, pour l’heure, la crise demeure.

Sur quoi repose fondamentalement cet affrontement d’une rare violence ?

Christian Delporte : Les deux hommes n’ont rien de commun. S’ils ont eu très tôt des responsabilités politiques, leurs itinéraires sont très différents. Fillon est le fils d’un notaire de province, admirateur de De Gaulle, devenu attaché parlementaire après des études de droit au Mans. Il a gravi un à un les échelons, conquis sur le terrain. Fillon, c’est l’homme pour qui rien n’était gagné d’avance.

Copé, au contraire, est l’homme à qui tout était promis. Fils de chirurgien parisien, il fait Sciences po, l’Ena, part étudier aux États-Unis, vient à la politique en intégrant la cellule de réflexion économique de Chirac, animée par Sarkozy. Il entre en politique par le haut, sans référence gaulliste, avec des idées libérales, loin de l’étatisme social d’un Fillon, proche de Séguin.

Aujourd’hui, Fillon et Copé incarnent deux façons d’envisager la politique et deux façons de concevoir la droite. Par ailleurs, Fillon (qui estime que Copé n’a pas l’étoffe d’un homme d’État) a 58 ans. S’il laisse passer son tour, son avenir présidentiel est définitivement bouché. C’est pourquoi il a décidé de « ne rien lâcher », pour reprendre ses propos.

Pourrait-on assister à une rébellion des militants, pilotée par les non-alignés ?

Christian Delporte : Les non-alignés ont bien essayé de faire bouger les lignes. Après tout, on pourrait imaginer que le futur président de l’UMP, candidat de compromis, sorte de leurs rangs. Mais ils pèsent peu dans le parti, et il y a autant d’ambitions personnelles que de non-alignés (Bertrand, Le Maire, NKM…). Le vrai levier est celui de l’électorat UMP, partagé entre la déception et colère, comme l’indiquait un récent sondage de l’Ifop. En trois semaines, chez les sympathisants UMP, la cote d’avenir de Fillon a chuté de 20 points (70%) et celle de Copé de 34 (42%).

Le risque majeur de la crise n’est pas la fracture au sein de l’UMP que la fracture entre l’UMP et l’électorat de droite. Or, à 80% (selon Opinionway), les sympathisants réclament un nouveau vote immédiat, pas en 2014, comme le propose Copé.

Peut-on imaginer un nouveau vote sans l’accord de Jean-François Copé ?

Christian Delporte : Copé ne veut pas de nouveau vote qui pourrait déboucher sur une défaite. La semaine passée, il a joué la carte du pourrissement et de la lassitude, espérant décourager le camp Fillon et peut-être rallier ses fidèles les plus fragiles. En proposant un vote-plébiscite sur son mandat en 2014, il continue à jouer le pourrissement et la lassitude, mais prend le risque de se bunkériser et de se faire lâcher par ses amis. Car l’impatience va gagner les élus qui, chaque week-end, affrontent la colère des militants et sympathisants.

Rejeter l’échéance en 2014, cela signifie, pour l’UMP, traîner la crise pendant près de deux ans. L’entêtement risque de coûter cher à Copé et de compromettre durablement son image, lui qui vise 2017 : là, il ne faudra pas convaincre 50% des militants, mais 50% des Français. Bien sûr, son intérêt est de repousser le plus loin possible l’échéance du nouveau vote, pour installer sa présidence et en tirer profit. Mais c’est le genre de tactique qui pousse l’UMP dans l’ « irrationnel », pour reprendre le mot qu’on prête à Sarkozy à propos du combat Copé-Fillon.

Quelles sont les motivations qui conduisent Nicolas Sarkozy s’impliquer personnellement et directement dans cette crise ?

Christian Delporte : S’il voulait pouvoir revenir dans le jeu politique, il fallait que le vainqueur l’emporte d’une courte tête, autrement dit qu’aucun leadership ne s’établisse au sein de l’UMP. C’est ce qui l’a poussé, par de multiples signes, à montrer sa préférence pour Copé, annoncé battu par Fillon. Mais, pour espérer revenir, il lui faut incarner le sauveur d’une famille unie. Le résultat du vote va au-delà de son calcul, car le risque est celui de l’implosion.

Sa stratégie n’est pas de redresser lui-même l’UMP, mais de jaillir au dernier moment, en 2016. Comment pourrait-il le faire si le parti est en ruines ? Sarkozy ne reviendra qu’à une seule condition : être sûr de l’emporter en 2017. Or, aujourd’hui, devant l’impasse, il est contraint de se dévoiler, ce qu’il n’avait pas du tout prévu.

A-t-il enfreint les principes du droit de réserve auquel est soumis tout membre du Conseil constitutionnel ?

Christian Delporte : L’obligation de réserve fait débat. Strictement, un membre du Conseil constitutionnel ne doit « pas exprimer de position politique sur des sujets ayant fait ou pouvant faire l’objet d’une décision du Conseil ». Mais, par ailleurs, on attend de lui une absolue impartialité. Giscard d’Estaing a attendu 2004 pour intégrer le Conseil constitutionnel, soit le moment où il s’est retiré de la vie politique (après sa défaite aux régionales).

Or il avait suscité beaucoup d’émotion en 2007 en se prononçant pour Sarkozy. Jusqu’à présent, Nicolas Sarkozy a joué sur les ambiguïtés réglementaires, en ne s’exprimant pas publiquement. Plus globalement, il faut s’interroger sur la composition et le mode de nomination du conseil. Tant que les anciens présidents y siégeront, tant que les membres seront directement nommés par le pouvoir politique, la suspicion sur les « Sages » existera.

Ne prend-il pas trop de risques à intervenir ?

Christian Delporte : En intervenant, il réduit la distance nécessaire qui sied à l’homme du recours et au sauveur de la droite en 2017. Le risque immédiat est celui de l’impuissance qui compromet son image. En rejetant finalement le référendum à l’UMP, Copé a montré son indépendance à l’égard de Sarkozy, lui signifiant aussi que lui, président du parti, il ne le laisserait pas revenir si facilement dans le jeu. Un avertissement fort.

À qui profite cette crise ?

Christian Delporte : Superficiellement, à beaucoup de monde. À François Hollande, qui n’a plus en face de lui qu’une opposition aphone. À Marine Le Pen et à Jean-Louis Borloo qui peuvent espérer attirer les déçus de l’UMP. À Nicolas Sarkozy, dont la popularité a grimpé en flèche ces dernières semaines. Mais qu’en restera-t-il dans quatre ans ? Plus profondément, elle profite au rejet du politique et des partis de gouvernement.

Pour qu’une démocratie fonctionne, il faut que l’opposition joue son rôle et représente une alternative au pouvoir en place. Les socialistes auraient tort de se réjouir. Le sentiment du « tous pourris » qui atteint l’UMP les concerne aussi, car, aux yeux de l’opinion, ils relèvent d’un même système. Bref, ce type de crise est d’abord préjudiciable à la démocratie.

Quel est l’avenir de l’UMP ?

Christian Delporte : D’abord, on n’est pas sorti de la crise, et nul ne sait quand et dans quel état elle s’en extraira. Mais l’avenir, ce sera une longue et rude reconstruction. Les intérêts communs, électoraux ou financiers, devraient empêcher toute tentation d’éclatement structurel. Cependant, les rancœurs de 2012 joueront dans la perspective de 2017. Le vainqueur sera à la merci du vaincu, attentif à chacun de ses faux pas. Si le résultat de 2014 n’est pas à la hauteur des espoirs affichés, la crise reprendra.

Au passage, notons le calcul fait par Copé en avançant son plébiscite de 2014 : il le situe après les municipales (qu’il pense gagner) et propose que les éventuels candidats à la présidence de l’UMP ne se présentent pas aux primaires (on en conclut que, tout auréolé de son succès, il ne serait pas candidat et se préparerait désormais à la présidentielle).

Cela dit, des questions lancinantes risquent de compromettre l’harmonie au sein de l’UMP, à commencer par l’attitude à l’égard du FN. Mais il y a plus important : si l’UMP veut survivre, elle doit tourner la page, non pas du combat Fillon-Copé, mais des années Sarkozy. On ne peut pas se projeter dans l’avenir avec la seule idée qu’on ne s’est trompé sur rien et que Hollande a volé la victoire en 2012.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

> Lire l’analyse de Philippe Braud sur le sujet

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