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Refondation de l’école: «Le projet de Vincent Peillon est ambitieux»

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Vincent Peillon, ministre de l’Éducation, a confirmé la promesse du candidat François Hollande, celle de créer 60 000 postes sur cinq ans, et ce, en compensation aux 80 000 supprimés pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce projet, qui devait être présenté au Parlement fin novembre 2012, a été adopté ce 25 juin 2013. 

Les axes majeurs sont clairement établis : retour à la semaine de 4,5 jours pour le primaire ; la durée de 36 semaines reste inchangée pour 2013, mais « pourra évoluer dans les prochaines années » ; une langue vivante dès le CP et scolarisation des moins de 3 ans encouragée ; morale laïque enseignée à partir de la sixième, mais pas avant 2015 ; création des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) dès la rentrée 2013. D’autres ambitions sont affichées : réduction du redoublement et création d’un service public de l’enseignement numérique.

Laurent Gutierrez, maître de conférences en sciences de l’éducation, explique en quoi cette refondation de l’école est indispensable.

JOL Press : Qu’est-ce qui vous paraît le plus important dans le projet de Vincent Peillon ?
 

Laurent Gutierrez : La question des rythmes scolaires est essentielle dans ce projet de réforme, dans le sens où la réponse apportée permettra ou non de redessiner les contours d’une scolarité adaptée aux différents âges des élèves qui fréquentent l’école de la République. De ce point de vue, définir les « besoins d’école » selon les besoins des élèves à chacune des étapes de leur scolarité apparaît comme le premier et, par conséquent, le plus important des défis à relever par le nouveau ministre.

JOL Press : Ce projet dans son ensemble vous paraît-il adapté aux besoins éducatifs actuels ?
 

Laurent Gutierrez : Le projet est ambitieux et il doit l’être. Les pays industrialisés comme les pays en voie de développement qui ont investi sur l’éducation ces dernières décennies ont vu leur indice de développement progresser. Les axes développés dans le projet de loi répondent en grande partie à un diagnostique partagé par les acteurs de l’école. Reste maintenant à observer si cette politique se dotera des moyens de ses ambitions.

JOL Press : Le terme de « refondation » vous paraît-il approprié ou usurpé ? 
 

Laurent Gutierrez : Ce terme est naturellement employé à dessein. Il laisse penser que les priorités seraient les fondations de l’édifice scolaire. C’est la raison pour laquelle l’école primaire fait l’objet de toutes les attentions. Il n’en demeure pas moins que pour répondre à l’ensemble des acteurs de la base jusqu’au sommet il faut être en mesure de proposer une ligne directrice forte et cohérente. L’histoire des réformes de l’enseignement nous apprend, comme dans d’autres domaines, que l’on ne fait pas du neuf avec du vieux. Dès lors, le risque de passer à côté d’une promesse est fort en employant un terme comme celui de refondation.

JOL Press : Réformer l’Éducation nationale est souvent difficile et périlleux politiquement. Comment jugez-vous la manière dont s’y prend Vincent Peillon ?
 

Laurent Gutierrez : Le discours compte autant que la méthode en politique. Le ministre en est parfaitement conscient. Il connaît aussi le monde enseignant et maîtrise parfaitement sa communication. Les moments les plus délicats restent à venir toutefois. Les arbitrages à venir sur les ESPE – même s’ils sont partagés avec les recteurs – sont d’ores et déjà des échéances attendues. Les choix à adopter sur certaines orientations pédagogiques ne doivent pas être laissés en totalité à la libre appréciation du corps des enseignants. Je pense ici aux enjeux autour de l’évaluation en primaire qui doit faire l’objet d’un cadre des plus explicites afin d’éviter toute dérive sur ce plan.

JOL Press : Comment est accueillie cette réforme par le personnel éducatif ?
 

Laurent Gutierrez : Le corps des enseignants est accoutumé au changement de ministres. Cela fait presque partie de leur culture professionnelle. Pour preuve, un enseignant qui a débuté sa carrière en 1981, a vu passer treize ministres et autant de promesses de réformes de l’enseignement. Force est de constater, aujourd’hui, que les réformes n’ont été que des réformettes qui ont conduit les personnels enseignants à douter des perspectives à long terme des mesures préconisées par le ministre nouvellement nommé.

JOL Press : Quelle serait, selon vous, la réforme prioritaire ?
 

Laurent Gutierrez : La formation des enseignants demeure le chantier prioritaire dans cette refondation. Les enjeux qui y sont liés sont importants, pour ne pas dire décisifs. La question d’un pré-recrutement me semble excellente, sous certaines conditions d’accompagnement dans le cursus universitaire puis dans les premières années du métier. Raison pour laquelle je suis à titre personnel pour la suppression du concours que viendrait remplacer – comme cela se fait en médecine – un cursus de formation exigeant mêlant les compétences disciplinaires et pédagogiques. Pour diverses raisons, ce choix ne peut malheureusement pas être celui du ministre. Je le regrette. Le manque criant de candidats dans certaines disciplines réduit l’application d’une telle perspective qui s’inscrirait, selon moi, dans ce que l’on pourrait appeler dès lors une véritable refondation de l’école.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Laurent Gutierrez est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Rouen au Laboratoire Civiic. Il est ausssi rédacteur en chef de la revue Recherches et Éducations.

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