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Refondation de l’école: priorité à la formation des enseignants

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Après cinq mois de travail, le projet de loi sur la refondation de l’école est prêt. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation, confirme la promesse du candidat François Hollande, celle de créer 60 000 postes sur cinq ans, et ce, en compensation aux 80 000 supprimés pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce projet, qui devait être présenté au Parlement fin novembre, le sera finalement début 2013, après avoir été adopté en Conseil des ministres fin janvier. 

Les axes majeurs sont clairement établis : retour à la semaine de 4,5 jours pour le primaire ; la durée de 36 semaines reste inchangée pour 2013, mais « pourra évoluer dans les prochaines années » ; une langue vivante dès le CP et scolarisation des moins de 3 ans encouragée ; morale laïque enseignée à partir de la sixième, mais pas avant 2015 ; création des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) dès la rentrée 2013. D’autres ambitions sont affichées : réduction du redoublement et création d’un service public de l’enseignement numérique.

Francois Augé, professeur de français depuis 1974 et formateur dans une association qui lutte contre l’illettrisme, explique pourquoi il était grand temps de refonder l’école.

JOL Press : Le projet de loi de Vincent Peillon est-il à la hauteur de son intitulé ? S’agit-il vraiment d’une refondation ?

François Augé : Il y a beaucoup d’éléments positifs dans ce projet de loi. C’est un projet cohérant, surtout en matière de formation des enseignants. C’était la moindre des choses. Jusqu’alors, nous étions le seul pays où on pouvait enseigner sans formation. C’est ahurissant. De nombreux jeunes professeurs ont démissionné car ils ne tenaient pas le choc. La philosophie de ce projet de loi me semble donc bonne car elle souhaite encourager les élèves à se réconcilier avec l’école.

JOL Press : C’est donc une réforme utile ?

François Augé : Il ne fallait pas reformer le système éducatif mais le refonder, car les fondations du système étaient vacillantes. C’est donc une bonne chose. J’ose espérer que la création de nouveaux postes va permettre de travailler dans de meilleures conditions. En supprimant par dizaines de milliers des postes dans l’Éducation nationale, le gouvernement précédent nous a fait travailler à flux tendu. La situation était d’ailleurs pire au primaire qu’au secondaire. L’année dernière, un principal de collège est allé jusqu’à passer une annonce sur leboncoin.fr pour trouver un professeur. Ce n’était plus possible.

Ce qu’il y a de très positif dans ce projet de loi, c’est la volonté de redéfinir l’école de la République. Nous assistions au découpage de l’école au bénéfice d’une gestion privée et concurrentielle. Vincent Peillon nous donne un mot clé : l’égalité des chances. Les connaissances doivent être accessibles à tous. Ce n’est pas normal que 20% des élèves arrivent au collège avec des difficultés importantes. Comment ne pas les dégoûter ?

Ce qu’il faut aussi, c’est redorer l’image de l’enseignant. Lorsque Nicolas Sarkozy, lors de la visite d’une usine dans le Nord, déclare : « Vous, au moins, vous ne faites pas la grève comme les enseignants », cela donne une image désastreuse de la profession. C’est la première fois depuis le début de la Ve République que la profession a été à ce point stigmatisée. Or le ministre de l’Éducation actuel veut briser ces préjugés en disant que l’éducation est un pilier de la France, et c’est heureux.

JOL Press : Cette loi répond-elle aux besoins constatés sur le terrain ?

François Augé : Globalement oui. Prenons l’exemple de l’enseignement de la morale laïque. C’est un concept qui ne me choque pas du tout si on ne lui donne pas un sens idéologique. On constate tellement d’incivilités dans les classes et il faut que ça change. La morale laïque ne devrait pas être un enseignement en tant que tel mais une philosophie transversale à tout l’établissement. L’instauration d’un « vivre ensemble ».

Il est indispensable en outre de rétablir la laïcité à l’école. Beaucoup pensent que la laïcité est une force d’exclusion, mais c’est tout le contraire. Nous assistons à un développement du communautarisme dans les écoles, la laïcité est indéniablement la solution pour éviter ce replis sur soi. La morale peut servir de fil rouge qui pourrait éviter bien des conflits.

JOL Press : Ce projet de loi répond-il aux principales revendications des professeurs ?

François Augé : La plupart des revendications ont été prises en compte. Mais s’il reste un domaine qui ne semble pas entendu, c’est bien le problème du salaire des enseignants qui correspond à 30, 40 voire 50% du salaire moyen par rapport au reste de l’Europe. Dans les années 1970, il était d’environ 2,1 fois le Smic, aujourd’hui, il est descendu à environ 1,2 fois le Smic.

Un jeune professeur, qui est donc d’un niveau Bac+5, ne pourra pas espérer acheter une voiture d’occasion et payer son loyer dans une grande ville. Son salaire ne le lui permet pas. Il me semblerait donc décent que l’on revalorise le salaire des enseignants. Nous ne sommes certes pas les plus à plaindre, mais on ne peut pas éviter le sujet en permanence.

JOL Press : Quel est le principal mal dont souffre l’Éducation nationale ?

François Augé : Le corps enseignant souffre d’un problème de représentation et de confiance. Dans la tête des élèves et des parents, le maître doit ressembler à l’instituteur de la IIIe République. C’est un bon modèle, mais aujourd’hui la réalité n’est plus la même. À l’époque, seuls 50% des élèves se présentaient au certificat d’études. Le système était beaucoup plus sélectif.

Le second mal dont souffre l’Éducation nationale, c’est la problématique de la réussite. 150 000 élèves par an sorte du système éducatif sans diplôme. L’école doit faire en sorte que l’élève soit prêt à affronter la vie professionnelle. C’est terrible une société avec tant d’illettrés. La France doit rassembler autour de son école. L’école doit être un lieu où on vit ensemble, où l’on apprend et qui prépare à la vie professionnelle future en donnant un véritable bagage de culture générale.

JOL Press : Que pensez-vous de l’instauration d’un service public de l’enseignement numérique ?

François Augé : C’est une bonne chose. Il faut se servir des nouvelles technologies mises à notre disposition, mais attention à ne pas faire de cet usage un asservissement. L’enseignement, c’est d’abord la rencontre entre un maître et ses élèves. Le professeur doit donner envie d’apprendre et ne doit pas être robotisé. Nous avons tous eu un professeur qui nous a marqués ou qui nous a donné l’envie du savoir. L’humain est indispensable. C’est par là que passe la confiance.

JOL Press : Si vous étiez ministre de l’Éducation, quelle serait votre priorité ?

François Augé : Ce serait la formation des enseignants. Vincent Peillon l’a mise dans son projet de loi. Nous verrons ce que cela donnera sur le terrain. 

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

François Augé enseigne le français depuis 1974 à Blois. Il a publié chez L’Harmattan L’école est finie en 2011 et L’école de A à Z – Petit Dictionnaire Personnel en 2012. Il est aussi formateur dans une association qui œuvre pour l’accompagnement scolaire ainsi que pour la lutte contre l’illettrisme.

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