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Solvabilité II: quel impact sur le rendement de l’assurance-vie?

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Solvabilité II (Solvency II en anglais) est un projet de réforme européenne de la réglementation prudentielle s’appliquant au secteur de l’assurance.

Dans la lignée de Bâle II pour les banques, son objectif est d’encourager les organismes à mieux connaître et à évaluer leurs risques notamment en adaptant les exigences réglementaires aux risques que les entreprises encourent dans leur activité. 

Une tribune de Gérard Bekerman, président de l’AFER, l’Association Française d’Epargne et de Retraite.

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Solvabilité II, prévu pour janvier 2014, sauf contre-ordre, n’est pavée que de bonnes intentions : 
 

·         réduction des risques par le besoin d’augmentation des fonds propres, ce qui est favorable au respect des engagements à long terme à l’égard des 15 millions de Français qui détiennent un contrat d’assurance vie ;

·         meilleure visibilité sur les actifs en portefeuille ;

·         gestion plus efficiente de l’aléa, tant sur les engagements que sur les actifs ;

·         réduction des distorsions de concurrence entre réglementations nationales ;

·         corrélation plus cohérente entre actifs et passifs ;

·         meilleure intégration de l’exposition au risque (contrepartie, souscription, gestion, liquidité, marché…) ;

·         liberté et responsabilité accrues pour les compagnies ;

·         fin du monde interne des normes où la règle en valeur historique sera remplacée par un nouveau mode d’évaluation en valeur de marché (mais source d’interrogations pour le traitement des dérivés).

Sur le principe, cette préoccupation est favorable à la sauvegarde des intérêts des épargnants. Quel est son impact sur le rendement de l’assurance-vie ?
L’obligation de moyens, c’est bien. L’obligation de résultats, aussi. L’assureur va devoir regarder de plus près ce qui se passe chez le gérant et le gérant devra mieux connaître les passifs.

Le bien des assurés est étroitement dépendant de la solidité des assureurs. Mais plus de sécurité a un coût. Ce coût va bien au-delà de ce que les assureurs ont mobilisé comme ressources humaines et financières pour que leur gestion et leur contrôle des risques soient en place le moment venu. Tous ne se pressent pas au même rythme, surtout outre-Rhin où l’on attend sagement.

L’impact pourrait être négatif sur le rendement car les assureurs devront d’une part financer ce besoin en fonds propres et, d’autre part, sécuriser leurs placements.

Sous solvabilité I, il faut au minimum 4 euros de capital pour 100 euros de passif, quelle que soit l’allocation d’actifs.

Sous solvabilité II, chaque risque à l’actif aura un coût. Plus l’allocation est dynamique, plus le besoin en fonds propres sera élevé. La simple détention de 10% d’actions, par exemple, pourrait  coûter environ 4 euros de fonds propres auxquels il conviendra d’ajouter le besoin en capital afférant à tous les autres types de risques : risque de crédit, risque de change, risque de taux, multipliant ainsi le besoin en fonds propres par deux ou par trois. Certes, le choc sur les actions sera atténué (si on est en pertes) par le fait qu’on donnera moins de participations bénéficiaires et par la diversification des actifs. Attendons les modalités d’application définitives de la directive.

Solvabilité II : un avantage compétitif pour les États

Une chose est certaine. Solvabilité II a été conçue pour apporter la sécurité à l’assuré, mais une sécurité à quel prix ?
Le coût en capital de la détention d’une dette d’État deviendrait nul pour le risque de signature et faible pour le risque de taux.
On va inévitablement entrer dans une ère d’avantages compétitifs.
Qui seront les gagnants ? Qui seront les perdants ?
L’assureur est incité à acheter de la dette publique ;  le besoin est créé et les États peuvent ainsi se financer à de meilleures conditions. Mais l’État ne peut pas tout demander et avoir tous les avantages. L’État n’a pas vocation à prendre pour lui, tout seul, les bénéfices d’une épargne longue. Il doit penser à ses citoyens, aux entreprises. Car elles aussi ont des besoins de financement. D’une certaine manière, et de ce point de vue, peut-on dire que la réglementation a été faite par les États pour les États ?  En tout cas, Solvabilité II ne leur est pas défavorable.
Je ne suis pas sûr que les investisseurs dans le monde seront aussi bien logés. Quel intérêt auront-ils à effectuer longtemps des placements  qui se sont révélés être porteurs de risques alors même que les titres d’État sont rémunérés à un taux sans risque ?  Car ne nous méprenons pas. Il n’existe pas, en ce moment, de placement sans risque. Comment se fait-il qu’à un stade si aigu de la crise de l’euro, le coût en capital de la détention de la dette grecque, portugaise ou irlandaise soit nul ?

Ces taux qui ruinent les épargnants…

On ne peut que se féliciter des taux longs allemands à 1% et français à 2%. Nous sommes tous de bons citoyens. Mais il faut comprendre que ces taux ne traduisent pas un équilibre de marché. Ils révèlent un équilibre contraint. Ce sont des taux politiques. Ils résultent, pour un temps, d’achats massifs de titres longs par le régulateur et d’inondations des marchés par ce même régulateur. Disons le franchement, de tels taux ruinent les épargnants. Surtout les épargnants, le plus souvent modestes, qui rachètent leurs contrats, laissant aux autres, en général des épargnants plus fortunés, le bénéfice des plus values latentes.

L’aversion au risque et des taux directeurs historiquement bas, conséquences des dettes et des déficits publics, confortent les États qui peuvent imposer des rendements réels négatifs. Ce contexte traduit un véritable processus de transfert de capital du secteur privé, entreprises et investisseurs, vers les États. On a bien connu de tels processus dans l’histoire financière. C’est le point de départ d’une répression financière, source de richesse étatique et d’appauvrissement des classes moyennes, les plus  exposées.

Un prix Nobel d’économie, Friedrich von Hayek, poussait jadis la réflexion jusqu’à évoquer l’existence d’un conflit d’intérêt étatique, un conflit d’intérêt entre l’État émetteur et l’État régulateur, dès lors qu’il place sa dette tout en définissant lui-même une norme qu’il s’appliquera.

Les conséquences seront contre-productives, à la fois pour les souscripteurs qui iront vers les placements moins rémunérés et pour les entreprises qui ne trouveront pas facilement les financements de leur développement.

Faut-il réguler le régulateur ?

Certes, ce n’est probablement pas l’intention des États, mais telle pourrait bien en être la conséquence. Quand un État n’a pas la sagesse de s’autoréguler, ce sont les marchés qui redoublent d’excès pour imposer leur sanction.
Je ne sais s’il faut « réguler le régulateur », mais s’il ne le fait pas lui-même, les marchés s’en chargeront, comme l’expérience nous l’enseigne, hier aux couleurs de la Grèce, aujourd’hui aux couleurs de l’Espagne, et demain ?

Le processus d’intégration est allé trop vite et trop loin. Nos pilotes disposaient jadis, avant 2000, de deux réacteurs, la monnaie et le budget. Les difficultés étaient résolues par la flexibilité des politiques monétaires. Ils en ont perdu un, la monnaie, et l’autre est paralysé. Il faut donc aujourd’hui piloter à vue et dans des zones de forte turbulence. Les arbitrages ne pouvant plus se faire par la monnaie, dont on n’a plus  vraiment l’initiative, ni par le budget qui se réduit à une politique fiscale dont tout le monde connaît l’inertie, ils se font aujourd’hui par la voie politique, par la rue, les mouvements populaires et les caprices de la démocratie qui renversent les majorités au pouvoir dans l’espoir de connaître du nouveau et des jours meilleurs. Ce sont essentiellement des mouvements d’hostilité, rarement des adhésions de conviction.

Alors espérons, au moins, que Solvabilité II renforcera la solidité des assureurs qui, ne l’oublions pas, garantissent les fonds en euro

 

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