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Anne Coffinier: «L’école doit former et non formater les esprits»

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Alors que le secrétaire général de l’enseignement catholique avait appelé le mois dernier les établissements religieux à organiser des débats sur le mariage homosexuel, Vincent Peillon a écrit vendredi 4 janvier aux recteurs pour les appeler à « la plus grande vigilance » concernant ces débats afin qu’ils n’alimentent pas l’homophobie. Le secrétaire général de l’enseignement catholique, qui avait lancé l’idée des débats, s’est immédiatement justifié, expliquant vouloir « éclairer les consciences ».

Pour le ministre, les discussions sur le mariage gay ne doivent pas se traduire en « rejet et stigmatisation ». Ainsi, « je vous appelle à la plus grande vigilance à l’égard des conditions du débat légitime qui entoure le mariage pour tous […] à la retenue et à la neutralité au sein de tous les établissements afin que l’école ne fasse l’objet d’aucune instrumentalisation », a insisté le ministre.

Le secrétaire général de l’enseignement catholique est-il allé trop loin ? Le ministre Vincent Peillon est-il dans son rôle en rappelant la neutralité ? Cette neutralité, sur des sujets aussi brûlants, est-elle possible ?

Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, explique que le but de l’école est, avant tout, de former les esprits.

JOL Press : Les questions sociétales et politiques ont-elles leur place à l’école?
 

Anne Coffinier : À travers l’éducation civique ainsi que l’étude de la littérature, de l’histoire et de la philosophie, les questions sociétales et politiques sont abordées de manière habituelle par l’institution scolaire. Ce n’est pas nouveau, cela remonte à l’Antiquité. En pratique, pour des questions de maturité évidente, ces thèmes sont surtout traités en fin de collège et au lycée. Lorsque vous étudiez Tartuffe de Molière ou les Pensées de Pascal en français, lorsque vous étudiez en philosophie « Dieu existe-t-il ? »…, il est évident que vous ne pouvez et ne devez pas mettre de côté la dimension politique de ces textes ou de cette question philosophique.

En revanche, traditionnellement, il s’agissait d’étudier des débats situés dans le passé, dans un cadre historique bien précis, non pas de débattre sur des questions contemporaines. Ce n’est pas par goût de l’archaïsme mais parce que cette mise à distance des questions politiques est des plus utiles : elle évite que la réflexion soit polluée par les passions, elle permet de fonder le débat sur la raison, non sur l’affect.

Aujourd’hui, la raison est la grande perdante de la propension actuelle à vouloir débattre de sujets d’hyper-actualité. Ainsi, si l’on est particulièrement attaché à la formation de l’esprit critique et du discernement des élèves, il faut se garder de pousser les élèves à s’exprimer publiquement sur des sujets brûlants et leur demander plutôt de former leur esprit critique sur des questions morales classiques qui ne nécessitent aucun engagement ou prise de parti personnels. Ce qui importe, c’est d’habituer les élèves à penser, c’est-à-dire à poser les problèmes rigoureusement, à peser le pour et le contre, à comprendre pourquoi et comment un problème politique ou moral s’est posé dans l’histoire et comment il a pu se poser différemment dans le temps.

JOL Press : À partir de quel âge, ou quelle classe, un enseignant peut-il ou doit-il inviter ses élèves à débattre de l’actualité ?
 

Anne Coffinier : Le but de l’école est avant tout de former l’esprit, la capacité logique et critique des élèves. Elle n’est pas de les convaincre de telle ou telle option philosophique ou éthique précise, si l’on met de côté l’enseignement des règles fondamentales nécessaires à la vie en société, qui font l’objet d’un consensus chez les adultes. Il n’y a donc pas d’urgence à débattre de l’actualité pour des enfants et même des adolescents.

Pourquoi ne pas leur laisser le temps de réfléchir tranquillement à ces questions sans avoir à se prononcer publiquement, dans le cadre de débats cornaqués par les professeurs sous le regard de leurs camarades ? Ces pratiques de débats publics chez des êtres dont la conscience morale et politique est précisément en cours de formation me semblent inutiles et dangereuses dans les écoles primaires et secondaires. Elles ne peuvent que conduire à une manipulation des enfants.

Pour débattre valablement d’un sujet, il faut déjà maîtriser des connaissances solides dans le domaine concerné. Sinon, on ne peut avoir qu’une parodie de débat politiquement dangereuse et pédagogiquement vaine. Ainsi, à quoi bon débattre sur le mariage homosexuel lorsqu’on n’a pas assimilé ce qu’est une institution, quelles sont les différentes manières de définir le rôle de l’État dans le domaine moral, bref lorsqu’on manque de culture juridique et philosophique ?

JOL Press : Comment garantir la neutralité du débat ?
 

Anne Coffinier : La neutralité du débat est radicalement impossible dans le cas présent qui nous intéresse, celui relatif au projet de loi sur le mariage homosexuel, car le gouvernement lui-même dit haut et fort qu’il entend orienter le débat. Vincent Peillon a en effet adressé une lettre aux recteurs le 4 janvier dernier où il affirme sa volonté de révolutionner la société en se servant de l’école : « Le gouvernement s’est engagé  à s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités, notamment par le biais d’une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles », affirme-t-il en début de lettre.  On remarque les termes : « s’appuyer sur la jeunesse » pour « changer les mentalités ». Qui ? Le gouvernement.

En réalité c’est donc lui qui choisit les orientations. Ce n’est plus la famille, l’école et la société adulte qui éduquent la jeunesse. Contrairement à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, c’est donc désormais l’État en France qui se pose en seul détenteur de la vérité. C’est parfaitement inadmissible dans une société libre. Lorsque le ministre Vincent Peillon s’appuie sur la jeunesse comme moteur révolutionnaire, renouant avec l’esprit de 1968, le gouvernement sort à l’évidence de son rôle légitime : il instrumentalise la jeunesse à des fins politiques, pour changer les représentations sexuelles et morales dominantes. Il abandonne clairement l’exigence de neutralité, qui constitue pourtant l’obligation première de l’Éducation nationale.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’école. Reconnue d’utilité publique en 2008, la fondation attribue des aides financières à des écoles indépendantes. Elle coordonne l’action de Créer son école, association apportant une aide technique et juridique aux parents et aux professeurs créateurs d’écoles, ainsi qu’à l’Institut libre de formation des maîtres (ILFM).

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