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«Deux ans après la chute de Ben Ali, la Tunisie est sur le bon chemin»

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Deux ans de construction pour la Tunisie révolutionnaire. Un anniversaire marqué par le souvenir d’un Ben Ali toujours réfugié en Arabie Saoudite.

Dans cette Tunisie nouvellement démocratique, plusieurs forces s’opposent et les jeux d’équilibre au pouvoir sont subtils.

Entre islamisme radical, laïcité, féminisme et liberté d’expression, la Tunisie se cherche une identité.

Pour Françoise Leys, responsable de la coordination Tunisie pour Amnesty International France, la Tunisie est un bon élève du Printemps arabe.

Il y a deux ans, le révolution de jasmin faisait tomber le régime de Ben Ali et conduisait une nouvelle classe politique à la tête de la Tunisie. Parmi les membres de cette classe politique, de nombreux islamistes ont également fait leur entrée au gouvernement. Peut-on parler d’échec pour la démocratie ?

Françoise LeysCe n’est pas un échec pour la démocratie puisque les islamistes ne sont pas les seuls au gouvernement. Ils travaillent aux côtés de deux partis laïcs, et le président Moncef Marzouki est un ancien fervent opposant de Ben Ali ainsi que le membre d’un parti laïc de centre gauche qui n’a rien à voir avec Ennahda.

Si les islamistes d’Ennahda sont nombreux, il y a donc une forme d’équilibre au pouvoir.

Une nouvelle constitution est actuellement élaborée et devrait normalement être votée d’ici le 13 février prochain.

Sur de nombreux points, les islamistes du gouvernement ont été obligés de reculer. Ils ont voulu inscrire la charia dans la loi fondamentale mais ont été obligés de reculer.

Sur la question des femmes, notamment concernant le récent débat sur leur statut, les islamistes ont dû abandonner le projet d’inscrire la femme comme complémentaire de l’homme plutôt qu’égale.

L’influence d’autres éléments laïcs obligent les islamistes à revoir leurs positions.

Pour l’instant, la démocratie semble s’installer en Tunisie. Les élections ont été démocratiques, la communauté internationale l’a reconnu, et de nouvelles élections devront se tenir d’ici juin prochain.

Qu’en est-il du rôle des salafistes dans la société ?

Françoise LeysLes mouvements salafistes sont un problème pour la société. Ils sont jeunes et contrairement à la situation en Égypte, ils ne sont pas représentés au sein de la vie politique.

Ces jeunes salafistes participent à de nombreuses et violentes manifestations et cette situation est effectivement inquiétante.

De temps en temps, les forces de l’ordre procèdent à des arrestations, mais face à ce mouvement, le gouvernement n’est pas encore assez ferme. La justice agit, mais peu, et elle n’est pas assez indépendante du régime. Les processus de normalisation après les révolutions sont toujours un peu longs.

La situation des femmes en Tunisie a été très décriée, notamment en raison des tentatives islamistes pour inscrire la charia dans la constitution. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Françoise Leys : Du temps de Ben Ali, les femmes n’avaient pas le droit de porter le foulard. Les forces de sécurité étaient autorisées à le leur retirer dans les endroits publics. C’était une forme de restriction de la liberté d’expression.

Aujourd’hui, le voile et le niqab sont autorisés et portés par de nombreuses femmes, parfois même par esprit de contradiction avec le passé.

Si le droit des femmes a pu être un objet d’inquiétudes, Ennahda a reculé sur plusieurs points. Lors d’une récente interview, le Premier ministre Hamadi Jebali a même affirmé que les droits des femmes de la nouvelle Tunisie progresseraient.

Alors les droits des femmes ne progresseront peut-être pas, mais nous pouvons espérer au moins qu’ils n’évoluent pas dans le mauvais sens.

La situation des femmes en Tunisie est assez remarquable depuis l’ère Bourguiba. Le droit des femmes fait en quelque sorte partie de la culture tunisienne.

Deux années après le début de la révolution, quel est votre sentiment sur l’évolution de la Tunisie. Est-ce un « bon élève » du Printemps arabe ?

Françoise Leys : Il y a eu un certain nombre d’avancées. La Tunisie a rapidement ratifié de nombreux traités internationaux et c’est souvent bon signe pour un pays postrévolutionnaire.

Mais il y a également des bas. Une nouvelle loi sur la liberté de la presse a été votée, et si celle-ci est appliquée, les journalistes et même les artistes qui ne plaisent pas au régime sont pris pour cible.

Si, par exemple, les restrictions sur les organisations et les associations ont été levées, beaucoup de choses ne sont pas encore réglées.

Amnesty International continue en ce sens à faire des recommandations à la Tunisie afin de ne pas assister à un retour en arrière sur de nombreux points.

Reste désormais certains grands sujets. L’homosexualité est toujours considérée comme une maladie et le ministre des Droits de l’Homme a récemment fait une déclaration en ce sens.

La peine de mort est encore en vigueur et même s’il n’y a pas eu d’exécutions depuis 15 ans, le pays ne semble pas prêt à l’abolir.

Zine el-Abidine Ben Ali est aujourd’hui toujours en exil en Arabie Saoudite. Il a été condamné à plusieurs reprises à diverses peines de prison par contumace. Pensez-vous que, à l’instar des Libyens, les Tunisiens aient besoin de porter les coupables de l’ancien régime devant la justice pour se reconstruire ?

Françoise Leys : Ben Ali ne reviendra jamais et les Tunisiens le savent. L’ancien président est actuellement en Arabie Saoudite et ce pays n’extrade pas, par principe, les personnes de confession musulmane.

Bien entendu les Tunisiens seraient satisfaits de voir le procès de Ben Ali, mais ils savent aussi que ce moment n’arrivera pas.

Aujourd’hui, son parti politique a été supprimé et ses anciens membres se fondent dans la masse.

Et puis, il faut vivre et les Tunisiens ont d’autres préoccupations. La situation économique est mauvaise, le chômage en hausse, la Tunisie veut aujourd’hui avancer.

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