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Droit de vote en France: haro sur les étrangers extra-communautaires!

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Dans un débat sur Europe 1 face au sénateur Europe Écologie-Les Verts, Jean-Vincent Placé, le député-maire UMP de Nice, Christian Estrosi, a mis en garde contre le souhait d’accorder le droit de vote à des étrangers « qui haïssent la France ». Après avoir accusé le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, d’encourager « un débat qui divise considérablement [la France] », Christian Estrosi a fini par arrondir les angles sur son compte Twitter, en écrivant que « donner systématiquement le droit de vote aux étrangers et même à ceux qui peuvent haïr la France, c’est une véritable folie ».

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L’unité sociale

D’aucuns n’ignorent que derrière le propos relatif aux « étrangers qui haïssent la France » se cache sans l’ombre d’un doute la dénonciation de la religion musulmane. L’unité sociale de l’ancienne puissance colonisatrice qu’est la France, ce pays étant qualifiée à juste titre de synthèse de l’Humanité, passe forcément par la lutte contre toutes les discriminations et les inégalités. Celles-ci ont une répercussion non seulement sur le plan politique, mais surtout sur la vie sociale et économique des foyers. Christian Estrosi souhaite-t-il que le pays des droits de l’Homme et du Citoyen foule sous le pied l’article 27 du Pacte des droits civils et collectifs des Nations Unies[1] ? Ainsi est-on en droit de s’interroger sérieusement sur la place des minorités dans une France républicaine, démocratique, plurielle et laïque[2].

L’implication réelle des étrangers

Il est important de rappeler que les étrangers vivant sur le sol français s’impliquent déjà, d’une manière ou d’une autre, dans la vie de la cité et dans les entreprises et dans les écoles où ils détiennent des mandats électifs en tant délégués syndicaux ou représentants des parents d’élèves. Ayons à l’esprit que la plupart des étrangers se sont établis, pour quasiment 80 %, en France depuis plus de dix ans. Leurs familles les y ont souvent rejoints, est-il rappelé dans Vers une autre France[3], leurs enfants naissent sur le sol français. Comme les autres habitants, ils paient des cotisations sociales et s’acquittent des impôts tant locaux que nationaux.

Les conséquences dans la répartition des sièges

Le fait de refuser aux étrangers non européens le droit de vote et d’éligibilité, à certaines élections, a des conséquences sur les sièges à pourvoir. Du fait du mode de calcul de la répartition départementale des élus, qui prend en compte le nombre de votants et non la population concernée, plusieurs départements voient diminuer le nombre de représentants aux conseils régionaux, quand d’autres voient leur représentation augmenter. Ce système pénalise lourdement les départements qui accueillent un grand nombre d’étrangers.

L’exigence démocratique

Un citadin ne peut-il être un citoyen ? Un citoyen, au sens stricto sensu, est celui qui non seulement vit dans la cité, donc dans la collectivité locale, mais contribue aussi à ses activités sociales et économiques.

Il faut répondre, avec clarté et précision, aux questions relatives au droit des étrangers et à l’intégration. La classe politique française doit avoir le courage de traiter des problèmes que l’on sait d’avance difficiles, sur lesquels l’accord ne sera pas tout à fait unanime, et qui bousculent l’opinion. C’est le prix, dans ce domaine comme dans tant d’autres, de sa crédibilité. Plutôt que de manquer de conviction et de suivre de manière honteuse la pente misérable de la facilité, cette classe politique doit s’inspirer de François Mitterrand en 1981 sur l’abolition de la peine de mort. Contrairement à François Mitterrand et à Lionel Jospin, qui ont failli à leurs promesses, François Hollande doit suivre une voie aussi audacieuse que juste et européenne. Ainsi doit-il enfin faire adopter la loi relative à cette arlésienne mitterrandienne qu’est le droit de vote et d’éligibilité des étrangers non européens.

L’exigence démocratique découle de la communauté d’intérêts entre les habitants d’une même collectivité. Il est question du droit pour chacun de prendre part à l’élaboration des décisions qui le concernent. Cela nécessite qu’il soit reconnu aux étrangers non communautaires le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes. L’un des leviers de l’intégration, c’est aussi le fait de participer aux décisions concernant la vie quotidienne ; c’est également le fait d’être partie prenante, avec tous les autres habitants, du choix d’équipements et des services publics.

À devoirs égaux, droits identiques

Les obstacles constitutionnels à l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux résidents d’origine non européenne, s’agissant des élections locales et européennes, ont déjà été levés pour les ressortissants communautaires vivant dans le territoire français. De plus, le droit de vote en France n’est plus exclusivement lié à la nationalité française, ni d’ailleurs à la citoyenneté. Une vraie détermination politique ne peut que permettre, en la matière, une deuxième modification constitutionnelle. Ainsi la France se mettra-t-elle enfin en conformité avec les directives européennes, en ne distinguant plus les différentes catégories d’étrangers, communautaires et non communautaires, vivant sur son sol.

La reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes aux ressortissants d’origine non européenne participe, rappelons-le en toute liberté absolue de conscience, du processus de l’intégration. Elle n’est nullement l’aboutissement de celui-ci. Au contraire, elle permettra aux étrangers électeurs de se sentir acteurs de la vie politique locale et européenne au même titre que les citoyens français. Il revient à la société française et à sa classe politique, dans toute leur pluralité, de montrer ainsi leur penchant pour l’épanouissement de la personne humaine.

Documentation

Un nouvel élan socialiste 

Vers une autre France

Notes :

[1] Ce Pacte, entré en vigueur en 1976, stipule : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».

[2] Cf. article 1er de la Constitution française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

[3] Contribution thématique présentée par le groupe de réflexion Enjeux Socialistes et Républicains, en vue du congrès du Parti Socialiste français qui s’est tenu à Dijon en mai 2003.

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