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Erwann Binet: «Réussir à l’Assemblée le débat sur le mariage pour tous»

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JOL Press : Quelle est l’atmosphère à l’Assemblée nationale à la veille de l’ouverture du débat parlementaire ?

Erwann Binet : Sereine, que dire d’autre ? Assez sereine.

En même temps, nous avons tous conscience – je pense dans les deux camps – que nous allons commencer un marathon parce qu’il y a, de la part de l’opposition, une volonté d’obstruction. Il y a 5367 amendements déposés aujourd’hui – donc il y a une volonté d’obstruction – et il va falloir qu’ils les défendent, il va falloir qu’ils soient nombreux en séance, il va falloir qu’ils se mobilisent. Et c’est pareil pour nous, il va falloir qu’on soit présents, qu’on affirme nos convictions et nous avons décidé de siéger même le week-end, toutes les nuits, jusqu’à ce que le texte arrive jusqu’au bout. Nous sommes évidemment – nous à gauche – profondément respectueux du travail parlementaire et donc du droit d’amendement. Il n’est pas question de juger de manière négative le fait qu’il y ait 5367 amendements, c’est le droit parlementaire stricto sensu et c’est sacré pour moi. Le problème n’est pas là.

Mais on a tous, je crois, la conscience qu’on est rentré là dans un marathon assez unique dans l’histoire parlementaire… Il y en a eu d’autres des marathons, mais sur ce texte-là, sur des projets de société, il n’y en a pas tant que cela finalement.

Aller au bout du débat parlementaire, dans la sérénité

JOL Press : Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault vient de déclarer que le gouvernement serait patient. Cette patience, c’est l’expression d’une réelle volonté politique et aussi un message adressé à l’opinion – et en particulier aux opposants à ce texte – que de veiller à ce qu’il y ait au Parlement un véritable débat ?

Erwann Binet : Je crois qu’il y a eu dès le départ, de la part de la majorité parlementaire, de la part du gouvernement, la volonté de ne pas rater ce débat. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas eu d’urgence sur ce texte proclamée par le gouvernement et qu’il y aura bien deux lectures à l’Assemblée et deux lectures au Sénat. Donc, cela va porter jusqu’aux mois de mai-juin la discussion parlementaire. C’est pour cette raison qu’on a voulu étendre les commissions, c’est pour cela que j’ai voulu qu’elles soient rendues publiques – ce qui ne se fait jamais -, c’est pour cela que j’ai décidé de publier leur retranscription – ce qui ne se fait jamais non plus. Et, je crois que, dès le départ, on a eu ce souci de ne pas rater le débat. Ce n’est pas aujourd’hui que nous allons changer notre braquet, on est toujours dans cette même logique, dans ce même état d’esprit. Dans l’hémicycle comme hors de l’hémicycle, il faut que le débat vive et donc on ne va pas mettre aujourd’hui des fers aux pieds de qui que ce soit pour pouvoir soit limiter le temps de parole, soit restreindre le vote de tel ou tel.

JOL Press : Vous l’avez dit, pas d’urgence, un examen du texte qui pourrait durer jusqu’à mai-juin. Et puis, un autre texte qui devrait arriver vers le mois de mars, le texte sur la famille. Est-ce que vous craignez la superposition de l’examen des deux textes ?

Erwann Binet : Je ne la crains pas, je la souhaite parce que, très honnêtement, le projet de loi « mariage pour tous » a ouvert des portes – au cours des auditions, notamment -, de très nombreuses portes qui ne pouvaient pas être réglées par ce texte-là.

C’est la problématique du statut du « tiers » – qu’on appelle aussi statut du beaux-parents -, qui est très présent dans nos états d’esprit aux uns et aux autres depuis de très nombreuses années, qui n’a jamais été concrétisé dans notre droit et qu’il va falloir un jour mettre dans notre code civil. Ce statut, il concerne beaucoup les couples homosexuels, mais pas que les couples homosexuels, beaucoup les familles recomposées.

C’est l’accès aux origines qui a été singulièrement révélé à travers ce sujet-là car les homosexuels sont aujourd’hui les seuls à ne pas pouvoir mentir, évidemment, sur la filiation, sur le fait qu’ils ont conçu leurs enfants par PMA ou ont eu recours à l’adoption. Or, notre droit aujourd’hui fait tout pour organiser le mensonge – par l’adoption plénière notamment et par la PMA qui organise le secret sur le donneur. Je ne dis pas que ce sont des mauvaises choses, je dis que ce sont des choses dont il faut traiter, se poser des questions parce que, lors des auditions, on a eu énormément de gens, de psys, de personnes nées par PMA, d’enfants adoptés qui nous ont dit : « Il faut changer ces règles, elles ne nous conviennent pas ».

On a parlé de plein d’autres choses, de la GPA – gestation pour autrui – même si clairement la GPA n’est pas du tout à l’ordre du jour et ne le sera pas plus lors de la loi famille – et de la PMA… Il y a une vraie imbrication entre ces différents sujets et moi je souhaite vraiment que les deux projets de loi se succèdent dans la même logique, qu’on n’ait pas à tout refaire ce travail de réflexion dans quelques années et qu’on en profite, qu’on capitalise sur ce travail là, dès maintenant.

Un remarquable travail de préparation en commission

JOL Press : Vous avez parlé du travail en commission, des auditions que vous avez souhaité publiques… Commet se sont déroulées ces auditions ? Y a-t-il eu des débordements de certains de vos collègues – opposés à la loi – comme il y avait pu y en avoir, il y a près de 15 ans, lors de la discussion du Pacs ?

Erwann Binet : Il n’y a pas eu de débordements dans la mesure où les députés de l’opposition ont été très absents. Deux députés de l’opposition – Hervé Mariton et Xavier Breton – ont été fidèles, mais ils étaient les seuls. Donc il n’y a pas eu de débordements de leur part.

Les auditions se sont bien passées. Je pense qu’on a réussi à entendre énormément de monde – plus de 120 – qui avaient des choses à dire et de très bonne facture, très bonne qualité.

J’ai un regret – et une frustration, peut-être, plus qu’un regret -, c’est l’audition que j’ai organisée avec les représentants des cultes parce qu’il n’y avait pas, de part et d’autre – parmi les représentants des cultes et les quelques députés qui étaient présents – de volonté de convaincre et de débattre. Il y avait de la part des cultes une prise de position. Ils n’ont même pas utilisé le temps de parole que je leur ai accordé. Ils ont formulé des choses intéressantes – vraiment – mais en posant leurs doctrines, leurs dogmes. Et, en face, on a eu des députés qui ont, de même, posé leurs doctrines et leurs dogmes avec plus ou moins de finesse. Donc les arguments ne se croisaient pas et il n’y avait pas, de toute façon, volonté de convaincre les uns, les autres. Donc, j’ai été très frustré par cette audition à laquelle j’avais donné une certaine importance mais, de toutes les autres, je garde un souvenir inoubliable.

Je garde un souvenir inoubliable des interventions des enfants et des familles – que j’ai auditionnés le 20 décembre – qui, je crois, a marqué beaucoup de gens.

Des auditions d’Irène Théry, d’Elisabeth Badinter, de Madame Roudinesco… Des temps extrêmement intéressants et j’engage tout le monde à aller les visionner sur Internet parce que ce sont des moments un peu historiques.

JOL Press : Plus de 5300 amendements issus de l’opposition, d’autres, j’imagine, de la majorité… Quels sont les amendements susceptibles d’être adoptés ?

Erwann Binet : C’est trop tôt pour le savoir car je ne les ai pas sous la main.

Pour ma part, je vais proposer un amendement qui permettra, dès maintenant, de prévoir un statut de tiers et qui a pour objectif de régler la situation des couples homosexuels et des familles homosexuelles dont les parents sont aujourd’hui séparés et donc qui ne sont pas concernés par la loi, qui ne pourront pas adopter, qui, évidemment, ne se marieront pas et pour lesquels il fallait, pourtant, trouver une solution. En discussion avec le gouvernement jusqu’à ces derniers jours, nous avons pu trouver une solution qui leur permettra de faire reconnaitre un droit de garde, des droits de parents comme ils ont légitimement le droit – pour eux, pour leurs enfants.

Respecter les engagements pris devant les électeurs

JOL Press : On se souvient à l’époque de l’adoption du Pacs de certaines hésitations chez une minorité de parlementaires socialistes. Pensez-vous que cette fois-ci il existe une réelle unanimité au sein du groupe socialiste ? Et pensez-vous que, dans l’hypothèse où la liberté de vote aurait été accordée, les députés PS auraient été unanimes dans l’adoption de ce texte ?

Erwann Binet : C’est difficile à dire…. Mais je n’ai jamais voulu me positionner sur la liberté de conscience parce que je considère que les 296 députés socialistes ont été élus sur un programme, ils se sont engagés sur les 60 propositions de François Hollande. Ils ont été élus par leurs électeurs, aussi, sur ces 60 propositions. Si des députés socialistes étaient sceptiques ou franchement opposés, leur position est différente de celle des députés de droite – Benoist ApparuFranck Riester ou Yves Jégo – qui, à l’inverse, ont annoncé qu’ils voteraient le texte.

Et il me semble aussi important de voter en conscience dans l’hémicycle que de respecter les engagements qu’on a pris devant les électeurs. Après, c’est facile pour moi de le dire parce que je suis en cohérence avec l’un et l’autre. Peut-être que, chez certains de mes collègues, c’est plus difficile mais, à ce moment-là, il y a d’autres manières que celle de voter contre.

Propos recueillis par Franck Guillory et Louise Michel D. pour JOL Press

Erwann Binet – né le 30 juillet 1972 à Brest – a été élu député de la 8ème circonscription de l’Isère lors des législatives de 2012. Attaché parlementaire de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Louis Mermaz, de 1997 à 2002, il est conseiller général du canton de Vienne-Nord.

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