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J.-M. Sylvestre: «Anne Lauvergeon à la tête d’EADS: vers un veto allemand»

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JOL Press : Anne Lauvergeon jouera-t-elle un rôle majeur dans la nouvelle organisation d’EADS ?

Jean-Marc Sylvestre : On ne sait pas, c’est encore prématuré. Son entrée au conseil d’administration d’EADS n’est pas encore certaine.

Ce que l’on croit savoir, c’est que le gouvernement, Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici, en accord avec François Hollande, ont décidé de recommander deux noms au conseil d’administration d’EADS, ceux de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque centrale européenne, et d’Anne Lauvergeon.

Ensuite, une rumeur circule : la nomination d’Anne Lauvergeon à la présidence du conseil de surveillance ou, plutôt, son élection par le conseil d’administration – ce n’est qu’une rumeur, une rumeur dont Anne Lauvergeon pourrait peut-être, elle-même, être à l’origine…

JOL Press : Vous y croyez à cette rumeur ?

Jean-Marc Sylvestre : Chaque chose en son temps. Tout d’abord, avant de pouvoir prétendre à la présidence du conseil de surveillance, Anne Lauvergeon doit voir sa nomination au conseil d’administration validée. Le veto d’un seul membre et sa candidature tombe à l’eau.

JOL Press : Un veto, c’est envisageable ?

Jean-Marc Sylvestre : Anne Lauvergeon entrera peut-être au conseil d’administration d’EADS mais je vois très mal les Allemands accepter qu’elle prenne la tête du conseil de surveillance.

Anne Lauvergeon jouit d’une très mauvaise réputation outre-Rhin. Tout d’abord, elle n’a pas toujours, depuis les années où elle était sherpa – conseillère spéciale de François Mitterrand –, eu des positions très diplomatiques envers l’Allemagne.

Ensuite, alors qu’elle présidait Areva, c’est elle qui avait évincé Siemens des deals sur les chaudières nucléaires. Cela ne lui a pas été nécessairement pardonné. Les Allemands sont puissants au sein d’EADS, et personne ne les brusquera.

De plus, elle a contrarié la création d’une filière industrielle nucléaire européenne. Pourquoi nommer à la tête d’EADS quelqu’un qui n’a pas montré un engouement exemplaire sur une telle ambition européenne ? La question est posée à Berlin, mais pas seulement à Berlin…

JOL Press : Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, le nom d’Anne Lauvergeon est fréquemment cité pour occuper tel ou tel poste prestigieux. Puis, rien ne vient. Pourquoi est-elle aussi difficile à caser ?

Jean-Marc Sylvestre : Elle est clairement étiquetée politiquement, elle a tenu un rôle éminent à l’époque de François Mitterrand. Dans le milieu des affaires, son étiquette politique, évidemment bien connue, n’est pas forcément le meilleur atout…

De plus, malgré ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas forcément la meilleure garantie sous François Hollande. La sortie du livre d’Anne Lauvergeon, peu de temps avant l’élection présidentielle, avait déplu à beaucoup au sein de la grande famille socialiste. Jean-Marc Ayrault et François Hollande sont des gens sobres.

JOL Press : À la tête d’EADS, il est aussi question de Philippe Camus, le PDG d’Alcatel-Lucent, dont le mandat s’achève en mai…

Jean-Marc Sylvestre : Effectivement. Philippe Camus apparaît plus euro-compatible, plus germano-compatible. Et sa nomination est une possibilité. Ceci dit, il a très bien organisé sa vie aux États-Unis, avec sa famille, et on l’imagine mal tout laisser pour regagner l’Europe, la France et l’Allemagne.

JOL Press : Dans le cadre de ces grandes manœuvres, l’Allemagne augmente sa participation au capital d’EADS. Faut-il y voir un signe particulier ?

Jean-Marc Sylvestre : Rien de particulier. Il s’agit juste d’un rééquilibrage entre l’Allemagne et la France. C’est aussi une des conséquences du recul progressif de Lagardère.

JOL Press : EADS se porte bien ?

Jean-Marc Sylvestre : Oui, c’est une entreprise qui respire et se pose des questions. C’est une très grande et très belle entreprise.

EADS profite des difficultés que traverse Boeing. Par ailleurs, le renforcement de ses structures à Toulouse au quartier-général est très positif. C’est une bonne nouvelle pour l’hexagone.

Réponse aux questions en suspens courant mars. Il ne faut pas s’y tromper, nous n’assistons pas à une opération politique. La question des dirigeants est secondaire par rapport au projet d’entreprise.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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