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J-R. Binet: «L’autoconservation d’ovocytes doit rester médicale»

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La loi de bioéthique autorise depuis 2004 l’autoconservation d’ovocytes pour raison médicale lorsque la fertilité d’une femme est menacée par un traitement stérilisant comme dans le cas d’un cancer. Or le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) veut aller plus loin en demandant d’étendre cette autoconservation en dehors de toute raison médicale. 

En d’autres termes, le CNGOF souhaite que toutes les femmes puissent congeler à l’envi leurs ovocytes, afin de les utiliser plus tard pour une fécondation. Une manière, selon eux, de contrer les effets du temps sur la fertilité des femmes.

Pour y voir plus clair, JOL Press a demandé à Jean-René Binet, spécialiste de droit médical et de bioéthique, de nous donner son analyse sur le sujet. Entretien.

JOL Press : Que pensez-vous de l’autoconservation sociétale des ovocytes ?
 

Jean-René Binet : En droit français, les techniques d’assistance médicale à la procréation sont faites pour répondre à une pathologie. C’est la règle. L’autoconservation d’ovocytes répond à un problème médical et ça doit le rester.

JOL Press : Quelles questions cette proposition soulève-t-elle d’un point de vue éthique ?
 

Jean-René Binet : Si ce n’est plus un problème pathologique qui est à l’origine des techniques d’assistance médicale à la procréation, tout pourrait justifier d’y avoir recours. De nombreux risques, comme la planification systématique des grossesses, pourraient être à prévoir. On peut aussi imaginer qu’une banque d’ovocytes attirerait toutes les convoitises. 15% des couples en âge de procréer consultent pour des problèmes d’infertilité, beaucoup d’entre eux seraient très heureux de pouvoir bénéficier d’un don d’ovocyte.

Car le risque le plus important est certainement le stock des ovocytes surnuméraires. Que fera-t-on des ovocytes qu’une étudiante avait voulu congeler et dont elle ne voudrait plus à 35 ans ? Nous constatons déjà que les embryons surnuméraires sont l’objet de toutes les convoitises de la part de certains scientifiques ou de l’industrie pharmaceutique. Et derrière tout ça, se cache le risque de marchandisation des ovocytes.

JOL Press : Est-ce une évolution inéluctable de la société ?
 

Jean-René Binet : Personnellement je ne souhaite pas qu’on aille dans ce sens. Au-delà du risque de la marchandisation et de la planification des grossesses, on rompt avec l’objectif de l’assistance médicale à la procréation qui est d’apporter une réponse médicale à une stérilité pathologique. Le droit français est très équilibré, il ne faut pas en sortir.

JOL Press : Le docteur Nelly Achour-Frydman, responsable de l’unité fonctionnelle Biologie de la reproduction et AMP de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart,  a déclaré : « En tant que femme et en tant que praticien, je trouve assez injuste de se retrouver à 36-37 ans avec une fertilité en baisse. Injuste par rapport à l’homme qui peut concevoir jusqu’à 80 ans, injuste parce que la société a changé et qu’on demande à la femme de faire des études, de trouver un emploi, de s’installer. Le projet d’enfant arrive souvent tard. » Qu’en pensez-vous ?
 

Jean-René Binet : Il est des inégalités qui sont le fait de la nature et toutes ne nécessitent pas d’intervention médicale. Prenons l’exemple du transfert d’embryon post-mortem. Un projet de loi prévoyait que le transfert d’embryon ne puisse se faire qu’entre six mois et 18 mois suivant le décès du père alors qu’un projet parental était mené dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Et ce texte n’est pas passé. Fallait-il remédier à une injustice de la nature ou cautionner la programmation d’un orphelin ? La question est délicate.

Il est difficile de répondre à l’argument de l’injustice. Je pense, pour ma part, que nous avons raté quelque chose sur le terrain de l’assistance médicale à la procréation. Les femmes ont manqué d’information, certaines ne savent même pas qu’après 40 ans il est plus difficile d’avoir un enfant. Nous n’avons pas assez développé les crèches qui auraient permis aux femmes de mieux gérer leur vie professionnelle et familiale. La pollution est aussi en cause dans l’augmentation de l’infertilité chez les femmes. En donnant une réponse technique à un problème dont les causes sont multifactorielles, on oublie de s’attaquer aux causes. La question qu’il faut se poser, c’est pourquoi l’infertilité progresse et comment faire pour y remédier.

JOL Press : Ne plus arrêter l’horloge biologique… Quelles conséquences pour la femme ?
 

Jean-René Binet : Je ne peux pas répondre à cette question, mais elle vaut la peine d’être posée si on veut vraiment faire le tour du problème. Comment va se développer l’ovocyte d’une femme de 25 ans dans le corps d’une femme de 40 ans ? Quelle limite d’âge proposer ? Ce sont de vraies questions.

JOL Press : Se dirige-t-on vers une chosification de l’enfant ?
 

Jean-René Binet : S’il est une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est bien l’intérêt de l’enfant. L’autoconservation sans raison médicale, peut concourir, avec d’autres dispositions, à la chosification de l’enfant. C’est un risque. C’est pourquoi face à ces questions, gardons bien en tête l’intérêt de l’enfant à naître.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté dont il dirige le centre de recherches juridiques (CRJFC, EA 3225). Spécialiste de droit médical et de bioéthique, il a publié en 2010 un Cours de Droit médical (Lextenso, Montchrestien) et en 2012 La réforme de la loi bioéthique (LexisNexis, coll. « Actualité », préface Jean Leonetti).

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