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Jérôme Fourquet: «L’intervention au Mali ne sera pas populaire longtemps»

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Près des deux tiers des Français interrogés par l’Ifop pour La Lettre de l’Opinion se disent favorables à une intervention militaire française au Mali (63%), dont « 22% tout à fait ». Le soutien de l’opinion à cet engagement aux côtés du gouvernement malien se situe à un niveau supérieur à celui mesuré à l’époque de l’intervention en Afghanistan (55% de soutien en octobre 2001), dans un contexte, à l’époque déjà, de lutte contre des mouvements islamistes armés

Toujours à titre de comparaison, mais cette fois dans un contexte un peu différent, 66% des Français soutenaient l’engagement de nos forces au lendemain des premières frappes aériennes sur la Libye, en mars 2011. On relève dans le détail que les hommes (75%) sont nettement plus enclins que les femmes (53%) à soutenir l’intervention militaire française, de même que les personnes âgées de 65 ans et plus (72%, contre 57% des interviewés âgés de moins de 35 ans).  

Explications avec Jérôme Fourquet, directeur du Département opinion publique à l’IFOP.

JOL Press : Historiquement, les opérations extérieures de l’armée française sont-elles synonymes de regain de popularité pour l’exécutif ?
 

Jérôme Fourquet : Ce n’est pas forcément évident. Plusieurs paramètres peuvent entrer en ligne de compte. Tout dépend de l’ampleur de l’intervention. Est-elle lointaine ? Est-elle sous mandat de l’ONU ou à l’initiative de la France ? Est-ce une vraie entrée en guerre ? Est-ce que la France apparaît comme ayant été attaquée ou joue-t-elle son rôle de gendarme ? Selon ces différents paramètres, les réactions ne sont pas les mêmes.

Dans l’histoire, certaines guerres ont permis un réel regain de popularité de l’exécutif. On se souvient de Margaret Thatcher et la guerre des Malouines‎, de George W. Bush et l’intervention américaine en Afghanistan. Quand à Sarajevo, en 1995, les Serbes ont pris le pont de Verbania et que des soldats français sont morts, la décision de Jacques Chirac de récupérer le pont a été saluée par les Français. L’adhésion populaire s’accompagne souvent d’un réflexe patriotique. L’exemple parfait étant le 11 septembre et le départ des troupes américaines en Irak.

JOL Press : Les conditions sont-elles réunies pour que l’intervention militaire au Mali relance la popularité de François Hollande ?
 

Jérôme Fourquet : On peut comparer l’intervention au Mali à celle en Libye : l’emploi de la force y est limité et le déploiement des hommes n’est pas massif. Or l’intervention des forces françaises en Libye n’a eu aucun effet sur la popularité de Nicolas Sarkozy. Les Français approuvaient la décision de sauver Benghazi mais le chef de l’État n’en a récolté aucun fruit. Pourquoi ? Parce que la Libye n’était pas la priorité des Français qui considéraient en outre que cela faisait partie du « job » de la France que d’intervenir.

Quand un chef d’État prend la décision d’intervenir dans un conflit, il affirme son leadership et son autorité. Mais quand Nicolas Sarkozy a choisi d’envoyer des troupes en Libye, il avait déjà prouvé qu’il savait se conduire en chef d’État, en meneur d’hommes, en homme de décision pendant la crise géorgienne par exemple. « Il n’est jamais aussi bon que dos au mur », disait-on alors.

Pour François Hollande, la situation est différente. Certes, le Mali est, comme la Libye, une intervention à portée limitée, mais le chef de l’État n’a pas encore eu l’occasion de montrer aux Français qu’il savait prendre des décisions difficiles. L’autorité n’est pas le point fort de François Hollande. L’intervention au Mali va donc peut-être jouer en sa faveur s’il arrive à démontrer qu’il a pris les meilleures décisions et qu’il est vraiment entré dans sa fonction de chef des armées.

JOL Press : Ce rebond est-il généralement durable ?
 

Jérôme Fourquet : Si adhésion populaire il y a, rien n’indique qu’elle sera durable. Avant l’intervention en Libye, seul un tiers des Français y était favorable. Après les premières frappes, ils étaient 65% à soutenir l’action du chef de l’État. Mais dans les quatre mois qui ont suivi, l’adhésion s’est érodée. Au mois d’août, seuls 49% des Français étaient favorables à l’intervention.

Au bout d’un certain temps, la population s’interroge. Combien coûte l’intervention ? Quelles sont les victimes ? Certes, les risques ne sont pas élevés mais souvent, après quelques mois, les Français ont un sentiment d’enlisement, d’usure…

Pour le Mali, ce risque de lassitude des Français est réel car le gouvernement n’a pas caché que l’intervention allait s’inscrire dans la durée. En outre, le plus dur reste à venir. La deuxième phase sera peut-être dangereuse et coûteuse. Plus l’intervention est courte, plus elle reste populaire.

JOL Press : Situation économique et sociale dégradée, mobilisation contre le mariage pour tous… Ces éléments de mécontentement vis-à-vis de François Hollande seront-ils relégués au second plan par l’engagement des troupes françaises au Mali ?
 

Jérôme Fourquet : Certains pensent que François Hollande s’est lancé au Mali pour détourner l’attention des Français des problèmes intérieurs. Mais je ne le crois pas. Ils ne vont pas amuser la galerie longtemps. Suppression de 7500 postes chez Renault, baisse du taux de rémunération du Livret A, division autour du projet de loi sur le mariage homosexuel… L’actualité va reprendre le dessus.

Aujourd’hui, la majorité des Français considère que François Hollande a pris la bonne décision, ils lui donnent un bon-point, mais dans deux mois cette adhésion peut retomber aussi vite. L’armée française entre dans la phase ingrate et peut s’enliser dans la formation des soldats maliens.

JOL Press : Quel pourrait être l’impact des risques de terrorisme sur la popularité du Président de la République ?
 

Jérôme Fourquet : La perception d’une menace terroriste est en effet très élevée mais cela fait plus de dix ans que la France a appris à vivre avec cette menace. Les Français font confiance à l’exécutif pour les protéger. Si un attentat avait malgré tout lieu, certains dénonceront la politique aventureuse du chef de l’État, mais ils ne seront pas nombreux.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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