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Joan Arnan, mission MSF: «Séismes, choléra, sida… les plaies d’Haïti»

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Depuis février 2012, Joan Arnan, chef de mission, coordonne la réponse de Médecins Sans Frontières Suisse en Haïti. À l’occasion du troisième anniversaire du tremblement de terre du 12 janvier 2010, il a accepté de répondre aux questions de JOL Press.

JOL Press : Après trois ans d’efforts, où en est la reconstruction des dégâts provoqués par le tremblement de terre de 2010 ?

Joan Arnan : À l’époque, sous le coût de l’émotion et devant l’ampleur des dévastations, de nombreuses promesses ont été faites par de nombreux acteurs de la communauté internationale. On observe sur le terrain qu’elles peinent à être tenues.

Haïti était avant le séisme un pays très fragilisé – parmi les plus pauvres au monde –, et il le demeure. La reconstruction n’a pas tellement avancé.

JOL Press : Un des problèmes à l’époque était notamment le sort des populations sans abris après la destruction de leurs habitations – en particulier les logements de fortune dans les quartiers les plus défavorisés. Ces familles ont-elles retrouvé un toit ?

Joan Arnan : On estime à 1,5 million le nombre de déplacés il y a trois ans – sur une population de 10 millions d’habitants. Aujourd’hui, ils seraient encore 350 000 à ne pas avoir retrouvé leur domicile.

Ce sont donc 350 000 personnes qui vivent actuellement dans 496 camps à travers le pays. Les conditions de vie dans ces camps improvisés ne cessent de se dégrader. Les familles vivent dans des abris de fortune, rien n’est en dur. Les murs sont des morceaux de tôle ou des planches de bois, les toits des bâches en plastique. L’accès à l’eau, les installations sanitaires et la voirie y font cruellement défaut.

JOL Press : Et tout cela contribue à la propagation des maladies infectieuses…

Joan Arnan : Absolument, en particulier du choléra. À mon arrivée en février 2012, le pays avait déjà connu trois pics épidémiques. Le premier entre octobre et décembre 2010, le deuxième entre mars et mai 2011, et le troisième de septembre à novembre 2011. Plus de 500 000 personnes – soit 5% de la population – avaient déjà été affectées et environ 7000 en étaient mortes.

Cette épidémie est nouvelle en Haïti et il est donc difficile de savoir à quel rythme les pics vont se succéder. À partir d’avril 2012 – comme nous nous y attendions -, nous avons vu croître le nombre de patients et le pic a été atteint en mai.

Par la suite, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont observé une diminution du nombre de cas, notamment à Port-au-Prince. Mais la situation demeure critique. Les populations ne sont pas en mesure d’appliquer les mesures d’hygiène adéquates. Dès qu’il y a de fortes pluies, les égouts débordent et les cas de contamination augmentent. On a toutefois observé une réduction du nombre de cas.

Ceci révèle un certain nombre de problèmes dans la gestion de l’épidémie au niveau national.

JOL Press : Cette mauvaise gestion est liée à une désorganisation persistante des pouvoirs publics ?

Joan Arnan : Avant même le tremblement de terre, les pouvoirs publics haïtiens étaient fragiles. Le pays n’a jamais disposé d’institutions très solides et a notamment une longue tradition de crises politiques.

JOL Press : Concrètement, dans la gestion de l’épidémie de choléra, comment s’est manifesté cette défaillance ?

Joan Arnan : Dans l’agglomération de Port-au-Prince, qui regroupe un tiers de la population du pays, les structures de santé publiques n’ont pas intégré la prise en charge du choléra dans leurs offres de soins. Un patient présentant les symptômes du choléra est alors immédiatement référé au dispensaire d’une ONG.

On observe aussi des disparités selon les départements. Ainsi, lors du dernier pic épidémique, les autorités sanitaires du département du Nord du pays ont su répondre  de manière efficace. Et cela pose la question de la volonté politique des autorités nationales de mettre en place un système national efficace de lutte contre le choléra.

Ceci est d’autant plus problématique que les ONG qui travaillent sur le choléra, que ce soit au niveau de la prise en charge médicale ou de la prévention à travers des activités liées à l’eau, l’hygiène et l’assainissement sont de moins en moins nombreuses avec la diminution des financements internationaux.

Tout cela alors que la population demeure tout aussi vulnérable. Il est fort probable qu’en cas de nouveau pic épidémique nous ne pourrions pas faire face.

JOL Press : Vous parlez d’une diminution de l’aide internationale. Des promesses n’ont pas été tenues ?

Joan Arnan : On constate une défaillance de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans son soutien au gouvernement haïtien pour la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique efficace et réactif qui permettrait d’adapter la réponse aux endroits les plus stratégiques. Or l’importance de la coordination des différents acteurs est considérable.

Mais le principal problème est sans doute que l’on ignore, pour une large part, comment les fonds ont été utilisés. Le manque de transparence est flagrant et l’argent ne parait pas avoir été toujours utilisé de la façon la plus efficace.

Enfin, avec le temps, l’intérêt que suscite Haïti diminue indéniablement – et les aides diminuent.

JOL Press : En dehors du choléra, quelles sont les autres priorités sanitaires ?

Joan Arnan : Médecins sans Frontières met plus particulièrement l’accent sur la santé maternelle. Haïti connait les taux les plus élevés de mortalité infantile, pour celle des enfants de moins de cinq ans et pour la mortalité maternelle. Les enfants décèdent à très bas âge et les femmes meurent en couche. Les causes de décès sont la diarrhée, les infections respiratoires, le paludisme, la tuberculose et le VIH/sida.

Et le VIH/sida est un fléau considérable en Haïti. On estime qu’environ 5,6 % des personnes de 15 à 49 ans sont séropositives ou malades – dont, c’est une approximation, 19 000 enfants. Les médicaments antirétroviraux sont extrêmement rares.

JOL Press : Concrètement, que fait MSF pour remédier à ces difficultés ?

Joan Arnan : les opérations de MSF en Haïti sont importantes. Nous disposons d’environ 90 expatriés sur place et nous employons près de 2000 employés nationaux. Dans nos hôpitaux, nous formons des personnels médicaux locaux – comme dans tous les pays où nous intervenons.

Nous pouvons apporter un complément d’aide technique et logistique, une plus-value qui permettrait de démultiplier la capacité de prise en charge et de la décentraliser au maximum pour que les patients aient un accès rapide au traitement.

En tant qu’organisation non gouvernementale d’aide médicale d’urgence, Médecins Sans Frontières n’a pas vocation à se substituer au ministère de la Santé haïtien et à ses partenaires internationaux dans l’établissement d’un système de santé digne de ce nom ainsi que la gestion au niveau national de l’épidémie de choléra.

Nous attendons des actions concrètes.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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