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La France est-elle condamnée à rester nulle en santé publique?

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Sur les dix dernières années, la France a connu en métropole trois crises sanitaires dont l’analyse objective laisse pantois quant à leur gestion par les autorités sanitaires : la canicule en 2003 et ses 15 000 décès, la grippe H1N1 en 2009 et ses 94 millions de doses de vaccins achetées pour moins de 6 millions de personnes vaccinées, le médiator en 2010 avec probablement 1000 à 2000 morts à terme. L’affaire des pilules de troisième génération (3G) et quatrième génération (4G) démontre que l’incompétence sanitaire n’est pas uniquement liée à la gestion politique de la droite ou de la gauche mais a aussi des causes profondes dans l’histoire et l’organisation de notre système de santé.

Identifiés depuis les années 1960, les risques thrombo-emboliques des pilules (toutes les pilules sont concernées) ont fait l’objet de nombreuses études, dont la plus récente réalisée au Danemark (Lidegaard O, BMJ, 2009) évoque un risque deux fois plus élevé (4 pour 10 000 au lieu de 2 pour 10 000 femmes par an) pour les pilules 3G et 4G. Le biais de cette étude dû à l’échantillon des femmes utilisé ne permet cependant pas de lever le voile sur le sur-risque de ces pilules, contesté par nombre d’épidémiologistes de renommée mondiale tels que Shapiro, Dun, Heinemann, Farmer ou Parkin. Sans nouvelles données pharmacologiques ou épidémiologiques probantes, nos autorités sanitaires ont réussi à prendre une série de décisions auto stimulant une crise sanitaire.

En 2009, le remboursement des pilules 3G est présenté par les autorités et les associations comme un bienfait historique pour les femmes

La ministre Roseline Bachelot annonçait triomphalement en mai 2009 avoir obtenu l’accord de la commission de transparence (agence sanitaire décidant de la possibilité de remboursement d’un médicament) pour rembourser les pilules 3G. Le mouvement français pour le planning familial réclamait en 2010 le remboursement de tous les contraceptifs. « La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit », annonçait des campagnes de l’époque. Xavier Bertrand renchérissait en mars 2011 pour encourager les laboratoires commercialisant les 3G à inscrire toutes leurs pilules au remboursement.

Volte-face à l’été 2012

En août 2012, la commission de transparence, après réexamen de la littérature existante, recommande le déremboursement des pilules 3G, en raison du risque de thrombo-embolie. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, décide alors de dérembourser les pilules 3G à partir du 30 septembre 2013. Vont apparaître, suite assez logique des décisions précédentes, une série de plaintes au pénal de femmes victimes d’accidents cardio-vasculaires.

Le ministère de la santé se transforme soudainement en Titanic sanitaire et sort les canots de sauvetage : déremboursement avancé au 31 mars 2013, proposition de prescription réservée aux gynécologues, conférence de presse le 11 janvier 2013 de la ministre entourée des principaux dirigeants sanitaires et annonçant « non pas comme ministre mais comme mère de trois enfants dont deux jeunes femmes » qu’elle mesurait parfaitement « les interrogations légitimes » sur l’usage des pilules 3G et 4G et qu’elle allait bientôt recevoir les familles confrontées à un incident grave lié à la prise de la pilule. Un exercice de sensiblerie qui donne l’impression d’agir sans rien régler pour les femmes concernées et les médecins prescripteurs.

Un risque de 30 000 grossesses non désirées supplémentaires en 2013

Une telle attitude ne peut que laisser des traces négatives pour notre système de santé. D’abord, une dégradation de l’image des professionnels de santé, taxés tantôt de connivence avec les laboratoires tantôt d’incompétence, aux yeux du grand public. Comme si les professionnels de santé devaient mettre en doute des autorisations de mise sur le marché de médicaments, dont l’obtention toute récente du remboursement est célébrée haut et fort par la plus haute autorité sanitaire du pays.

Ensuite, parmi les 2,5 millions de femmes prenant des pilules 3G et 4G, des milliers de femmes vont arrêter de prendre la pilule, ne pouvant plus se la payer ou ayant perdu confiance, entrainant probablement des milliers d’IVG supplémentaires (+15% en Angleterre dans de telles conditions en 1995 soit un équivalent de plus de 30 000 en France). Les plus cyniques pourront faire un lien entre le récent remboursement à 100% de l’IVG et le déremboursement des pilules 3g et 4G. Enfin, la crédibilité de la France en Europe sur le plan sanitaire a été sérieusement écornée suite à la demande précipitée de Marisol Touraine à l’agence européenne du médicament (EMEA) de réviser l’AMM de ces pilules dans un « sens restrictif », qui s’est soldée par une fin de non recevoir immédiate sonnant comme une claque.

La défaillance de notre santé publique a des raisons historiques 

Notre pays, malgré les travaux de Pasteur qui établissent la dimension sociale de la maladie, ne donnera droit de citer aux questions de santé publique qu’à la fin du XXème siècle alors que l’Angleterre a depuis un siècle élaboré une administration sanitaire efficace à l’échelon national, ainsi que les USA avec la fameuse agence FDA (Food and Drug Administration) créée en 1906. L’État français prenait avant des initiatives uniquement face à des épidémies (choléra en 1832 et 1849) et dans la lutte contre la tuberculose au début du XXème siècle. La santé publique ne s’est pas constituée en service public naturel, conséquent et prestigieux mais par morceaux, (PMI, alcool, tabac, santé mentale…), certes précieux mais enclavés.

Les médecins ne se sont pas engagés sur la voie de la santé publique lors des études médicales, et plus largement la société n’a pas adhéré aux démarches de santé publique (adaptation de ses comportements aux facteurs de risque). Alors que notre système de santé s’est spécialisé avec succès sur les soins curatifs individuels au fil du temps, la greffe de la santé publique n’a jamais pris. Ce sont les grandes catastrophes du sang contaminé et de la vache folle qui vont obliger le pays à s’organiser dans les années 1980. Trente ans plus tard, notre système de santé publique est un bric-à-brac inefficient d’une douzaine d’agences sanitaires qui sont autant de lieux de pouvoir où chacun tente avant tout de préserver son influence et son autonomie.

L’affaire des pilules 3G et 4G met en évidence notre incapacité à bien évaluer des risques sanitaires

Les pilules révèlent une fois de plus les dysfonctionnements de la gestion des risques sanitaires dans notre pays. La haute autorité de santé (HAS) avait édicté des règles en 2007 concernant la restriction de prescription de certaines pilules 3G, uniquement en deuxième intention entre autres. Quel est le nombre de médecins qui connaissent et appliquent les recommandations de la HAS ? Quel organisme se préoccupe de contrôler la bonne transmission de l’information et la bonne application de ces recommandations ? En 2009, les pilules 3G étaient promues par le ministère de la Santé comme des pilules allant libérer les femmes dans leur choix de pilule contraceptive. Pas de quoi renforcer la vigilance des médecins prescripteurs sur ces médicaments !

Seuls 5 à 10% des effets indésirables des médicaments sont déclarés en France. Pour les pilules, une étude réalisée auprès de 800 000 femmes dans une région entre 1998 et 2012 a révélé l’existence de 47 cas d’accidents graves, dont trois seulement ont été déclarés aux autorités sanitaires. Quelle est la proportion de patients sachant qu’ils peuvent eux-mêmes déclarer les effets indésirables ? Quelle est l’incitation pour les médecins de déclarer ces effets indésirables ? Le premier verrou de contrôle sanitaire, le principe d’évaluation, est défaillant en France et fragilise toute la chaine de sécurité sanitaire. Sans évaluation juste du risque, le principe de précaution s’applique quasi automatiquement et sert avant tout de parapluie pour les autorités (même aux dépens de l’intérêt sanitaire comme dans le cas des pilules).

La dimension sociopolitique devient le vrai le moteur des crises sanitaires

Les mécanismes d’évaluation des risques et d’alerte sanitaire devraient être les principales sources de crises sanitaires. En fait, c’est la mobilisation d’acteurs issus de la société civile, la judiciarisation et la médiatisation des affaires qui sont les principaux ferments d’une crise sanitaire aujourd’hui. Ce phénomène avait déjà émergé lors de l’épidémie de SIDA qui a vu intervenir différents types d’acteurs : des associations issues de la communauté homosexuelle sont devenues des éléments incontournables  ainsi que des groupes de personnes ayant été contaminées via la transfusion qui ont contribué à transformer en scandales les dysfonctionnements constatés.

En sus de la mobilisation de la société civile, c’est l’écho donné par les journalistes qui fait dorénavant la différence. Les médias sont à l’affût de tout problème susceptible de devenir une affaire, un scandale reposant sur l’identification de victimes de l’impréparation, de l’incompétence de décideurs, experts voire de leur collusion avec la sphère économique comme pour le médiator. Enfin, le droit est de plus en plus présent dans les crises sanitaires.

Cela change l’appréciation de l’action des décideurs et experts en charge de la santé publique. Elle ne se fait plus au vu des pratiques effectives et arrangements ou compromis mais au vu des responsabilités formelles, des règles et procédures établies. Pour les pilules 3G et 4G, l’affaire a véritablement commencé mi-décembre avec le dépôt de la première plainte pénale qui a généré un emballement médiatique. Pris de panique par ces deux phénomènes pourtant prévisibles, le ministère n’avait plus que le registre de la compassion et de l’émotion pour faire face, sans compter la rédaction en catastrophe par l’ANSM (Agence nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) d’une classification des contraceptifs hormonaux totalement farfelue, ce qui n’a convaincu ni les victimes ni l’agence européenne !

Les crises sanitaires sont aussi des opportunités

Les acteurs de la sécurité sanitaire s’accordent à considérer les crises comme des contraintes mais aussi comme des opportunités. Les situations de crise sont des révélateurs de dysfonctionnements de la gestion du risque et peuvent bousculer l’agenda et les priorités de santé publique. L’analyse des erreurs et des leçons à tirer d’une crise sanitaire est une opportunité pour améliorer l’efficience des procédures. La loi de sécurisation du médicament de décembre 2011, renforçant très partiellement les principes de transparence et d’impartialité, a pris en compte cet élément mais a été davantage un effet de manche politique qu’une amélioration significative de notre système de santé publique.

Dans l’affaire des pilules, le résultat est stupéfiant puisque nous conservons les failles de notre système, nous affaiblissions notre crédibilité sanitaire et nous mettons 2,5 millions de femmes dans l’angoisse. Je laisse à chacun le mot de la fin !

 

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