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Le Fact-checking : le journalisme de la fourmi

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Les enjeux du fact-checking

Une nouvelle pratique journalistique venue des États-Unis est apparue depuis quelques années en France : le fact-checking. Quels en sont les enjeux?

Le fact-checking peut être défini comme l’art de chercher la petite bête dans les discours et les affirmations des hommes politiques. Appréciée par les internautes et par le peuple, cette pratique n’en est pas moins critiquée par des professionnels de la communication.

Une information doublement vérifiée

Les hommes politiques font reposer leurs interventions sur des faits, souvent des faits plutôt médiatisés, ou encore sur des chiffres et des données. Autant d’informations plus que vérifiables par ceux qui l’écoutent. Google offre aujourd’hui plus de réponses qu’il ne nous en faut. Une habitude de communication qui, avec l’essor d’internet et plus particulièrement du Web 2.0, est devenue à double tranchant.

En France, c’est Libération qui a ouvert le bal en 2008 en créant, sur son site puis sur la version papier, la rubrique « Désintox » visant à contrôler l’exactitude des chiffres et autres « faits » (d’où le terme « fact-checking » qui peut se traduire littéralement par « vérification des faits ») dans les déclarations des hommes politiques. Depuis, tous les quotidiens et autres médias français, tous horizons politiques confondus, ont leur petite rubrique dédiée à afficher les erreurs.

Nous pourrions citer, par exemple, le blog « Les Décodeurs » du journal Le Monde, « L’addition s’il vous plaît » du Nouvel Observateur, le « Contrôle technique » de Rue89 ou les plus explicites « Bureau de vérification de la petite phrase » du journal Le Parisien et « Le détecteur de mensonges » du Journal Du Dimanche.

Les journalistes, comme les internautes deviennent contrôleurs d’information

Aux rubriques dédiées s’ajoutent la parole même du citoyen qui s’empare de l’espace collaboratif et qui bouleverse le journalisme web. Il n’est plus seulement le récepteur d’une information émise à sens unique par les médias et les politiques et considérée comme parole d’évangile; il est aussi émetteur, il peut réagir, analyser, critiquer, influencer le contenu informatif.
Voilà qui brouille les pistes, qui fait des données une matière malléable, sans cesse objet de révisions, de corrections. Les médias ont d’autant plus intérêt à pratiquer le fact-checking que le citoyen lambda peut, à travers son droit de regard, et son droit de produire lui aussi de l’information, remettre en cause le contenu journalistique en pointant les erreurs.

Une pratique bénéfique à la démocratie, à condition d’éviter le nivellement des erreurs

Tous, selon les affinités politiques de chacun, visent le même objectif : afficher que M. Untel, député, s’est trompé de tant et tant quand il a parlé des licenciements, que le Sénateur X a exagéré tels chiffres ou que le Ministre Y aurait dû connaître la date de création de tel site… En somme, vérifier tout le vérifiable et afficher tout l’affichable pour décrédibiliser, se moquer, montrer du doigt la classe politique. En oubliant peut-être que les hommes politiques sont des êtres humains et qu’ils ont le droit à l’erreur, en dépit de leur préparation parfois bétonnée et de la batterie de communicants qui interviennent bien souvent en amont pour préparer leurs interventions.

Une opinion qui est loin de faire l’unanimité, en particulier chez les journalistes qui se sont spécialisés dans la recherche du détail erroné, soit-il volontaire ou non. Le créateur de la rubrique qui a lancé le fact-checking en France – « Désintox » sur Libération – défend le fact-checking en lui attribuant un véritable rôle : « Le vrai rôle de ces rubriques, c’est de pousser à une communication plus honnête qui aiderait à dépassionner le débat, à l’assainir ». Mais Cédric Mathiot concède néanmoins que des dérives sont possibles.

« Le danger, c’est de tout niveler, de noter une petite erreur au même niveau qu’un mensonge scandaleux. Il peut y avoir un côté bête et méchant » mettant en avant, par là, une des critiques et des craintes les plus répandues concernant le fact-checking. Car si l’erreur volontaire, le mensonge, est certainement critiquable, en particulier chez les représentants politiques du peuple, montrer du doigt la moindre petite incohérence revient à demander aux hommes politiques d’être des machines, des ordinateurs. Il ne faudrait pas oublier que « errare humanum est, perseverare diabolicum » comme dit le latin. Autrement dit: « Se tromper est humain ; persévérer est diabolique ». Les hommes politiques ont aussi, dans une certaine mesure, le droit de faire des erreurs.

Le risque du formatage des discours

Pierre-Yves Frelaux, directeur général de TBWA Corporate, actif sur le marché des agences de communication Corporate, pense que cette nouvelle forme journalistique pourrait conduire les hommes politiques à n’avoir plus qu‘un discours « très normé, lisse, sans aspérité, qui cherche à minimiser les risques », enlevant par là une caractéristique fondamentale du discours politique dont les propos sont censés être forts de sens et de conséquences.

Aujourd’hui encore, les discours des hommes politiques sont empreints de spontanéité et d’authenticité, ce qui n’est pas sans causer des problèmes. Mais il n’est pas possible de nier que toute la passion que peut exercer la politique sur les citoyens, que ce soit pour soutenir ou pour critiquer telle ou telle position, doit beaucoup au fait que ce soit un ressenti qui est exprimé.

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