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Le Japon veut oublier son passé d’esclavagiste sexuel

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Kang Il Chul porte toujours les traces des blessures qu’elle a reçues de la police militaire japonaise il y a près de 70 ans.

Esclave sexuelle pendant la guerre

Elle avait tout juste 16 ans, en 1943, lorsqu’elle a été enlevée de chez elle, dans ce qui s’appelait à l’époque la Corée occupée par le Japon. On lui avait dit alors qu’elle allait servir dans la garde nationale, mais elle a passé le reste de la guerre à travailler dans une maison close pour les militaires.

C’est là, pendant ses deux années de servitude sexuelle, que les violences ont commencé, raconte Kang Il Chul, inclinant sa tête pour cacher ses cicatrices avec ses cheveux, lors d’une récente interview, près de Séoul.

« J’ai été logée dans une chambre minuscule et je recevais entre 10 et 20 soldats par jour, » raconte-t-elle de ce temps où les femmes asiatiques étaient des milliers à servir d’esclaves sexuelles pour les soldats de l’armée impériale japonaise durant la première moitié du XXème siècle. « J’étais battue, frappée, mon corps était recouvert de bleus. J’ai encore des maux de tête. »

La repentance du gouvernement

En 1993, l’histoire de ces femmes a été révélée au grand jour et les autorités japonaises ont reconnu, dans une déclaration historique, le rôle de l’armée dans l’exploitation des maisons closes et dans l’utilisation de la force pour asservir les femmes.

Mais près de 35 ans après la fin du règne colonial du Japon sur la péninsule coréenne, l’héritage de la guerre du Japon risque de nouveau d’envenimer les relations entre les deux pays.

Le nouveau Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a indiqué qu’il examinerait la déclaration de 1993, dans laquelle le chef de cabinet de l’époque, Yohei Kono a affirmé que « l’armée japonaise était, directement ou indirectement, impliquée dans la création et la gestion de centres de délassement et du transfert de femmes de confort. »

« Ses femmes étaient recrutées contre leur gré, et dans certains cas, le personnel administratif et militaire a participé directement à leur recrutement. »

Shinzo Abe veut retirer les excuses du Japon

Durant son premier mandat en tant que Premier ministre en 2006-2007, Shinzo Abe avait affirmé qu’il n’y avait pas de preuves selon lesquelles l’armée japonaise aurait utilisé la contrainte pour recruter ces femmes.

De nombreuses anciennes déclaration de Shinzo Abe suggèrent que ce dernier souhaiterait mettre fin au « masochisme » japonais, sur le passé militaire du pays.

Au lendemain de la formation du gouvernement très révisionniste du Premier ministre, le chef de cabinet Yoshihide Suga, a refusé de dire si Shinzo Abe allait honorer les excuses japonaises en faveur de celles qu’on appelle « les femmes de confort », expliquant seulement qu’il était « souhaitable pour les experts et pour les historiens d’étudier » la déclaration de Kono.

La Corée du Sud s’inquiète

La Corée du Sud a réagi avec colère aux suggestions d’annulation de ces excuses par Shinzo Abe. L’utilisation d’esclaves sexuels par le Japon était « un fait historique clair et a infligé d’énormes souffrances pour les victimes, » a déclaré Cho Tai Young, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères sud-coréen.

« Le gouvernement japonais ne doit jamais oublier ce fait historique et les souffrances indicibles infligées aux victimes dans la recherche d’une solution satisfaisante pour eux, en accord avec leurs souhaits. »

Il y a désaccord sur le nombre de femmes de réconfort et sur la manière par laquelle ces dernières ont été recrutées de force par l’armée japonaise ou acquises par des courtiers coréens.

Entre 50 000 et 200 000 victimes

Les militants estiment qu’entre 50 000 et 200 000 femmes, pour la plupart en provenance de Corée, mais aussi de Chine, d’Asie du Sud et un petit nombre en provenance du Japon et d’Europe ont été contraintes ou trompées en travaillant dans des bordels militaires entre 1932 et la fin de la guerre.

Selon les témoignages des survivants, elles étaient forcées à avoir des relations sexuelles avec des hommes, entre 10 et 30 fois par jour et contractaient souvent des maladies sexuellement transmissibles, pour lesquelles elles étaient traitées avec du mercure 606.

Les quelques 60 femmes survivantes estiment qu’elles n’ont pas encore reçu d’excuses officielles ni de compensation en provenance du Japon. Certaines, dont Kang Il Chul, tiennent des réunions hebdomadaires devant l’ambassade japonaise à Séoul. Le Japon a refusé d’indemniser ces femmes, insistant sur le fait que toutes les demandes de paiement ont été réglées par un traité bilatéral en date de 1965 et qui a conduit à la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays.

Les États-Unis s’interposent

En 2007, la Chambre des représentants américaine a adopté une résolution exhortant le Japon à « reconnaître officiellement les faits, présenter des excuses et accepter la responsabilité historique d’une manière claire et sans équivoque » de l’esclavage sexuel contraints de jeunes femmes.

Reste à savoir si Shinzo Abe laissera intactes les excuses officielles de 1993 et évitera ainsi une nouvelle confrontation avec la Corée du Sud.

Toute révision importante apporterait la colère de Washington, qui souhaite que les deux pays améliorent leurs relations pour faire front face à la Chine sur les différents territoriaux et la menace nucléaire nord-coréenne.

Après la guerre, Kang Il Chul s’est installée dans le nord de la Chine et n’est plus retournée en Corée du Sud depuis 2000.

« Entendre les dirigeants japonais m’accuser d’être une menteuse me rend triste et en colère, » explique-t-elle. « Je n’ai rien contre les Japonais ordinaires. C’est la faute de leur gouvernement. Leur Premier ministre dit qu’il n’y a pas de preuves selon lesquelles nous existons. Mais je suis pourtant une preuve vivante. »

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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