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Mariage pour tous: le référendum n’est pas démocratique

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Plutôt que s’engager dans une discussion sur le bien fondé ou sur l’aberration d’un tel projet, il est utile de se poser la question plus fondamentale de la meilleure manière de décider des changements sociétaux dans une société démocratique. Et pour répondre à cette question, prenons du recul en examinant d’autres cas pour lesquels la passion s’est refroidie.

Rappelons nous par exemple les réactions diamétralement opposées à propos du débat initié par Nicolas Sarkozy à propos de la laïcité. Ses partisans se justifiaient par la nécessité d’un débat national, pour affirmer et imposer le respect des principes républicains de la laïcité alors que ses opposants arguaient qu’il allait produire encore plus d’extrémismes communautaires, appréhendant une restriction de la diversité.

Le camp de la restriction demande un référendum alors que celui de l’ouverture le rejette

Par ailleurs, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les écologistes ont exigé un référendum sur le maintien du nucléaire civil avec d’abord un débat national, ce qui a également provoqué de nombreuses levées de bouclier contre l’opportunisme d’une telle demande. Eux aussi mettaient en avant la même nécessité d’un débat pour imposer une sortie du nucléaire au nom de la volonté populaire. Et là aussi, les opposants sentaient le danger d’une restriction de la production nucléaire civile.

Ainsi, dans chaque cas, les défenseurs du débat sont majoritairement demandeurs de restrictions, alors que les opposants veulent plus de liberté, mais il est remarquable de constater que de nombreux opposants à l’un des deux débats étaient simultanément les partisans de l’autre.

Aujourd’hui, on constate une fois encore  à propos du « mariage pour tous » que le camp de la restriction demande un référendum alors que celui de l’ouverture le rejette.

Derrière ces postures virevoltantes en fonction du sujet se cache en fait l’appréhension pragmatique de ce qu’un débat populaire va faire émerger les archaïsmes et les peurs d’une société. Et effectivement, des études récentes de la dynamique d’opinion ont permis de découvrir l’existence de biais pernicieux qui, au cours des échanges et discussions entre individus, vont tout à fait rationnellement transformer la minorité en majorité et ce de façon totalement « démocratique » car sans aucune coercition. Sauf qu’il existe bel et bien un processus de manipulation mais qui n’est pas externalisée, car articulé sur l’expression des libres arbitres individuels des uns et des autres.

C’est la sociophysique qui a permis de mettre en évidence ces constats contre-intuitifs, et souvent dérangeants pour la représentation idyllique que l’on se fait du débat public. Nouveau domaine de recherche internationale parmi les physiciens, la sociophysique utilise en les adaptant des concepts et des techniques issus de la physique du désordre. Elle s’est particulièrement consacrée à l’étude des dynamiques d’opinion.

Le référendum, une machine infernale de production d’extrémisme au service des à priori et des préjugés

Dans ce contexte théorique, les différents modèles montrent que, quel que soit le sujet débattu, le débat fait émerger une tendance à la formation d’un extrémisme collectif dû une dynamique de seuil. C’est l’opinion qui démarre au-dessus du seuil, et elle peut donc être minoritaire si le seuil se situe au dessous de cinquante pourcent, qui va inexorablement se propager parmi la population pour in fine l’envahir avec une étendue qui dépend de la durée du débat. C’est paradoxalement la possibilité de douter et l’existence de croyances collectives communes qui font que la valeur de ce seuil se situe très rarement à cinquante pourcents brisant de facto  la possibilité d’une symétrie démocratique dans le débat.

La possibilité de douter, pourtant garante d’une rationalité non fanatique, fait intervenir de façon anodine les croyances collectives partagées des individus qui doutent localement, et ainsi bouleverse la nature démocratique du débat. Par simple effet de bon sens dans le choix de l’une où l’autre opinion en cas de doute, le seuil critique pour envahir l’opinion se trouve scindé en deux valeurs inégales. Il pourra être à 15 % pour une opinion, celle des restrictions, et à 85 % pour l’autre, celle de l’ouverture, ce qui est colossal comme rupture démocratique dans un processus de libre choix lui-même parfaitement démocratique.

Il suffit alors d’un soutien initial supérieur à 15 % pour le « non » pour qu’il envahisse l’espace public alors qu’à l’opposé, l’autre opinion, celle du « oui », doit démarrer avec une majorité initiale de plus de 85 % pour survivre au débat démocratique. Ce type de processus s’est bien illustré lors du référendum sur la constitution européenne de 2005. Il se réaliserait certainement si un référendum sur le mariage pour tous était organisé.

On voit donc à travers ces modèles que, si chaque individu se fait bien sa propre opinion en conscience à propos d’un question de société, dés lors qu’un débat public est enclenché, il va vouloir en convaincre ses pairs à travers des débats multiples et répétés. Mais comme par nature, ces questions n’ont pas de réponse certaine à 100%, les débats vont produire ici et là des situations où un  groupe d’individus qui discutent, se retrouvent avec autant de pour que de contre sur la question débattue, et là ce sont les croyances dominantes qui font le choix avec l’adage fondamental qui énonce avec sagesse que « dans le doute, on s’abstient ». Et c’est ainsi qu’une majorité de 80% pourra fondre au doute du débat et que la minorité initiale de 20% se transformera en forte majorité pour le « non ».

Ce pourrait donc être le débat public qui paradoxalement devrait être banni d’une société démocratique car il cache une machine infernale de production d’extrémisme au service des à priori et des préjugés. Le référendum, qui suppose le tenue d’un débat public, ne serait donc pas démocratique au sens où il entrainerait une révision massive des choix individuels d’avant le débat pour les conformer aux croyances dominantes plus ou moins inconscientes. Et cela, toujours dans le sens du rejet de l’ouverture. Le groupe discutant serait donc plus « réactionnaire » que ses membres pris individuellement avant le débat. Le référendum ne serait donc pas un devoir moral mais une machine à s’imposer la morale dominante, par nature issue du passé et ingurgitée façon foie gras lors de notre façonnement social. 

Tout cela reste matière à réflexion, ces résultats n’étant pas encore prouvés, mais ils représentent des possibles à prendre en compte dans l’appréhension du débat public. Ils expliquent pourquoi on peut à la fois exiger un débat sur un sujet et le refuser sur un autre. Soit on recherche un extrémisme, soit on le redoute.

 

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