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Mots croisés: face à Jérôme Cahuzac, Jean-Luc Mélenchon joue la stratégie du pire

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Lundi 7 janvier, tard dans la soirée, dans l’émission de France 2 Mots croisés, Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, débattait avec Jean-Luc Mélenchon, co-président du Front de Gauche. En direct, un échange d’une rare violence entre la gauche et la gauche. Un avant-goût des temps à venir ? Décryptage de Franck Guillory.

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Des qualités d’orateur et de débatteur hors pair, un positionnement politique de plus en plus radical, Jean-Luc Mélenchon est un bon client pour la télévision qui attire de l’audience et assure le spectacle – contre Marine Le Pen, mais pas seulement. Yves Calvi l’a prouvé, lundi 7 janvier, dans son rendez-politique, Mots Croisés sur France 2, en mettant face à face le leader de la gauche de la gauche et le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac.

Résultat : un affrontement sans complaisance qui a mis en évidence le profond clivage idéologique qui divise, désormais la gauche française. La promesse aussi pour François Hollande de temps difficiles si la situation économique ne venait pas à se rétablir rapidement comme promis.

Deux hommes qui ne s’aiment pas

Rares étaient ceux qui, jusque-là, s’étaient sans doute intéressés à la nature des relations entre Jean-Luc Mélenchon et Jérôme Cahuzac. Sans doute pouvions-nous suspecter qu’elles n’étaient pas excellentes. Mais il était difficilement imaginable qu’elles puissent être aussi exécrables.

« Malheureux », « arrogant »… Jean-Luc Mélenchon piochait, avec délectation – sans se forcer – dans son abécédaire personnel des formules de politesse. On aurait pu croire un instant qu’il s’adressait à Yves Calvi mais, non, dans sa ligne de mire se trouvait bien le socialiste ministre du Budget, « Cher Monsieur importantissime Cahuzac ».

Imaginez que les hommes aient pu jusqu’en 2008 appartenir au même parti – le Parti socialiste, bien évidemment -, se croiser et collaborer dans les instances dirigeantes de la rue de Solférino – jusqu’à ce que Jean-Luc Mélenchon ne claque la porte pour rejoindre les communistes et la gauche de la gauche – paraissait tout simplement impensable. « Clown », rétorquait le ministre.

Si ces deux-là s’apprécient, avouons-le, ils l’ont bien caché… et on imagine que cela date.

Sans doute, Jean-Luc Mélenchon a-t-il quelques difficultés à imaginer qu’un autre que lui puisse exercer l’autorité, détenir le pouvoir. Sans doute aussi Jérôme Cahuzac a-t-il acquis une certaine assurance dans l’exercice de ces responsabilités. Mais on devine la rancœur plus ancienne…

Sans doute Jean-Luc Mélenchon n’a-t-il jamais vu d’un très bon œil ce médecin, élu du Sud-Ouest, reconverti dans la chirurgie plastique, et qui, cerise sur le gâteau, a réussi professionnellement et s’est quelque peu enrichi – au point d’avoir, dit-on, de l’argent ailleurs, hors de France (chose qui reste à prouver). Pour « Méluch’ » – comme l’ont surnommé certains de ses proches -, la politique n’a rien de cosmétique, c’est un combat, c’est un destin et, à ses yeux, l’adversaire est aisément petit bras – au risque d’être sous-estimé.

Une fracture idéologique profonde

Peu importe, à vrai dire, la nature exacte des relations – ou l’absence de relations entre les deux hommes -, une chose est certaine : leur affrontement a confirmé ce que l’on subodorait, c’est-à-dire l’ampleur de la fracture idéologique entre le gouvernement – et donc, jusqu’à preuve du contraire, le Parti socialiste – et le Front de Gauche, la gauche de la gauche.

Sur la réforme fiscale, par exemple, Jean-Luc Mélenchon et ses partisans réclament – arguant qu’elle avait été promise par le candidat François Hollande – une vaste réforme fiscale et la création – « recréation » puisque c’était le cas jusque dans les années 1980 – de 14 tranches d’imposition pour garantir une plus grande progressivité – mais aussi une plus forte taxation des plus hauts revenus.

« Elle est faite » – sous-entendu la réforme fiscale promise -, répond Jérôme Cahuzac.

Désaccord flagrant.

Jérôme Cahuzac : « Moi j’ai porté un budget au Parlement et vous vous portez un contre-budget, alors on va voir qui est réaliste et qui en l’est pas, »

Jean-Luc Mélenchon : « Sortez de vos chiffres pour venir dans la vie des gens ; l’argent ce n’est rien, la dette, ça vient après ».

Ambiance. Et sur la dette bis repetitae.

Jean-Luc Mélenchon : « Voilà ce que dira mon gouvernement (s’il arrivait au pouvoir) : ‘on paiera quand on pourra’. Et d’ici là, c’est la Banque centrale (européenne) qui va financer si jamais les taux d’intérêt explosent… La dette, on la paiera à mesure qu’on pourra. Et d’ici là, ceux à qui on (la) doit attendront »

Jérôme Cahuzac : « Cela ne marchera pas ce que vous dites »

Atmosphère, atmosphère.

Plus tard, c’est sur la question de la lutte des classes que les deux hommes s’affronteront. Ce sont bien deux traditions de la gauche qu’ont vu face à face les spectateurs de France 2. Avec Jean-Luc Mélenchon, une gauche radicale, altermondialiste, néo-marxiste, anticapitaliste. Avec Jérôme Cahuzac – représentant du gouvernement et de François Hollande -, un nouveau visage du « socialisme à la française » : social-démocrate sûrement, social-libéral – un qualificatif que Jean-Luc Mélenchon a adressé au ministre –peut-être… L’une aux manettes, l’autre non.

Jean-Luc Mélenchon ou la stratégie du pire

Jean-Luc Mélenchon a entamé 2013 sur les chapeaux de roue et les dernières minutes de l’émission l’ont attesté.

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes là pour prendre la relève »

Jérôme Cahuzac : « Vous ne prendrez jamais le pouvoir parce que vous êtes un homme seul »

Jean-Luc Mélenchon : « Seul avec des millions »

Il y a une dimension messianique chez Jean-Luc Mélenchon ou, tout du moins, une incroyable théâtralisation de son engagement politique et un sens de l’histoire – h minuscule et H majuscule. S’il s’en défend, prétend jouer « collectif », l’homme croit en son destin, ce destin qui lui vaudra une place à part dans le Panthéon de la gauche française – de Robespierre à Jaurès, de Blum à Mitterrand.

Dès lors, il fait sienne la rhétorique historique de la gauche radicale – longtemps « communiste » – face à cette gauche de gouvernement – plutôt socialiste ou radicale-socialiste. Jusque-là, les mots n’ont pas été prononcés publiquement, mais elle n’était pas loin l’insulte suprême à gauche, celle de « sociaux-traîtres » – reposant sur la conviction que, confrontée à l’exercice du pouvoir dans le cadre capitaliste, la gauche ne peut que trahir…

Jean-Luc Mélenchon tire sa stratégie de l’Histoire, mais aussi de ce qu’il juge être le sens de l’avenir et, pour cela, il regarde ailleurs. En Grèce notamment, et ailleurs dans cette Europe du Sud en crise. Et l’insulte suprême dans la bouche du n°1 du Front de Gauche, ce n’est pas « Angela Merkel » mais « George Papandréou », l’ancien Premier ministre socialiste grec…

Jean-Luc Mélenchon : « Vous allez à l’échec parce que tout le monde le sait. Vous avez déjà échoué en Grèce, en Espagne, au Portugal et en Italie.

« Vous serez Cahuzandreou avec Hollandreou, d’un plan à l’autre, austérité et austérité, et encore austérité »

Jérôme Cahuzac : « Arrêtez de faire le clown, vous méritez mieux que cela. Vous avez 4 millions de suffrages sur votre nom, cela ne vous autorise pas à faire le clown en direct à la télé. »

 

Zapping vidéo: sur France 2, l' »arrogant »… par LEXPRESS

Jérôme Cahuzac a sans doute tort. Jean-Luc Mélenchon ne faisait pas le clown, il rêvait à haute voix. Il rêvait d’un échec de la politique conduite par François Hollande, il rêvait d’une situation politique et sociale si dégradée qu’il lui appartiendrait, à lui, Jean-Luc Mélenchon et à ses camarades – portés par la rue si nécessaire –de fixer les termes d’une nouvelle politique pour une nouvelle majorité. Un Jean-Luc Mélenchon qui se rêvait à Matignon avant 2017 ou à l’Élysée en 2017…

Un Jean-Luc Mélenchon oubliant un détail de l’expérience grecque de ses camarades de Syriza, un Jean-Luc Mélenchon feignant d’ignorer que sa progression à lui, à l’extrême gauche, irait nécessairement de pair avec une progression symétrique de l’extrême droite. Un Jean-Luc Mélenchon qui annonce désormais clairement que lui, ses partisans et, probablement, ses alliés ont fait le choix de la « stratégie du pire ».

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