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Pourquoi Google s’intéresse à la Corée du Nord

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Le président exécutif de Google, Eric Schmidt, se rend en Corée du Nord ce mois-ci. Et comme quasiment tout ce qui touche à la Corée du Nord, l’annonce de ce voyage n’a pas manqué de générer son lot d’intrigues et de spéculations.

Un partenariat entre Pyongyang et Google ?

Officiellement, d’après Google, ce voyage serait une mission humanitaire personnelle, et ne sera donc pas commenté davantage.

Mais, selon des informations recueillies par Associated Press, l’agence de presse américaine, Eric Schmidt voyagera avec l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique, Bill Richardson, un habitué des négociations avec la Corée du Nord. Dès lors, on est en droit de supposer que les talents de négociateur de Richardson n’aboutiront pas uniquement à un cocktail avec sa petite ombrelle à l’hôtel Quatre Saisons de Pyongyang.

Quant à Eric Schmidt, il a toujours été un ardent défenseur de l’accès et de la liberté d’Internet, deux choses que peu de Nord-Coréens connaissent. Cependant, rien ne dit qu’il se rend à Pyongyang pour parler de cela.

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La Corée du Nord a des progrès à faire en jeux vidéo

Une attraction possible : la scène geek nord-coréenne est en plein essor, et, qui plus est, a déjà réalisé des projets pour au moins une grosse entreprise médiatique occidentale. Et d’après ce qu’il a déclaré lors de son discours du Nouvel An, Kim Jong-un perçoit le secteur des nouvelles technologies comme la pierre angulaire de sa « révolution industrielle » domestique.

Mais là encore, on parle bien de la Corée du Nord, et les connaissances des techniciens de Kim Jong-un sont très inégales. Fin décembre, des programmeurs nord-coréens avaient lancé un jeu vidéo nommé Pyongyang Racer, qui permettait aux joueurs de conduire autour de la capitale, à travers « d’authentiques » paysages urbains de Pyongyang.

Le site internet du jeu vidéo promettait « une version virtuelle, mais plus grande, de l’Arc de Triomphe français. » Il était également possible « d’obéir aux agents de la circulation, bien présents dans les rues de Pyongyang malgré l’absence totale de circulation. »

Bref, on n’était pas tout à fait dans Google Earth, mais il est certain que les programmeurs, certes compétents, ne demandaient pas à être payés très cher.

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Nosotek : fer de lance de l’informatique nord-coréenne

Pyongyang Racer était un jeu produit par Nosotek, la première – et unique – coentreprise de logiciels nord-coréenne, un studio regroupant 30 employés fondé en 2007. Selon son président allemand Volker Eloesser, elle a discrètement concocté quelques jeux dont certains sont devenus très populaires, comme c’est le cas pour un « très gros » jeu de rôle conçu pour la Wii de Nintendo.

Nosotek est également à l’origine d’un logiciel médical primé, et l’une de ses applications iPhone aurait déjà atteint le top 10 en Allemagne.

Le « Made in North Korea » encore « très stigmatisé »

Pyongyang est actuellement sous sanction des Nations unies, ce qui l’empêche de monter des partenariats avec des entreprises engagées dans le commerce d’armes – une règle qui ne concerne donc pas Nosotek. Pourtant, « nos clients ne souhaitent pas communiquer leurs noms, se justifie Volker Eloesser. Le label « Made in North Korea » este très stigmatisé. »

Les succès secrets de Nosotek

Il s’est avéré que Pyongyang Racer avait un prédécesseur resté secret. D’après le président de Nosotek, le projet était basé sur un jeu précédent, développé par la firme et publié sur Facebook par « l’un des plus gros lecteurs du marché des médias sociaux. »

C’est après une discussion dans un bar à bière entre Volker Eloesser et Nick Bonner, le co-fondateur de Koryo Tours, une compagnie de voyage indépendante basée à Pékin et spécialisée dans le tourisme nord-coréen, que le projet initial avait été transformé en une version sur le thème de Pyongyang.

« Nous pensions que cela ferait un grand jeu, explique Nick Bonner. Nous avons donc accepté de financer le projet pour en faire un jeu plus facile à jouer. »

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La technologie, une solution économique pour Pyongyang ?

Mais les geeks de Nosotek ne sont pas les seuls à créer des jeux. En 2007, une filiale de la firme News Corp de Rupert Murdoch avait réalisé deux jeux pour téléphones portables, basés sur deux films des années 90 : Men in Black et The Big Lebowski. Selon le site Bloomberg, ces jeux avaient été développés par la Fondation générale de la science et de la technologie nord-coréenne.

Alors que la Corée du Nord ne figure pas parmi les noyaux technologiques du monde, comme l’Inde ou la Chine, son régime est convaincu que la technologie peut l’aider à combler ses lacunes économiques. Le gouvernement a donc conclu des marchés avec des entreprises extérieures afin de faire entrer des devises étrangères en Corée du Nord.

Des informaticiens formés très jeunes

Les élèves ayant des compétences particulières en informatique sont repérés lorsqu’ils sont jeunes et envoyés dans des collèges spécialisés de Pyongyang. Les meilleurs d’entre eux intègrent par la suite la prestigieuse université Kim Il-sung ou l’université de Technologie Kim Chaek, équivalent nord-coréenne du MIT.

Des milliers de programmeurs légitimes sont déjà sortis de ces instituts. Cependant, des groupes de réfugiés anti-gouvernementaux dénoncent ces écoles : selon eux, elles formeraient des hackers que la Corée du Nord pourrait utiliser dans une cyber-guerre. Et selon les responsables du renseignement sud-coréens, ces unités auraient déjà lancé des dizaines de cyber-attaques vers des serveurs en Corée du Sud et aux États-Unis.

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La Corée du Nord, plus fiable que la Chine et l’Inde

Néanmoins, quelques entreprises continuent de penser que les bénéfices à tirer d’un partenariat avec la Corée du Nord restent plus importants que les risques liés à une potentielle perte d’image. « Contrairement à certaines entreprises indiennes, l’argumentaire de vente porte sur le prix ET la qualité, poursuit Volker Eloesser. Et les coûts du travail en Corée du Nord sont quasiment divisés par deux par rapport à ceux de la Chine. »

En Chine, « il n’est pas rare de voir des gens quitter leur emploi pour chercher un meilleur salaire avant que le projet soit complètement terminé, » ajoute-t-il. Il est clair qu’étant donné l’absence de concurrents commerciaux, les Nord-Coréens sont moins susceptibles de faire défection pour une autre entreprise ou de divulguer des éléments relatifs à la propriété intellectuelle.

Vers un secteur informatique nord-coréen autonome

Cependant, le royaume ermite culturellement éloigné reste source d’énigmes pour les gestionnaires occidentaux. D’après Volker Eloesser, les Nord-Coréens ne discutent quasiment jamais les ordres, et suivent les instructions même si le projet est irréalisable. Pourtant, selon lui, il s’agit d’un obstacle récurrent partout en Asie de l’Est.

« À l’heure actuelle, la direction locale fait du bon travail, » conclut-il, en faisant référence aux capacités d’apprentissage rapides dont font preuve les Nord-Coréens. En effet, Volker Eloesser ne passe plus la totalité de son temps à Pyongyang ; il a délégué jusqu’aux tâches les plus difficiles à ses camarades nord-coréens.

GlobalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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