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Au Nigeria, la sorcellerie pousse les femmes à la prostitution

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Benin City, Nigeria. Ayant grandi dans ce coin misérable du Nigeria, Naomi Benjamin a sauté sur l’occasion quand un homme lui a offert un emploi lucratif en tant que nounou en Europe. Elle pensait que le travail allait enfin la rendre riche, ou du moins, pas désespérément pauvre.

Sous l’emprise du sort « juju »

Des années plus tard, assise au milieu des chèvres devant une rangée de maisons en argile, elle sourit timidement quand elle raconte comment son optimisme l’a poussée à accepter de subir un sort « juju », garantissant qu’elle rembourserait la dette qu’elle aurait contractée en voyageant jusque là-bas.

Dans le cadre de ce sort, elle a offert des morceaux d’ongles et des cheveux. « J’ai juré que si je refusais de payer, le serment me tuerait », a déclaré Naomi Benjamin, maintenant âgée de 23 ans. Mais elle allait bientôt rompre le serment.

Au bout du voyage… la prostitution

Il lui a fallu dix-neuf jours pour se rendre en Europe, traversant le Sahara à l’arrière d’un camion avec très peu de nourriture et d’eau. Pendant sa première nuit en Italie, elle a été placée sous le contrôle d’une maquerelle, qui lui a ordonné de coucher avec un homme.

Quand elle a refusé, la patronne l’a battue. Naomi Benjamin s’est enfuie de la maison. Elle était perdue dans une ville étrangère, où elle ne connaissait personne et ne parlait pas la langue. Finalement, la police l’a trouvée. Elle a passé deux ans en prison avant d’être expulsée.

Des dizaines de milliers de femmes nigérianes se prostituent en Europe

En fuyant sa maquerelle, Naomi Benjamin est une exception. Les formules magiques ont un grand pouvoir sur les Nigérians, qui les obligent à faire des choses qu’ils n’auraient jamais voulu faire.

Selon les autorités nigérianes, en Europe, des dizaines de milliers de femmes nigérianes sont liées à l’esclavage sexuel. Ce ne sont pas des chaînes qui les retiennent, mais le sort « juju », une ancienne forme de magie d’Afrique de l’Ouest.

Les femmes se déplacent généralement volontairement en Europe, après qu’on leur a promis des emplois lucratifs. Mais comme condition préalable, chaque femme prête serment devant un prêtre traditionnel, s’engageant à rembourser une somme importante pour leur passage, ou bien elles trouveront la mort.

« Je ne savais pas que je devrais me prostituer »

Pendant l’interview, sous le soleil torride équatorial, dans une cour de terre proprette où les chèvres bêlaient à l’ombre, Naomi Benjamin semblait sûre d’elle, même si elle n’a eu que quelques années d’éducation. Mais son sang-froid est retombé quand elle s’est mise à repenser au sort « juju ».

« Ce n’était pas de ma faute », répétait-elle inlassablement. Ses yeux scrutaient la cour, comme si elle craignait que le sort ne la rattrape. « On m’a dit que quand je serai là-bas, je m’occuperai d’un bébé », poursuit-elle. « Je ne savais pas que quand je serai en Italie, je devrais me prostituer ».

À Edo, le trafic sexuel fonctionne encore largement

La plupart des femmes nigérianes liées à la prostitution en Europe viennent, comme Naomi Benjamin, de l’Etat pauvre d’Edo, qui abrite seulement 4 millions d’habitants du Nigeria sur plus de 160 millions.

« Le trafic sexuel à Edo était une grande entreprise ouverte dans les années 90, avant que les lois anti-trafic n’entrent en vigueur en 2000 », explique Grace Osakue, chef de l’organisation « Girls Power Initiative ». L’entreprise fonctionne encore, « mais en secret, retranchée dans l’économie locale », selon Béatrice Jedy-Agba, secrétaire exécutif de l’agence nationale de lutte contre le trafic sexuel au Nigeria, connue sous le nom de NAPTIP.

« Le trafic est suffisamment important pour qu’il devienne une source de préoccupation pour le gouvernement nigérian et pour la communauté internationale », explique Béatrice Jedy-Agba à GlobalPost, dans son bureau d’Abuja. « Nous avons aussi collaboré avec le gouvernement de l’Etat d’Edo, et ils sont également concernés et même alarmés par le nombre de citoyens impliqués dans ce trafic ».

Durcissement des lois et campagnes de sensibilisation

« Les lois contre ce trafic sont actuellement en cours de révision », ajoute-t-elle, afin d’alourdir les peines et de criminaliser les sorts « juju » qui empêchent les victimes de s’enfuir. Les organisations humanitaires et le gouvernement ont déclaré qu’ils effectuaient également des programmes de sensibilisation, pour essayer d’enseigner aux jeunes les dangers de l’immigration clandestine.

Les campagnes de sensibilisation fonctionnent, mais « il suffit souvent aux trafiquants de passer dans les zones rurales qui n’ont pas été aidées par les organisations humanitaires », ajoute Grace Osakue.

Comme Naomi Benjamin, les victimes sont souvent extrêmement pauvres et sous-éduquées. Les trafiquants locaux, souvent en accord avec leurs familles, réussissent à les convaincre qu’elles seront en sécurité et qu’elles rembourseront facilement leurs dettes.

« La plupart des enfants que vous trouverez en Europe qui sont victimes de ce trafic ne sont pas allés à l’école au-delà de cinq ou six ans », a-t-elle déclaré à GlobalPost/ JOL Press dans un jardin à l’extérieur d’une église d’Edo.

Même si elles ont été trompées, ces femmes sont souvent traitées comme des criminelles

Les femmes qui parviennent à rentrer sont en général en colère et embarrassées d’avoir été trompées en laissant leurs maisons. Mais elles ne se vengent presque jamais.

GlobalPost/ JOL Press a parlé à plusieurs femmes qui racontaient qu’on leur avait dit qu’elles allaient avoir un bon travail en Europe, mais elles ont été forcées à se prostituer. Lorsqu’on leur demande si elles connaissent la personne qui les a recrutées, quelques-unes hochent la tête timidement. Aucune d’elle ne dira autre chose à ce sujet, craignant des représailles.

Même si elles ont été trompées, ces femmes sont souvent traitées comme des criminelles, comme l’a été Naomi Benjamin. Et même après avoir réussi à échapper à des épreuves horribles, leur retour est souvent considéré comme un poids financier au Nigeria, qui manque de services nécessaires pour les aider.

La plupart, paraît-il, n’ont d’autre choix que d’essayer d’oublier le traumatisme qu’elles ont subi.

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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