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Chine: impossible d’être milliardaire sans avoir sa carte au Parti

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En 2011, la Chine comptait officiellement 146 milliardaires en dollars. Jet privés, yachts, vignes dans le Bordelais, ils ne cachent pas leurs yuans et goûtent au bling bling sans complexes. À la tête du géant des boissons Wahaha ou de Baidu, le Google chinois, ces patrons ont bâti des empires en quelques années. Élevés à l’économie de marché, ils sont plus jeunes que leurs homologues occidentaux, et bon nombre sont souvent des femmes. Originaires des villes mais surtout des champs, self made men sans le sou pour la plupart, ces « nouveaux ultra-riches » nous racontent leur histoire et leurs parcours souvent mouvementés.

Extraits de Chine – Les nouveaux milliardaires rouges, de Laure de Charette et Marion Zipfel (Archipel)

Aujourd’hui, voir un entrepreneur intégrer le Parti n’a plus rien d’exceptionnel. Et pourtant, les patrons privés n’ont été habilités à rejoindre les rangs du Parti que depuis le XVI e Congrès de novembre 2002. Après avoir interdit l’accès du Parti aux « capitalistes » en 1989, voilà que le président Jiang Zemin, leur déroulait désormais le tapis rouge. Dans un discours de 2001, le secrétaire général du Parti reconnaissait pour la première fois que les entrepreneurs servaient aussi la cause du « socialisme aux caractéristiques chinoises », demandant qu’ils obtiennent les mêmes droits politiques que les autres classes de la population. Être riche devient alors, au sens premier de l’expression, politiquement correct. Une réalité qui trouve son inspiration dans la théorie dite des « Trois représentativités ». Ce vague corpus idéologique, formulé par Jiang Zemin en 2000, stipule que le Parti ne représente plus uniquement les intérêts du prolétariat de la paysannerie, mais aussi ceux des « nouvelles classes sociales émergentes », au nombre desquelles… les entrepreneurs privés.

Cette doctrine, censée assurer au président Jiang une place dans l’Histoire chinoise, a aussi pour objectif de conférer au Parti une nouvelle source de légitimité. En voulant faire un ami de « l’ennemi » d’autrefois, Pékin espère éviter que les entrepreneurs privés ne s’organisent et ne revendiquent une repré- sentation politique spécifique. Car, en les absorbant, le Parti espère bien pouvoir, sinon les museler, du moins les neutraliser plus facilement. Collaborateurs du régime, endoctrinés au fil des ans, comment pourraient-ils le critiquer ouvertement ? En leur faisant l’honneur, d’ailleurs difficilement refusable, de rejoindre ses rangs, le Parti s’achète, à moindres frais, leur fidélité et leur silence. Et s’il approche et intègre en son sein des patrons d’entreprises présentes à l’étranger, c’est aussi parce qu’il voit en eux des VRP du régime, des ambassadeurs de choix susceptibles de véhiculer l’image de la Chine nouvelle.

Si cette ouverture au milieu des affaires a rendu fous de colère les partisans de la gauche néomaoïste, elle a été très bien accueillie par les entrepreneurs, qui ont répondu à l’appel. Même les plus jeunes sont séduits. Ding Shizhong, fondateur d’Anta, la plus célèbre marque chinoise de vêtements de sports, est à quarante-deux ans le plus jeune milliardaire député.

Attention néanmoins à ne pas surestimer la repré- sentation des entrepreneurs privés. Lors du XVIIIe Congrès qui s’est tenu à Pékin au mois de novembre 2012, dix ans après la réhabilitation officielle des entrepreneurs privés, seuls vingt-sept des 2 268 délégués présents étaient issus du secteur privé. Leur nombre progresse, puisqu’ils n’étaient que dixsept en 2007 et sept en 2002, mais ils ne représentent guère plus de 1 % des délégués, alors même que le secteur privé contribue à 60 % du PIB chinois.

Pourquoi cette politique de cooptation a-t-elle remporté un tel succès auprès des entrepreneurs ? Dans un pays où l’État reste un acteur majeur de l’économie, et en raison de l’insuffisance de l’État de droit, être dans les petits papiers du pouvoir est un passage obligé pour réussir en affaires.

— On ne peut devenir milliardaire en Chine sans de solides relations politiques, affirme sans ambages Bo Zhiyu, chercheur à l’Université nationale de Singapour et spécialiste de l’élite politique chinoise.

Impossible donc, en Chine, d’accumuler des milliards sans posséder la carte du Parti. C’est une façon de se rapprocher des détenteurs du pouvoir et, grâce à ce précieux réseau de relations, appelé guangxi, de décrocher une licence permettant l’exercice d’une activité économique particulière, d’obtenir des crédits, le meilleur terrain ou l’autorisation de lever des capitaux.

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Chine – Les nouveaux milliardaires rougesArchipel (13 février 2013)

Laure de Charette est correspondante du Nouvel Économiste à Singapour depuis 2010. Elle a notamment travaillé au service France du quotidien 20 Minutes. Elle est l’auteur de Gotha City, enquête sur le pouvoir discret des aristos (Ed. du Moment, 2009) et le coauteur du Guide des Bécébranchés (L’Archipel, 2009).

Marion Zipfel, diplômée en politique chinoise de la Chinese University of Hong Kong, vit à Singapour et collabore notamment à L’Expansion, ainsi qu’à plusieurs magazines spécialisés sur la Chine. Elle a co-animé l’émission Chine Hebdo sur BFM Radio. Avec Chenva Tieu, elle a mis sur pied SinoSphère, le premier magazine du PAF consacré à la Chine et diffusé sur France Ô.

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