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Criminalité en hausse à Kaboul: la population se tourne vers les talibans

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Ahmad tire un lot de coups de poings américains de sa poche pour illustrer sa peur de vivre dans son quartier de Kaboul. Parfois, explique-t-il, il se munit également de couteaux ou d’armes à feu.

La violence comme quotidien

« La nuit, lorsque les gens sortent dans le centre de Kaboul et souhaitent revenir chez eux, aucun taxi n’accepte de les reconduire, » raconte-t-il.

Telle est la vie des habitants de Compagnie, un vaste quartier situé à la périphérie de Kaboul, qui a glissé, sans crier gare, dans l’anarchie.

La violence et l’intimidation ne se constatent que dans la rumeur ou les chuchotements prononcés à huis clos. Mais il arrive qu’elles éclatent au grand jour, lorsque soudainement, un homme est battu ou assassiné en pleine rue.

Les responsables de cette violence sont alors différents en fonction de la personne à laquelle la question est posée. Au choix, il pourra s’agir d’insurgés, de fonctionnaires corrompus ou encore de criminels de droit commun. Une chose est sûre, tous les habitants qui ont témoigné pour Global Post/JOL Press ces derniers mois ont eu peur de donner leur réelle identité.

Talibans ou fonctionnaires corrompus

Le quartier de Compagnie se situe sur la route principale qui mène du centre de Kaboul au sud de l’Afghanistan et, au bout du chemin, on atteint la province de Kandahar. La majorité des habitants sont des Pachtounes, une communauté dont sont issus la quasi-totalité des talibans. Ici, beaucoup d’entre eux sont originaires de la province voisine de Maidan Wardak.

Ahmad fait partie de ces gens-là. Les premiers signes de difficultés dont il se souvient sont les assassinats de deux policiers lors de deux attaques, en plein jour, il y a quelques années. Depuis, les descentes de membres de la sécurité afghane dans les maisons sont devenues monnaie courante.

Ces évènements ont suscité du ressentiment à l’encontre des anciens membres du mouvement de l’Alliance du Nord qui, après avoir combattu le régime des talibans, sont accusés d’user de leur influence au sein du gouvernement pour discriminer la population locale.

Les arrestations et les actes de violence sont devenus quotidiens entre les deux parties, de sorte qu’il est aujourd’hui difficile de déterminer qui a vraiment commencé.

Les rebelles marchent « librement »

Ahmad dirige une entreprise locale située à quelques mètres de son domicile, pourtant, il n’oublie jamais ses coups de poings américains pour se rendre sur son lieu de travail. Son principal problème, c’est la criminalité ordinaire, les rebelles, biens connus de la population, qui « marchent librement. »

Pour illustrer son propos, il montre alors un homme, assis tout près, qu’il décrit comme un musulman qui connaît le Coran par cœur et qui a été actif dans la résistance.

« Je vais sans doute avoir des problèmes parce qu’il a vu que vous étiez journaliste, » déclare-t-il alors.

Pour le retour à l’ordre des talibans

La capacité des talibans à frapper au cœur de Kaboul a été révélée le mois dernier, lorsque des groupes de militants, lourdement armés, ont mis au point deux attaques d’envergure en pleine ville. Le premier a visé le siège des services des renseignements afghans tandis que la seconde a visé le quartier général de la police de la circulation.

Ici, les rebelles sont plus silencieux. La plupart ne voient pas le quartier comme un champ de bataille. Ils préfèrent se battre en province.

Omari est un rebelle de 25 ans, originaire de Maidan Wardak. Il affirme que l’insécurité dans le quartier de Compagnie a été alimentée par des personnes fidèles à Abdul Rabb Rasul Sayyaf, un des anciens chefs de guerre de l’Alliance du Nord aujourd’hui député.

Il accuse les disciples d’Abdul Rabb Rasul Sayyaf d’agir en toute impunité, de voler la terre et même d’avoir imposé aux résidents une taxe pour utiliser la voie publique.

« Les gens ici prient tous pour le retour des talibans afin que cette oppression cesse, » explique-t-il.

Kaboul entier est en danger

Les rumeurs concernant Compagnie sont souvent impossibles à vérifier de manière indépendante. Cependant, une chose est sûre, l’instabilité est en hausse et les préoccupations augmentent, ici comme partout dans la capitale afghane.

En fin d’année dernière, Shukria Barakzi, une députée de Kaboul, déclarait à Global Post/ JOL Press que, selon elle, les réseaux criminels alliés aux moudjahidines étaient à l’origine des troubles dans le centre, et autour de la ville.

Elle se plaignait alors que les postes clés, au sein des forces de sécurité, aient été politisés, ravivant de vieilles rivalités entre les factions de l’époque de la guerre civile.

« Il ne s’agit pas que d’un quartier de Kaboul, » déclarait-elle. « Malheureusement, la nuit, les soldats afghans en uniforme ne peuvent pas aller partout. »

Le gouvernement ignore le problème

La police affirme qu’elle contrôle la situation de la ville et se plaît à défiler dans la ville, devant la population et les médias, pour s’afficher auprès des hommes arrêtés, comme pour rassurer le public. Le gouvernement a quant à lui, à plusieurs reprises, rejeté l’idée que le pays allait sombrer dans le chaos lorsque les États-Unis se retireront.

Tout cela n’est d’aucun réconfort pour les habitants de Compagnie, qui vivent déjà dans un état développé de peur et de paranoïa.

Ismat, un ingénieur civil, raconte comment il vit quotidiennement la violence criminelle et politique.

Il explique que les forces de police ont aujourd’hui peur de garer leurs véhicules en dehors de leur propre maison et les familles de riches hommes d’affaires sont de plus en plus souvent la cible de kidnappeurs. Il accuse également les disciples d’Abdul Rabb Rasul Sayyaf de voler les terres et de terroriser la population.

« Après la prière du soir, tout le monde reste chez soi jusqu’à l’appel de la prière du matin, » finit-il par dire.

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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