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Dr Patrick Beauverie: «Il est impératif d’ouvrir des salles de shoot»

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Matignon vient de donner son feu vert pour tenter l’expérience d’une salle de consommation de drogue à Paris. Communément appelés « salles de shoot », ces centres étaient jusqu’à présent illégaux en France, mais existent déjà dans une dizaine de pays.

À l’origine de ce projet, l’ONG Médecins du Monde et Gaïa Paris, une association qui gère deux établissements médico-sociaux dans le domaine de la prévention et du soin en addictologie et toxicomanie.

Patrick Beauverie, est docteur en pharmacie et membre du conseil d’administration de Médecins du monde, il nous explique la nécessité de l’ouverture de ces « salles de consommation à moindre risque ».

JOL Press : Pourquoi faut-il, selon vous, ouvrir une salle de shoot à Paris ?
 

Patrick Beauverie : Pour nous occuper des personnes en grande précarité et consommatrices de drogue par voie intraveineuse. Nous visons en particulier une population marginalisée, sans domicile et très peu sensible aux dispositifs de soins spécialisés dans les addictions.

JOL Press : De quels dispositifs s’agit-il ?
 

Patrick Beauverie : Je parle des dispositifs qui garantissent  une prise en charge anonyme et gratuite à tous les consommateurs de drogues illicites qui souhaitent se faire traiter. Ces structures sont installées dans les quartiers les plus concernés ou vont à la rencontre des usagers grâce à des structures mobiles. Pour autant, de nombreuses personnes ne profitent pas de ces soins pour de multiples raisons : troubles du comportement, désocialisation. Il faut donc remédier à ce problème.

Les personnes qui se présenteront dans ce que nous appelons une salle de consommation à moindre risque et à visée éducative, devront être majeures et consommatrices de drogue. Avant toute consommation, elles passeront un entretien préliminaire avec un professionnel de santé ou une personne issue de la toxicomanie.

JOL Press : Quel est le premier objectif que vous visez en ouvrant ces salles ?
 

Patrick Beauverie : Nous voulons que ces salles aient avant tout pour objectif d’accueillir les personnes en grande difficulté. Nous souhaitons ensuite fournir du matériel à moindre risque et ce, dans un cadre éducatif. Il faut que les personnes qui se rendent dans ces salles perçoivent là où elles prennent des risques majeurs, en se piquant dans une artère, plutôt que dans une veine, par exemple. Enfin, nous voulons leur proposer une orientation vers un centre de soin spécialisé afin d’améliorer leur situation.

Il ne faut pas oublier que derrière le problème de la drogue, il y a un homme. En lui tendant la main, nous lui permettront de diminuer sa consommation. Il faut replacer la personne au cœur en ne perdant jamais de vue que ce sont des hommes ou des femmes responsables.

JOL Press : Que pensez-vous de la politique française en matière de réduction des risques liés à la consommation de drogue ?
 

Patrick Beauverie : La nouvelle politique est bien meilleure que la précédente, c’est un fait. Mais il y a tellement de choses à faire. Malheureusement, au regard du contexte économique actuel, ce n’est pas simple de développer beaucoup d’initiatives. S’il est normal que le gouvernement soit prudent, en 2010, un rapport de l’INSERM préconisait la création de quatre à cinq salles de consommation en France, à l’instar du Canada, de la Suisse ou même de l’Allemagne. Nous sommes donc bien loin du compte… Cependant, ces salles doivent rester expérimentales.

JOL Press : Pourquoi, selon vous, l’idée d’ouvrir une salle de consommation en France fait autant débat ?
 

Patrick Beauverie : En France, au lieu d’être pragmatique, on préfère poser des jugements moraux. À la fin des années 80, on refusait de mettre en place les échanges de seringues alors que le sida ne cessait d’augmenter. C’est contreproductif pour la santé des personnes. Vingt ans après la mise en place des échanges de seringues, on constate chaque année qu’il n’y a plus de nouveau cas déclaré de personnes atteinte du sida en lien avec des injections de drogue par voies intraveineuses.

Il faut avoir une réponse sanitaire pragmatique à un problème bien réel. Investir dans la prévention permet d’économiser en matière de santé mais d’économiser aussi les frais engendrés par les overdoses ou les incarcérations.

JOL Press : Avez-vous des exemples de villes où l’expérience a été positive pour les toxicomanes ?
 

Patrick Beauverie : Chaque salle est différente car tout dépend des dispositifs de soins dont dispose le pays. En Australie, on a constaté une chute de la mortalité par overdose et à Bilbao une amélioration de la prévention des risques. En France, les effets ne seront pas les mêmes.

JOL Press : Quel est le principal risque qu’encourt un toxicomane s’il n’est pas suivi ?
 

Patrick Beauverie : Le premier risque pour le toxicomane, c’est l’incarcération. La France est un pays extrêmement répressif sur le sujet. Ce qui est terrible, c’est qu’en prison ils continuent à consommer de la drogue sans prévention. En règle générale, les risques peuvent être liés aux produits, aux pratiques mais aussi aux conditions de vie, sans compter le risque majeur d’exclusion.

JOL Press : Combien coûtera cette salle de consommation qui sera installée en région parisienne ?
 

Patrick Beauverie : Entre 900 000 et 1 300 000 euros par an. Tout dépendra des locaux et du personnel à embaucher…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Pharmacien des hôpitaux et des collectivités, Patrick Beauverie est chargé d’enseignement et membre de la commission nationale des stupéfiants et des psychotropes ainsi que de la commission nationale des addictions. Impliqué dans le champ des addictions depuis 1993 et à Médecins du Monde depuis 1999, il a participé aux missions raves en France, au programme d’échange de seringues de Belgrade et aux programmes Réduction des risques de Kaboul et de Dar-Es-Salaam. Aujourd’hui, il est secrétaire général adjoint de Médecins du Monde.

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