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Dr V. Fournier: «L’éthique, ce n’est pas que le bien qu’on fait à l’autre»

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JOL Press : Le Collège national des gynécologues et obstétriciens a lancé le débat… Que pensez-vous, sur le principe, de l’autoconservation sociétale des ovocytes ?

Dr Véronique Fournier : Sur le principe, j’estime que l’on peut difficilement interdire à un individu de faire ce qu’il veut de son corps et des éléments de son corps. Il me paraît donc vraiment difficile d’interdire l’autoconservation des ovocytes par une femme en fonction de l’utilisation qu’elle compte en faire. Mais par ailleurs, je pense que l’on peut continuer en France d’être très strict sur la non-marchandisation du corps humain. Selon mon expérience, c’est un principe auquel les Français demeurent très attachés et qui est du reste l’un des fondements de la loi de bioéthique en vigueur.
On peut à mon avis très bien respecter les deux choses en même temps. Il n’y a pas forcément contradiction, bien que d’autres pays raisonnent différemment et considèrent que la liberté de disposer de son corps va avec la liberté de le marchandiser, comme aux États-Unis, par exemple .

JOL Press : Parmi les arguments avancés par les opposants, le coût d’une telle liberté…

Dr Véronique Fournier : C’est effectivement un argument très fort au plan éthique que le coût pour la collectivité. Si l’on considère l’autoconservation des ovocytes comme un « plus » sociétal et qu’on l’autorise par la loi, cela impliquerait d’en offrir la possibilité à toutes les femmes ; il faudrait le leur proposer quand elles ont 25 ans – puisque c’est l’âge où la qualité des ovocytes est la meilleure. Ces ovocytes devraient être conservés 25 ans, au moins, c’est à dire tant qu’une grossesse peut être envisagée … Et, si on le propose aux femmes, il n’y pas de raison de ne pas le proposer aussi aux hommes, puisque l’on sait que, sous l’effet de différents facteurs, la fertilité des hommes diminue aussi. La conservation des gamètes pour tous, c’est très cher ! Au plan technique, cela nécessiterait des installations colossales en matière de cryoconservation, une quantité de personnels spécialisés et l’organisation d’une garantie de qualité et de sécurité totales pour qu’il ne puisse pas y avoir d’échanges improvisés ou de détérioration des gamètes … L’État est-il prêt à mettre autant d’argent dans ce dispositif ? Aux dépens de quel autre secteur des dépenses de santé ?

JOL Press : Autre argument des opposants… les risques encourus par une femme soumise au prélèvement des ovocytes. Qu’en pensez-vous ?

Dr Véronique Fournier : Il y a un premier risque, afférent à l’exercice de la liberté individuelle et qui consiste en ce qu’une femme, parce qu’elle a conservé par précaution des ovocytes, se piège elle-même et attende trop de cette conservation : on ne dira jamais assez que la conservation des ovocytes ne vaut pas garantie d’enfant.  
Ensuite, effectivement, on ne peut pas sous-estimer la dangerosité du procédé utilisé. C’est une pratique qui n’est pas anodine pour une femme. Il y a des risques à la stimulation hormonale. Rien à voir avec la conservation de spermatozoïdes.

JOL Press : Comment savoir si ce risque vaut la prenne d’être pris ?

Dr Véronique Fournier : C’est la règle première de la médecine que la prise en compte du ratio bénéfice-risque, un ratio qui n’est pas toujours facile à calculer. Ensuite la question est de savoir si ce n’est pas à la femme, au nom toujours de sa liberté individuelle, de décider de quel risque elle est prête à prendre pour quel bénéfice, mais encore faut-il qu’elle soit pleinement informée. 

JOL Press : Les principes de l’éthique se heurtent-ils à l’économique et au social ?

Dr Véronique Fournier : Non, l’économique et le social font partie de l’éthique. L’éthique ne se réduit pas à uniquement vouloir le « bien » de l’autre, en pensant le bien de l’autre à l’aune de sa propre raison, comme on le croit trop souvent.
La réflexion éthique est plus complexe. Elle doit se préoccuper au moins de trois dimensions : ce que pense la personne concernée elle-même de ce qui est « bien » pour elle, ce que pense l’autre, celui qui doit agir, de ce qu’il doit à autrui pour son « bien », et enfin, la résonnance pour le collectif de la décision à prendre : le « bien » fait à celui qui est concerné impacte–t-il d’une façon ou d’une autre les autres : la société. A ce compte, l’égalité entre tous est un argument fort pour éventuellement limiter la liberté de chacun d’accéder à une nouvelle technique. Une fois de plus, les Français sont très sensibles à cet argument. Ils tiennent à notre système collectif de Sécurité Sociale et sont prêts à renoncer pour eux-mêmes à un avantage qui ne serait pas accessible à tous.  Ces trois dimensions sont indissociables.

JOL Press : Les débats éthiques se multiplient sur la scène publique. Est-ce à dire que nous approchons, en raison des progrès accélérés de la médecine, d’un véritable changement de société ?

Dr Véronique Fournier : Il y a toujours eu des questions d’éthique soulevées par la médecine.
Faut-il rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, l‘autopsie était contraire à l’éthique. Les questions éthiques se renouvellent sans cesse, elles viennent parfois des progrès de la médecine, mais beaucoup sont liées à l’évolution de la société et des mœurs.  Et beaucoup sont liées à un mélange des deux, comme par exemple les questions d’aujourd’hui autour de l’homoparentalité ou de la fin de vie.   

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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