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Entretien avec Beatrice Biagini: les élections italiennes vues de Paris

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JOL Press : Dans quelle atmosphère se déroule cette campagne électorale italienne ?

Beatrice Biagini : Cette campagne pour les élections générales – à l’Assemblée nationale et au Sénat – ne se déroule pas dans l’atmosphère que nous espérions.

L’électorat, dans son ensemble, éprouve une méfiance croissante envers les nouveaux partis qui ont fait leur apparition – comme la liste Monti en soutien au président du Conseil sortant. À gauche, il n’y pas d’alliance entre la coalition de centre-gauche – autour du Parti démocrate (PD) – et la gauche de la gauche.

Les médias semblent perdus, tiraillés entre une volonté de faire de l’audience – et, pour cela, de donner largement la parole à Silvio Berlusconi – et leur responsabilité au service de la démocratie.

Résultat, les débats ne se concentrent pas sur les problématiques essentielles, vitales pour le pays, et l’abstentionnisme progresse.

JOL Press : Comment s’organise la campagne des Italiens de l’étranger ? Comment s’organise la section parisienne du parti démocrate pour mobiliser les électeurs et les convaincre de voter pour ses candidats ?

Beatrice Biagini : Le mode de scrutin pour l’élection des députés de l’étranger diffère de celui en vigueur en Italie. Nos représentants sont élus à la proportionnelle mais avec un système de préférence – c’est-à-dire que l’électeur vote pour une liste mais choisit aussi, sur cette liste, le candidat qui a sa préférence.

Dans ces conditions, il est important que les candidats puissent se faire connaître et aient l’occasion de convaincre les électeurs de leur accorder leur préférence. Pour cela, nous nous efforçons de faire tourner les candidats, de leur donner le maximum d’occasions de s’exprimer en public. Nous faisons donc une campagne de terrain avec des réunions dans les grandes villes de la circonscription européenne. À Paris, par exemple, nous avons reçu un grand nombre des 10 candidats à l’Assemblée nationale et des quatre candidats au Sénat pour l’Europe.

JOL Press : La gauche a organisé à l’automne 2012 des primaires, un succès de l’avis général. Cela vous a servi d’entraînement pour la conduite de cette campagne…

Beatrice Biagini : Oui, bien sûr. Pour les primaires, nous avions à Paris cinq bureaux de vote et il y a eu au total environ un millier de votant – qui se sont déplacés ou ont voté via Internet. Sur l’ensemble de l’Italie, 4 millions d’électeurs ont participé à ces primaires de la gauche. C’était un véritable défi – car si, lors de notre première expérience de primaire en 2005, la victoire de Romano Prodi paraissait évidente, cette fois, le jeu était ouvert.  

JOL Press : Les Italiens de Paris ont voté comme les Italiens d’Italie ?

Beatrice Biagini : L’électorat de gauche à Paris, au sein de la communauté italienne, est quelque peu plus radical que l’ensemble de la gauche italienne. Au premier tour, c’est Nichi Vendola, le président du parti Gauche, Ecologie et Liberté (SEL), qui est arrivé en tête – alors qu’il n’était que troisième au niveau national. Son positionnement plus à gauche, pour le mariage gay et la naturalisation des étrangers, a séduit ici.

Dans ces conditions, nous craignions une plus faible participation à l’occasion du 2nd tour entre Pierluigi Bersani et Matteo Renzi. Il n’en a rien été. Les Italiens de Paris ont largement choisi Pierluigi Bersani, comme le reste des Italiens de gauche.

JOL Press : À quelles problématiques se montre particulièrement sensible l’électorat italien de Paris?

Beatrice Biagini : Il existe différents types d’émigration et nous devons prendre en considération leurs différentes aspirations. La nouvelle émigration, émigration récente, le plus souvent des membres des professions intellectuelles ou artistiques, reste très concernée par la situation en Italie et montre une très grande motivation. Ces gens ne sont pas à l’étranger depuis longtemps et n’entendent pas nécessairement rester éloignés très longtemps.

Mais, il y a aussi l’ancienne émigration. Des populations d’origine italienne, en France depuis des décennies mais qui conserve une résidence secondaire en Italie. Ceux-ci sont concernés par les problématiques de retraite ou de fiscalité, fiscalité du patrimoine ou fiscalité du travail.

La nouvelle émigration est très sensible aux questions européennes, à la circulation des biens et des personnes, à l’ébauche d’une harmonisation fiscale européenne.

Des préoccupations différentes… Mais, une mobilisation très forte, des débats constructifs. Même si, cette année, nous n’avons pas de candidat parisien sur les listes.

JOL Press : Cinq bureaux de vote à Paris, cela demande une sacrée logistique…  

Beatrice Biagini : Oui, effectivement. Pour cela, nous pouvons compter sur l’aide du Parti socialiste français qui met notamment à notre disposition des locaux ainsi que ses militants qui nous soutiennent dans notre démarche. Nos camarades socialistes ont compris que ce qui se joue en Italie est essentiel et il convient de lutter contre la menace populiste incarnée, entre autres, par Silvio Berlusconi. La semaine dernière, Harlem Désir a accordé une longue interview au journal L’Unita et a apporté son soutien sans réserve à Pierluigi Bersani et au Parti démocrate.

C’est la même chose en Allemagne avec le SPD, au Royaume-Uni avec le Labour ou en Espagne avec le PSOE. Plus fondamentalement, cela montre l’émergence d’une force démocrate, force de gauche, à l’échelle européenne.

JOL Press : Des élections qui s’annoncent plutôt favorablement pour votre mouvement. Il y a de grandes chances que Pierluigi Bersani soit le prochain président du Conseil italien, n’est-ce pas ?

Beatrice Biagini : Les sondages sont encore incertains et ils évoluent rapidement. Il convient donc d’être prudent.

À l’heure actuelle, à deux semaines du scrutin, il semble effectivement que la gauche, la coalition dirigée par Pierluigi Bersani, puisse obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Elle arriverait en tête et bénéficierait d’une prime majoritaire qui lui assurerait le contrôle de la chambre basse.

En revanche, au Sénat, la situation est très incertaine. Le mode de scrutin prévoit une prime majoritaire au niveau régional. Ce système pourrait priver Pierluigi Bersani d’une majorité sénatoriale ou lui donner une majorité très courte. Dans ces conditions, tous les scénarios sont possibles.

Je vous rappelle, qu’en Italie, les projets de loi doivent être votés par les deux assemblées et qu’il n’y pas de majorité sans majorité dans les deux assemblées.

JOL Press : Dans un tel cas de figure, Mario Monti pourrait détenir la solution…

Beatrice Biagini : Effectivement, il faudra attendre les résultats définitifs et, en particulier, les résultats des petits partis – au centre-droit – susceptibles de venir appuyer une majorité de gauche.

Une chose est certaine : si les Italiens sont retournés prématurément aux urnes, ce n’est pas pour qu’en ressorte un nouveau gouvernement technique. L’Italie a besoin d’un gouvernement politique.

L’Italie a besoin d’un gouvernement politique et a besoin de stabilité. Pour réformer notre pays, il faut du temps et un gouvernement s’appuyant sur une courte majorité, contraint de retourner devant les électeurs d’ici un an ou un an et demi, ne serait pas en mesure de conduire les réformes nécessaires pour l’Italie et pour l’Europe. Le gouvernement qui sortira des urnes les 24 et 25 février doit pouvoir gouverner pendant toute une législature.

Cette conviction semble largement partagée par la classe politique italienne, par Pierluigi Bersani ou Nichi Vendola à gauche, par Mario Monti et Gianfranco Fini au centre-droit et à droite. Un seul des candidats se distingue en la matière, comme dans d’autres, c’est Silvio Berlusconi, engagé dans une croisade personnelle.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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