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Festival de Berlin: comment Hitler a contribué à l’âge d’or d’Hollywood

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Deux mois après la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier allemand en 1933, les juifs travaillant dans l’industrie allemande du film révolutionnaire ont été avertis qu’il n’y aurait plus de place pour eux dans le cadre du nouveau régime nazi.

Fin de l’âge d’or du cinéma de Weimar…

« Nous ne tolérerons plus, même de loin, que ces idées, que l’Allemagne a éradiquées à la racine, soient capables de faire leur chemin, que ce soit ouvertement ou subrepticement dans ces films », annonçait le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, au mois de mars 1933. Dès le lendemain, le puissant studio UFA (Universum Film AG) annulait les contrats de la plupart des juifs qui y travaillaient.

Ainsi commença la plus grosse rupture dans l’histoire du film allemand, marquant la fin de l’âge d’or du cinéma de Weimar. Bientôt, non seulement les juifs, mais aussi toute personne située à gauche politiquement commencèrent à fuir le pays, suivis de tous ceux qui ne voyaient plus de place pour eux dans ce qui allait devenir la machine de propagande du Troisième Reich.<!–jolstore–>

… et début de l’âge d’or hollywoodien

Leur départ aiderait aussi à transformer une autre industrie du film : Hollywood. Des quelques 2000 professionnels du film qui quittèrent l’Allemagne dans les années 1930, beaucoup atterrirent en Californie, emmenant avec eux des techniques pionnières en la matière, qui auront un impact durable sur le film américain.

Cette semaine, le festival international du film de Berlin les honore dans une rétrospective baptisée « The Weimar Touch ». Plus de trente films produits entre 1933 et 1959 seront dévoilés dans un programme élaboré conjointement par la Deutsche Kinemathek et le Musée d’art moderne de New York.

La sélection explore non seulement les films réalisés par ces immigrants après qu’ils ont quitté l’Allemagne, mais aussi leur influence sur le cinéma international en général, de leur mise en scène expérimentale et leurs techniques d’éclairage à leur manière caractéristique de voir le monde.

« Le cinéma de Weimar s’intéressait non seulement à la surface des choses mais aussi à la profondeur de ce qui était dessous », a expliqué le directeur de la rétrospective, Rainer Rother, dans une interview. « C’était plus un cinéma du doute que de l’assurance, très ouvert aux nuances et aux ambiguïtés ».

Cinéma de Weimar : le grand élan d’énergie créative

Le cinéma est l’un des arts qui a fleuri sous l’Allemagne de Weimar, une période de démocratie naissante et de grande instabilité entre la fin de la Première Guerre mondiale et la montée des nazis au pouvoir. L’incertitude politique et économique s’est en quelque sorte traduite en un grand élan d’énergie créative qui n’a jamais été égalé.

Bien que les travaux expérimentaux comme Docteur Caligari, Nosferatu et Metropolis soient peut-être les premiers à venir à l’esprit lorsque l’on parle de Weimar, l’Allemagne peut aussi se vanter d’une industrie cinématographique commerciale dynamique, qui a vu émerger des comédies, des comédies musicales et autres spectacles populaires pour le marché intérieur comme pour la distribution internationale.

L’industrie du cinéma allemand en exil : « nous avons besoin d’eux »

Mais la période la plus créative et productive du cinéma allemand a pris fin avec l’exode qui a commencé en 1933. Fritz Lang, Billy Wilder, Peter Lorre, Douglas Sirk, Max Ophüls, Robert Siodmak et Max Reinhardt étaient quelques-uns des acteurs, réalisateurs et autres à quitter les lieux.

En juillet 1933, le légendaire producteur américain Samuel Goldwyn envoie un télégramme aux reporters pour annoncer qu’Hollywood accueillerait des réalisateurs allemands qui, « à cause de leur héritage juif, ont été privés de leurs moyens de vivre et d’exploiter leur talent. Nous ne faisons pas que les inviter, mais ce qui est encore plus important, c’est que nous avons besoin d’eux ».

Les règles d’immigration américaines n’ont pas rendu le voyage facile, cependant. Des initiés d’Hollywood, comme Marlene Dietrich, Ernst Lubitsch et l’agent Paul Kohner ont joué un rôle crucial en aidant quelques-uns des nouveaux arrivants à trouver des emplois qui leur permettraient d’obtenir des visas.

Certains cinéastes choisissent de rester en Europe

Alors que beaucoup ont tracé leur chemin droit vers la côte ouest, d’autres ont essayé de rester en Europe. La rétrospective inclut plusieurs de leurs films, réalisés dans des pays comme la France, la Hongrie et l’Angleterre, où le scénariste-réalisateur Emeric Pressburger est devenu un pilier essentiel du film d’après-guerre.

Cependant, plus de la moitié du programme de la rétrospective de la Berlinale est dédiée à Hollywood, le seul endroit vraiment sûr après que l’invasion de la Pologne en 1939 ne lance la marche d’Hitler sur toute l’Europe.

Casablanca peut-être le plus connu de tous les films d’exil a été présenté par Isabella Rossellini, la fille d’Ingrid Bergman. Beaucoup des membres du casting ne connaissaient que trop bien la lutte désespérée pour échapper à la menace nazie.

Après les difficultés, les opportunités

Cependant, partir pour Hollywood n’était qu’une partie de la bataille pour beaucoup d’exilés européens qui ont trouvé difficile l’arrivée sur le terrain.

[image:2,s]Les réalisateurs et les acteurs se sont souvent trouvés face à des difficultés de langage, et c’est seulement après que les Etats-Unis sont entrés en guerre en 1941 que des grosses opportunités se sont ouvertes pour ceux qui avaient un accent allemand : les gros studios américains ont en effet commencé à tourner des films anti-nazis à foison.

Ironie de l’histoire : la plupart des acteurs, juifs, ont trouvé du travail en interprétant les nazis qu’ils avaient fuis. Les choses ont été plus faciles pour les compositeurs Franz Waxman, oscarisé à deux reprises, et Frederick Hollander, ainsi que les réalisateurs de renom, comme Lang, Ophüls et l’impresario Max Reinhardt, qui ont été accueillis à bras ouverts.

L’autocratique Fritz Lang, avec son monocle caractéristique, a connu un immense succès, réalisant 22 films américains. La rétrospective montre son premier, Furie (1936), histoire d’un homme innocent, pourchassé par un gang de lyncheurs, qui cherche ensuite à se venger – que l’on peut voir comme une critique du fascisme – ainsi que le film ouvertement anti-nazis : Les bourreaux meurent aussi.

Les cinéastes allemands excellent dans le genre du « film noir »…

Cependant, la rétrospective est beaucoup plus tournée vers la manière dont les nouveaux immigrants ont influencé le cinéma sur leurs nouvelles terres, spécialement dans un genre qui deviendra plus tard connu sous le nom de « film noir ». Ses pulp stories (« histoires à sensations ») d’hommes violents et de femmes fatales, souvent tués dans une sorte d’éclairage très contrasté, explorant le côté sombre de la nature humaine, doivent beaucoup au film expressionniste allemand.

La rétrospective inclut des œuvres comme L’évadée d’Arthur Ripley (1946), ou La Soif du mal d’Orson Welles (1958), considéré comme le dernier vrai film noir avec, en actrice principale faite pour ce rôle, Marlene Dietrich.

… mais aussi dans les comédies

Il y avait d’autres influences de Weimar en plus du film noir – dans les comédies, les comédies musicales et les mélodrames comme Qu’elle était verte ma vallée, de John Ford. Ce dernier montre dans ce film l’influence qu’il doit à Friedrich-Wilhelm Murnau, réalisateur des grands classiques comme Nosferatu (1922), Le dernier des hommes (1924) et Faust (1926).

Murnau a déménagé à Hollywood dans les années 1920 et a travaillé aux côtés de Ford dans les studios Fox. Son utilisation particulière de la lumière et des ombres pour raconter des histoires, comme dans son film muet L’Aurore, a eu un impact majeur sur Ford.

« Certains l’aiment chaud » : un film aux accents weimariens

La série se termine par la comédie de Billy Wilder, réalisée en 1959, Certains l’aiment chaud. Wilder, arrivé aux Etats-Unis sans connaître quasiment un mot d’anglais, a connu une ascension fulgurante en tant que scénariste et réalisateur, en passant du genre noir comme dans Assurance sur la mort (1944) à des comédies souvent acerbes comme l’oscarisé La Garçonnière, qui s’inspire de sa vision amère de la nature humaine.

Certains l’aiment chaud, histoire de deux musiciens déguisés en femmes pour échapper à la mafia en Floride dans les années 1920, « présente quelques éléments caractéristiques du cinéma de Weimar », explique Lawrence Kardish, ancien conservateur au MoMA de New York, qui a aidé à rédiger le programme de la rétrospective.

« C’est un grand film de Weimar en termes d’humour, de cynisme, de violence et de rôle des sexes », a-t-il déclaré lors d’une table ronde à Berlin.

Les cinéastes immigrés portaient en eux la culture de la République de Weimar

Même si les cinéastes immigrés ont exploré la société américaine et contribué à l’âge d’or d’Hollywood, ils n’ont cependant jamais abandonné leur propre vision du monde influencée par Berlin.

« Ils étaient les produits de la République de Weimar », raconte Rother. « Bien sûr, ils ont dû faire face à de nouvelles conditions et modes de réalisation d’un film, mais ils portaient en eux cette culture ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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