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Le film sur la GPA qui montre, derrière les sourires, le malaise

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Alors que presque tous nos élus, non sans contradiction parfois avec leurs positions passées, répètent qu’il n’est pas question de GPA en France, ce documentaire Naître père de Delphine Lanson est presque unanimement salué par la presse avec des qualificatifs allant de « bouleversant » à « indispensable ». L’idée est qu’il remet en question les « préjugés » à l’encontre de la GPA, présentée comme une pratique altruiste. Le Monde n’hésite pas à titrer son commentaire : « La GPA, tout simplement » … 

Héroïsme et gratitude ?

 
Or ce « documentaire », ou plutôt mise en scène d’un fait réel, est en réalité un film promotionnel sur la GPA. La campagne de communication organisée autour de sa sortie est de ce point de vue significative (1). Le point d’orgue, si l’on ose dire, en est la publication sur Rue89 par Irène Théry, grande prêtresse de la légalisation de la GPA en France, d’une sidérante « lettre » à la mère porteuse du film, sur le thème de l’héroïsme et de la gratitude (2).
 
Un tel film mérite donc qu’on s’y arrête, sans naïveté. Commençons par ce qui sonne vrai : l’histoire d’amour entre les deux pères « d’intention », leur désir de paternité et leur volonté d’être de bons parents. Ensuite, ce qui fait que l’on sort de la salle mal à l’aise : tout le reste.
 
Naître père évacue d’une pirouette la question financière : « 80 cents par heure », ce ne peut être un paiement. C’est l’un des dénis majeurs du film. L’unique raison invoquée pour son action par la mère porteuse, agricultrice du Wisconsin, est sa propre difficulté à avoir des enfants et son envie d’aider une autre famille. Un seul refrain tout au long du film : l’altruisme, la générosité, l’héroïsme. Peu est dit sur les intermédiaires. Les protagonistes évoquent sans s’appesantir « l’agence ». Le dossier de presse du film (3) cite parmi les intervenants la « responsable de l’association américaine ». Serait-ce donc sans but lucratif ?
 

Le coût moyen de l’ensemble du processus est de 100 000 $ ou plus

Trois clics sur Internet montrent qu’elle est en fait « program director » du « Surrogacy Center LLC4 » de Madison, Wisconsin, société commerciale. Cette société ne donne pas de tarif en ligne, mais son site renvoie vers des coupures de presse : le coût moyen de l’ensemble du processus est de 100 000 $ ou plus, et le Madison Surrogacy Center conseille pour la mère porteuse une rémunération (« fees ») de 15 000 à 25 000 $.
 
Ce discours altruiste est servi par toutes les sociétés de GPA. Il est également avancé outre-Atlantique par les mères porteuses comme motivation, bien que des études aient relevé la part d’autojustification d’un tel propos (5). Comment expliquer, si l’argent n’est pas un but, qu’aux Etats-Unis les mères porteuses, sans être en situation de grande pauvreté (catégories exclues comme problématiques), appartiennent toutes à des foyers à revenus modestes (6) ? Il y a toujours asymétrie de revenus entre la mère porteuse et les parents d’intention. Ici : agricultrice du Wisconsin vs. parisiens des beaux quartiers.
 
La question des risques pour la santé ? Il y a bien un peu d’inquiétude à la fin pour un petit problème de plaquettes, mais rien que de très bénin apparemment. Que se serait-il passé si cela avait été plus grave ?
 
Autre malaise : les enfants de la mère porteuse, trois fillettes de 5 ou 6 ans, en pleine confusion sur leur position vis-à-vis des bébés. Elles ont compris que les deux gentils Français ne peuvent avoir un enfant seuls : « ce ne sont pas des filles ». Mais elles en tirent des conclusions hâtives : « Ils n’ont pas de maman ? ». Leur père les rassure, ils en ont une. Leur mère leur explique comment elle va aider les deux Français : un médecin les a aidés à « fabriquer » des bébés qui vont « pousser » dans le ventre de maman, mais qui ne seront pas leur frère et leur sœur.
 

Après l’accouchement, la mère porteuse n’est pas au clair sur ses liens avec les bébés

Elles ont compris, paraît-il. Elles considèrent tout de même que ce sont « leurs » bébés, et tiennent absolument à venir les voir à la maternité. On nous montre une photo avec le visage tout souriant de l’une collé contre le ventre, bariolé de dessins et de mots doux (7), dans lequel « poussent » les deux bébés  (l’un issu des gamètes du premier père, l’autre de ceux du second)  pour lesquels elle se passionne … mais qui ne seront pas ses frère et sœur. Gare au réveil.
 
L’ambivalence de l’attitude de la mère porteuse, l « héroïne » de Naître père, saute aux yeux de qui veut bien voir au-delà des discours convenus et du « bonheur » affiché. La franche jovialité des débuts fait place au fil du temps à des sourires plus forcés. La volonté d’en finir est évidente. Lorsque l’un des pères d’intention lui raconte avoir rêvé qu’il était « enceinte », elle fait état de ses cauchemars. On apprend qu’ils sont bizarres, très « réels » et la réveillent au milieu de la nuit. Rien à voir avec les bébés ou la grossesse, s’empresse-t-elle de préciser.
 
Pourquoi cet empressement, quel refoulement exprime-t-il ? Le malaise est palpable. Le visage comme le ton sont sombres. On n’en saura pas plus, le plan aura duré moins longtemps que ceux qui s’attardent sur les paysages enneigés du Wisconsin. Si les cauchemars de femme enceinte sont un phénomène connu, ils sont le signe de l’importance de ce qui se joue pour la femme durant la grossesse. On ne peut alors s’empêcher de se demander si ce qui se joue là, enseveli sous ces torrents de guimauve, ne serait pas au fond d’une grande violence. 
 
Après l’accouchement, la mère porteuse n’est pas au clair sur ses liens avec les bébés. Interrogée sur son lit d’hôpital, elle cherche les mots : « c’est bizarre, je ne veux pas dire qu’ils m’indiffèrent (…) j’ai eu cette première vague d’émotion quand je les ai vus la première fois (…) », mais après « c’est différent », « je suis soulagée qu’ils aillent bien, (….) je me sens responsable d’eux », mais « maintenant qu’il ne sont (un temps d’hésitation) plus en moi, (rire un peu nerveux) je peux relâcher la pression, (puis, très vite), j’aimerais recevoir des photos (…) quand ils grandiront  ». « Je me sentirai toujours liée à eux ».  
 
Elle est « heureuse » pour les pères d’intention, « heureuse » qu’ils aient été là depuis le début pour créer un lien avec les bébés,  « comme les mères le font d’habitude ». Enfin : « c’était vraiment une bonne expérience » … Comment ne pas entendre, derrière ces efforts d’autosuggestion, le désarroi qui pointe dans ces mots, ces attitudes d’une femme encore livrée à la vérité des émotions premières ?
 
Sur son site, le Surrogacy Center prévient : les relations avec la mère porteuse dépendent « entièrement » des parents d’intention, certains restent en contact occasionnel avec elle, certains sont très impliqués durant la grossesse et en salle d’accouchement, mais « la relation s’arrête là ».
 
Au-delà de l’appareil sentimental développé durant Naître père, de l’avalanche de sourires et de discours sur l’amour, on est frappé par l’impression de solitude donnée par la mère porteuse et son mari lorsque les « pères d’intention » repartent avec les bébés qu’elle a portés pendant 9 mois. Petite larme discrète de la mère porteuse. « Ca va aller », la réconforte son mari … Puis retour sur la joie des nouveaux « parents » et de leur famille française, sujet principal de la fin du film avec l’obtention des passeports fièrement exhibés.
 

La loi française est un méchant tigre, mais c’est un tigre de papier

A propos de passeports, tous les conseils utiles ont été donnés par l’ADFH (Association des famillles homoparentales), qui milite pour la légalisation de la GPA dite « éthique » en France et trouve dans Naître père une tribune. Le droit français est vilipendé, de même que, selon l’expression employée par le président de l’ADFH, sa prétention à l’ « extra-territorialité ».
 
Quelques difficultés attendent les « parents » : il y aura « présomption de GPA » et difficultés pour la transcription des actes. Mais ils peuvent être rassurés : dès lors qu’ils auront suivi tous les bons conseils et obtenu du juge américain (qui posera aux trois quart du film tout sourire avec les bébés dans les bras) leur statut de parent, grâce au déni de paternité accordé par le mari et les vérifications d’usage quant à l’expression des consentements, puis les passeports idoines, rien ne pourra s’opposer à leur retour en France avec les bébés.
 
Le message est clair : la loi française est un méchant tigre, mais c’est un tigre de papierNaître père a été tourné avant la circulaire Taubira. Il est sorti juste après.

Bande-annonce de Naître père, de Delphine Lanson.

 
 
Notes :

1. Avant-première organisée dès le 7 février par Yagg au « Jeudi, c’est gay-friendly » avec la réalisatrice, les deu pères et le président de l ‘AFDH, en pointe dans le combat pour la légalisation de la GPA. Soirée-débat le 14 février au MK2 Beaubourg avec la réalisatrice, Irène Théry et le président de l’AFDH …

2. http://www.rue89.com/2013/02/12/lettre-une-mere-porteuse-en-france-ils-nous-regardent-comme-des-salauds-239550.

3. http://www.levox.fr/IMG/pdf/DP_Nai_tre_Pe_re_VF.pdf.

4. Limited liability company, équivalent de nos SARL.

5. Notamment : Ciccarelli J.C. et Beckman L.J. : Navigating Rough Waters : An Overview of Psychological Aspects of Surrogacy, Journal of Social Issues, 2005 ; Ragone, H. : Surrogate motherhood : Conception in the heart, Boulder, CO : Westview Press, 1994.

6.  Ibid.

7. On trouve un autre exemple de ce genre de mise en scène du ventre sur le site de la société de GPA.

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