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Le roi dollar, jusqu’à quand?

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Dans leur ouvrage, Jacques Trauman et Jacques Gravereau revisitent les moments clés, les grandes avancées et les ruptures de l’histoire monétaire. On se souvient peut-être de Franklin Roosevelt, qui décida de dévaluer massivement le dollar en 1933, contre l’avis de tous ses conseillers, avec un plein succès. Sans doute aussi de la réussite inouïe du franc germinal de Napoléon.

Mais que reste-t-il du grand Solon, qui effaça la dette grecque et créa la première grande monnaie en 594 av. J.-C. ? Qui est donc Félix de Parieu, concepteur prémonitoire de l’ancêtre de l’euro, l’Union latine, au XIXè siècle ? A-t-on bien saisi les fulgurances de Jean de Médicis au XIVe siècle ou de John Law au XVIIIe ?

Extraits de Les alchimistes de la confiance, une histoire des crises monétaires, de Jacques Trauman et Jacques Gravereau (Eyrolles)

Le thème de l’abandon du roi dollar redevient à la mode. La création de l’euro, en 1999, semble présenter une alternative crédible au billet vert. Les réserves de change des banques centrales étaient constituées à 72% de dollars au début des années 2000. Elles baissent à 64% à la fin de la décennie, mais le monopole du dollar n’est encore que faiblement écorné.

Rien n’y fait, même la quasi-faillite financière mondiale, partie des États-Unis en 2007, qui atteint sa catharsis en septembre 2008. Les plans de sortie de crise vont creuser encore plus la dette publique américaine. Celle-ci passe d’un tiers du PIB américain en 1993 à plus de 100% en 2011. Mais le dollar a un avantage sur l’euro: on peut le laisser filer. Non pas le dévaluer, comme dans le bon vieux temps, car nous sommes désormais dans un système de changes flottants instantanés. Mais « monétiser » la dette en la faisant racheter par la banque centrale, la Fed.

Pour ne pas effaroucher les marchés, Ben Bernanke, le président de la Fed au moment de la grande crise, use d’un vocabulaire lénifiant et d’une technique émolliente : le « Quantitative Easing ». Et de fait, la valeur du dollar s’allège considérablement face aux autres grandes monnaies convertibles (ce que l’on appelle le « dollar index »). En 2009 et 2010, les États-Unis financent ainsi leur reprise économique en retrouvant de la compétitivité externe. Pendant ce temps, les pays membres de l’euro, saisis de juridisme, restent scotchés sur place !

Il y a sur la 5e Avenue de New York, une grande horloge nommée « National Debt Clock », qui égraine en temps réel l’évolution de la dette publique. En septembre 2008, le montant de la dette atteignait 10 000 milliards de dollars et il fallut, en catastrophe, ajouter une colonne à l’horloge, car personne n’avait prévu que la dette puisse monter si haut. Et encore, si l’on devait ajouter à ces chiffres les engagements « hors-bilan » (c’est-à-dire les garanties données ou les engagements pris mais non encore déboursés, comme par exemple l’assurance médicale ou les retraites), on atteindrait, selon certains économistes, le chiffre presque incroyable d’une dette de 200 000 milliards de dollars, 13 fois le PIB américain !

Les factures du monde – les factures sérieuses des grands échanges et de l’énergie – continuent pourtant à être massivement libellées en dollars, de même que les transactions des marchés financiers planétaires, dont le cœur du réacteur a un centre de gravité anglo-saxon, à Wall Street et à la City de Londres. Ce ne sont aujourd’hui ni l’euro, ni le yen, ni le yuan qui peuvent sérieusement le remplacer, malgré leurs tentatives et leurs rodomontades. Où vont se nicher les monstrueux excédents de la Chine et des pétromonarchies du golfe Persique ? Ailleurs qu’en Amérique ? Bien sûr que non ! Le maintien de la suprématie politique américaine face aux risques mondiaux de toutes sortes, malgré tous ses soubresauts, continue à constituer une garantie, très au-delà de la valeur mécanique de la monnaie. Toujours cette satanée histoire de confiance.

Le pire n’est jamais sûr. Un journal ayant par erreur annoncé sa mort, Mark Twain fit passer un rectificatif le lendemain: «Les rumeurs concernant ma mort sont très exagérées». Ainsi, sans doute, en va-t-il du dollar.

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Jacques Gravereau, fondateur et directeur de l’Institut HEC Eurasia, professeur à HEC, est l’un des grands experts européens des développements de l’Asie et de la mondialisation, auteur entre autres du Japon au XXe siècle et de L’Asie majeure.

Jacques Trauman, banquier d’affaires, historien reconnu de l’économie financière internationale, a été en poste dirigeant de grandes banques pendant 35 ans dans plusieurs pays d’Asie et des Amériques. Il est aujourd’hui directeur de Aston i-Trade Finance, éditeur de logiciel.

Les alchimistes de la confiance, une histoire des crises monétaires, Eyrolles (7 février 2013)

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