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Les milices civiles armées peuvent-elles sauver le Mexique?

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Ces petites troupes de citoyens, qui effectuent des barrages routiers et des patrouilles en camion, ont arrêté des présumés trafiquants de drogue, violeurs, tueurs et voleurs sous l’œil quelque peu méfiant des forces de sécurité étatiques et fédérales.

« Crime organisé. Assassinat. Viol. Enlèvement. Extorsion »

La semaine dernière, les miliciens ont fait défiler, devant des milliers de voisins, 54 hommes et femmes qu’il avait arrêtés plus tôt, énumérant à travers les haut-parleurs les accusations vagues et souvent non fondées pesant contre eux.

« Crime organisé », crie un dirigeant de la communauté, pendant que l’accusé est escorté jusqu’à la place couverte d’El Mezon, principal village mixtèque (peuple indigène du Mexique) appartenant au canton d’Ayutla, situé à 120 kilomètres environ au nord-est d’Acapulco. « Assassinat. Viol. Enlèvement. Extorsion ».

Malgré des années de promesses de réformes, la justice mexicaine reste très précaire. Des dizaines de milliers de prétendus criminels croupissent depuis des années dans les prisons fédérales en attendant d’être jugés. Mais le nombre de condamnations prononcées pour 100 arrestations se compte sur les doigts d’une main.

Le président mexicain souhaite avant tout maintenir l’ordre au niveau local

Le président Enrique Peña Nieto, deux mois à peine après le début de son mandat de six ans, a promis de s’éloigner de la stratégie de son prédécesseur qui consistait à mener des grandes offensives militaires contre les gangs de trafiquants de drogue. Au lieu de cela, le Président prévoit de se concentrer davantage sur les vols, les extorsions et les violences qui touchent principalement les Mexicains ordinaires.

Pour qu’Enrique Peña Nieto parvienne à cela, les analystes de sécurité mexicains expliquent qu’il aura besoin d’un meilleur maintien de l’ordre et des poursuites pénales au niveau local, qui constitue un obstacle de taille dans la majorité du pays.

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Face à l’incapacité du gouvernement, les populations ont décidé de prendre les choses en mains

« L’État et le gouvernement fédéral n’ont absolument rien fait », a déclaré Evert Castro, un conseiller municipal d’Ayutla. « Et nous n’avons pas la capacité de combattre ces criminels. Alors les populations en ont assez et ont décidé d’agir avec leurs propres moyens. Nous voyons cela comme une bonne chose ».

Suite aux négociations cette semaine entre les dirigeants de la communauté et le gouverneur de Guerrero (l’État mexicain dans lequel se trouve la ville d’Acapulco), la plupart des détenus seraient susceptibles d’être remis aux procureurs.

« Ils doivent être soumis aux lois et aux institutions établies », a récemment déclaré le gouverneur Angel Aguirre à des journalistes locaux dans la capitale de l’État, Chilpancingo. « Nous allons continuer à travailler pour assurer la sécurité et la confiance afin que les communautés retrouvent un climat d’harmonie là où se concentre le problème ».

« Nous devons être justes »

Mais Bruno Placido Valerio, un des fondateurs des forces bénévoles qui composent la majeure partie des milices, a déclaré à la foule la semaine dernière qu’un accusé resterait en détention communautaire pendant au moins deux semaines de plus, avant qu’une autre réunion publique n’ait lieu. « Il ne s’agit pas de s’accaparer la justice », a déclaré Placido Valerio aux habitants. « Mais nous devons être justes ».

Seule une poignée de prisonniers sont accusés d’assassinat et d’enlèvement. Un jeune a été arrêté pour avoir planté trois plants de marijuana chez lui – et pour avoir fumé sa récolte. Un autre a été accusé d’avoir volé une vache.

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La répression civile peut aller du travail d’intérêt général à l’expulsion de la communauté

« Considérant qu’il s’agit d’un parasite pour la société, nous voulons qu’il soit jugé selon les us et coutumes du peuple », criait un porte-parole au sujet du voleur de bétail, en se référant à la justice traditionnelle qui existe en dehors de la loi officielle. La répression peut aller du travail d’intérêt général à l’expulsion.

Plus de la moitié des prisonniers semblent avoir été arrêtés parce qu’ils étaient des « faucons », ou des « guetteurs de coins de rue », travaillant pour un groupe criminel local dirigé par un natif d’Ayutla connu sous le nom de « El Cholo ». La femme, le frère, le père et la mère du chef de gang se trouvaient tous parmi les détenus. Mais Cholo lui-même est passé entre les mailles du filet.

La foule dense murmure en hochant la tête pendant que les miliciens lisent les accusations les plus graves, et tend le cou pour apercevoir les auteurs des crimes. « Il est de mon village », souffle un homme armé au sujet d’un meurtrier présumé. « Un imbécile ».

« Ils nous appellent les « sauvages » »

Avec Acapulco comme point d’ancrage – que les guerres de gangs ont placé l’an dernier parmi les villes les plus meurtrières du Mexique – l’État de Guerrero s’étend sur des centaines de kilomètres le long de la côte du Pacifique sud, traversé par la grande plage de la Sierra Madre comme une épine dorsale.

Beaucoup de Mexicains citadins ont longtemps considéré ces arrière-pays montagneux comme « sauvages ». Selon la croyance populaire, il vaut mieux ne pas agacer les gens « frustes » qui vivent là-bas. « Ils nous appellent les « sauvages » », concède Evert Castro, le conseiller d’Ayutla. « Mais ce n’est pas la réalité. C’est un endroit tranquille ».

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Les régions montagneuses ont déjà connu des épisodes sanglants dans l’histoire mexicaine

Ayutla était le berceau de la rébellion de 1854 lancée contre Antonio Lopez de Santa Anna, le dictateur mexicain de l’époque. Puis, dans les années 1970, un mouvement de guérilla gauchiste qui a balayé la Sierra Madre a finalement été écrasé par une campagne militaire impitoyable. La police d’État a réprimé une rébellion semblable en 1988.

Expédiée par un gouverneur, la police a mené une embuscade et tué 17 paysans qui protestaient sans armes près d’Acapulco en 1995. En 1998, des soldats ont tué 11 guérilleros présumés et chefs de village locaux lors d’une réunion dans une école rurale à l’extérieur d’Ayutla.

Comme dans une grande partie du Mexique, les criminels ont commencé à assiéger Ayutla et d’autres villes voisines il y a environ six ans, quand la violence des gangs éclatait le long de la frontière américaine et sur les deux côtes.

« C’était très calme ici, puis d’un jour à l’autre, tout a empiré »

Enlèvements, extorsions et assassinats ont redoublé de violence. Les chômeurs ont commencé à prendre de la cocaïne, des amphétamines et d’autres drogues, beaucoup d’entre eux travaillant pour des dealers comme concessionnaires, revendeurs et même assassins.

« C’était très calme ici, puis d’un jour à l’autre, tout a empiré », explique Garcia Celerina, une femme au foyer prenant l’air un après-midi sur la grande place bondée d’Ayutla. « On ne pouvait pas sortir de sa maison pendant la nuit ».

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Les milices civiles souhaitent créer un système de justice

Garcia Celerina et d’autres habitants disent que les choses se sont apaisées considérablement depuis que les milices ont commencé à patrouiller. En outre, des centaines de policiers provinciaux et fédéraux, ainsi que des soldats, ont eux-mêmes mis en place des points de contrôle routiers ces derniers jours, gardant une distance respectueuse – mais méfiante – avec les miliciens du village.

À l’approche de la saison des plantations, les négociations en cours avec le gouverneur tendent désormais à renvoyer les agriculteurs armés à leurs charrues.

« Nous retournons aux champs, mais nous n’allons pas abandonner nos armes », a déclaré Placido Valerio à l’assemblée la semaine dernière. « Nous allons commencer à construire un système de justice ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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