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Lorrain de Saint-Affrique: ce qui a changé au FN depuis Marine Le Pen…

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Pour le prochain numéro de « Des paroles et des actes », sur France 2, David Pujadas recevra la présidente du Front national, Marine Le Pen. Une occasion de faire le bilan de son action à la tête du parti d’extrême droite avec Lorrain de Saint Affrique, conseiller en communication du FN de 1984 à 1994 et auteur de Dans l’ombre de Le Pen (Hachette).

Jol Press : Le baromètre annuel de TNS-Sofres révèle que 32% de Français se disent d’accord avec les idées du Front national, un chiffre en hausse d’un point sur un an. Que révèle se chiffre ? Marine Le Pen a-t-elle réussi son travail de dédiabolisation du parti ?
 

Lorrain de Saint Affrique : A quelques décimales près, une enquête comparable produisait les mêmes résultats en 1991 ! Dans ces années-là, d’autres études montraient qu’environ un électeurs sur trois s’était au moins une fois servi d’un bulletin de vote FN. Dés 1985, une source américaine estimait à 30% les perspectives de progression de Jean-Marie Le Pen dans l’opinion. Pourquoi cette apparente stabilité à un haut niveau, alors que le contexte historique, lui, n’a cessé de se transformer, démentant en particulier ceux qui à droite prophétisaient un « feu de paille » ?

Il y eu d’abord l’incroyable talent de Jean-Marie Le Pen à incarner au jour le jour « les passions positives comme les répulsions des Français », disait-il. De Gaulle aurait, lui, parlé de « profiteur d’abandon, de débrouillard de la décadence ». Mais qui prétendrait aujourd’hui que le déclin accéléré de la France est un mythe ? A partir d’un diagnostic froid, Le Pen a organisé autour de lui un spectacle politique dont l’objectif n’a été que brièvement l’exercice du pouvoir, et encore, sans trop de conviction. Hors jeu pour toujours après l’affaire du « détail », Le Pen a consacré toute son énergie à durer. Pour justifier sa trahison, Bruno Megret a trouvé les mots justes : « Le projet politique de Le Pen, c’était la vie politique de Le Pen ». Il en va tout autrement de Marine Le Pen. L’argument de la dédiabolisation est un leurre paradoxal, car prétendre se dédiaboliser, c’est reconnaître qu’on était soi-même à l’origine des facteurs diabolisants censés provenir des adversaires.

JOL Press : Quelle est la principale différence entre le FN de Jean-Marie et celui de Marine ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Jean-Marie Le Pen pensait « qu’un Front National gentil n’intéresserait personne ». Marine Le Pen ne rejette qu’en partie cette idée, sauf  que le registre des provocations change de nature, parce que le but ultime est d’atteindre des positions exécutives de premier plan. Dans la forme, la présidente du FN use des techniques dialectiques de son père, elle les a parfaitement assimilées, mais elle voit bien qu’il y a aussi des lignes jaunes infranchissables.

Sur le fond, les mutations programmatiques sont incontestables, avec des virages à 180° sur de nombreux sujets : cynisme, réalisme, les deux, dans quelles proportions ? Je crois qu’avec son score à l’élection présidentielle, Marine Le Pen a cessé d’être une héritière, qu’elle est sortie plutôt habilement de la zone de risque successorale, sans avoir toutefois atteint ce niveau d’autorité où s’était hissé son père.

JOL Press : Le profil de l’électeur FN s’est-il modifié ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Globalement, le vote FN suit proportionnellement les évolutions sociologiques de la société française, avec quelques variables, et des transferts géographiques liés au déclassement : le Front monte sur les Français qui descendent. Pour moi, la nouveauté, c’est le vote Le Pen « décomplexé », revendiqué. On se cache moins derrière le rideau de l’isoloir. A cet égard, les élections municipales de 2014 seront un test majeur. Marine Le Pen affirme que le nombre des listes que le FN sera capable de présenter « atteindra un niveau historique ». Cela signifie des milliers et des milliers de candidats engagés à visages découverts devant familles, voisins, commerçants, employeurs… On mesurera alors à quel point le tabou se sera délité.

Pour le reste, il suffit de voir où les cadres importants du Front National décident de se présenter pour avoir une opinion sur l’analyse électorale qu’ils ont en tête. Il y a belle lurette que Marine le Pen a quitté les électeurs franciliens pour ceux du Pas-de-Calais, comme jadis son père désertant les bords de Seine pour les rivages méditerranéens.

JOL Press : Vous avez connu Marine Le Pen très jeune. Etait-elle ambitieuse ? Avait-elle déjà les épaules d’un chef ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Elle a toujours eu, comme on dit, du caractère. Mais je crois que l’ambition politique ne l’a touchée que de façon relativement tardive. A 18 ans, elle portait un regard distant, presque méprisant sur l’entourage de son père, qu’elle n’enviait guère, pas plus que le mode de vie attaché à cette activité.

Je pense que la scission de 1999, la nécessité sauver la baraque convoitée par les fêlons, l’ont poussée presque malgré elle au premier plan. Elle a reçu des coups qu’elle a copieusement rendus, les opportunités liées au statut de son père sont devenues des défis à relever. Elle connaît à fond toutes ces astuces politiciennes qu’elle est prompte à dénoncer chez les concurrents, mais il lui faudra gagner encore en densité culturelle si elle veut continuer à piloter des partenaires qui auraient pu être ses professeurs.

JOL Press : Est-elle populaire au sein de son parti ? On sait que certains membres du FN ne se reconnaissent plus dans sa politique.
 

Lorrain de Saint Affrique : En interne, ses opposants ont soit quitté le FN, soit adopté une attitude de prudente et molle expectative. Maniant le bâton de l’exclusion et la carotte des investitures, elle a privé ses détracteurs de perspectives concrètes. Je ne vois guère, à court terme, ce qui pourrait menacer sérieusement son pouvoir. Sur un plan électoral, des groupes situés plus à droite existent bien, un peu comme au début des années 70, mais ils se débattent toujours dans la marginalité, entre deux coups d’éclat médiatiques.

JOL Press : Marine Le Pen a ajouté de l’économique et du social à son programme. Ce choix est-il payant ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Un tel volet a toujours existé dans les programmes successifs du FN. En revanche, c’est dans ces domaines que la réorientation « philippoto-mariniste » est la plus radicale ; elle repose sur un double pari : la chute de l’euro, un rejet grandissant de l’islam. Souverainisme plutôt de gauche pour la monnaie, l’économie, la politique sociale, souverainisme culturel plutôt de droite pour les craintes identitaires, sans oublier les figures imposées, immigration et insécurité. Beaucoup d’observateurs pensent qu’une anticipation militante de l’échec européen a handicapé Marine Le Pen à la présidentielle. L’enquête TNS-SOFRES citée plus haut va dans ce sens. Mais l’enquête ne dit pas de quelle nature seraient les forces qui jailliraient d’un pareil cataclysme, ni quels dirigeants émergeraient dans la tempête.

JOL Press : Le FN est-il aujourd’hui un véritable parti d’opposition au gouvernement socialiste ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Comme sous François Mitterrand, PS et FN sont en position d’alliés de fait : la mise en scène moralisatrice de leur antagonisme affaiblit électoralement les droites. Cela dit, la recette est à ce point éventée qu’on peut douter de son efficacité durable. Je m’attends à ce qu’après le mariage gay, on passe rapidement au droit de vote des étrangers, comme au bon vieux temps, mais si la dégringolade économique se poursuit, je doute que ces rustines-là soient suffisantes pour éviter un naufrage socialiste.

JOL Press : Dans quelles circonstances politiques la droite traditionnelle pourrait faire alliance avec le FN ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Ponctuellement, et sur un plan local, des circonstances existent certainement : être ou ne pas être décomplexé, telle est la question, l’arithmétique et les particularismes libérant le passage à l’acte. Quelques dissidents UMP se sentent sûrement la vocation de maire ou d’adjoint Bleu Marine. Mais on peut aussi se demander si, à force de dénoncer l’UMPS, et en cas de crise majeure, avec des mouvements sociaux de grande ampleur, le FN n’aura pas malgré lui favorisé le recours à une phase d’union nationale droite-gauche dans laquelle il n’occuperait aucune place, n’en pouvant mais… Au bout du compte.

JOL Press : Dans le cadre de l’émission, Marine Le Pen débattra avec le député Bruno Le Maire (UMP). A quoi faut-il s’attendre ?
 

Lorrain de Saint Affrique : Marine Le Pen et Bruno Le Maire ont déjà débattu sur le plateau de l’émission « Mots croisés » il y a quelques semaines. Alors qu’elle croyait avoir le monopole de l’euroscepticisme, la présidente du FN s’est complètement laissé surprendre sur son terrain, la critique. Le Maire s’est livré à une attaque contre les politiques européennes, pronostiquant une inévitable catastrophe si elles étaient poursuivies.

La suite de la confrontation a d’autant plus de sens que si Marine Le Pen a réalisé une percée significative dans le monde agricole en mai 2012, Bruno Le Maire, lui, est considéré chez ces mêmes agriculteurs comme l’un des meilleurs ministres qu’ils aient eu depuis des lustres. Si Le Maire veut se faire une idée de ce qu’il ne faut absolument pas faire face à Marine Le Pen à la télévision, on lui conseillera de visionner le débat Valls-MLP devant le même Pujadas.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Lorrain de Saint Affrique est journaliste. Ancien conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, il a été secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il a été écarté du FN en 1994 par Bruno Mégret. En 2007, il a soutenu la candidature de François Bayrou au premier tour de l’élection présidentielle. Il a publié Dans l’ombre de Le Pen en 1998 (Hachette).

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