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Lutte contre le cancer: les défis de la médecine personnalisée

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Le défi épidémiologique : plus de malades mais moins de mortalité

À l’échelle mondiale, le cancer frappe chaque année près de 13 millions de personnes et tue chaque année plus de 7,5 millions d’individus dont les trois quarts dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Sur les tendances actuelles, le nombre de décès par cancer atteindra 13 millions de morts en 2030.

En France, depuis les années 80, le nombre de nouveaux cas a quasiment doublé avec 365 000 nouveaux cas en 2011 alors que le taux de mortalité a baissé de près de 25% sur la période. Près d’un million de Français (1,5% de la population) sont actuellement soignés en hospitalisation court séjour pour un cancer. Malgré les progrès thérapeutiques qui permettent de guérir plus d’un malade sur deux, le cancer est devenu la première cause de mortalité chez les hommes et représente plus d’un quart des décès dans la population. La survie à 5 ans est très variable selon le type de cancer (de 6% à 95%) et selon le stade au moment du diagnostic. L’âge médian du décès par cancer, de 72 ans chez l’homme contre 76 ans chez la femme, illustre la caractéristique du cancer d’être une pathologie avant tout du sujet âgé.

Malgré cela, le cancer est la première cause de mortalité prématurée aussi bien chez l’homme que chez la femme et représente 38% des décès masculins et 45% des décès féminins avant 65 ans. Ceci en fait un fardeau économique important en privant notre pays de milliers d’individus en pleine force de l’âge. Le cancer du poumon est de loin le plus mortel dans notre pays avec 29 000 morts, dont plus des trois quarts sont causés par le tabagisme. Enfin, le cancer est marqué par de fortes inégalités géographiques et sociales puisqu’on meurt deux plus de cancer dans le Nord Pas de Calais qu’à Paris ou dans le sud de la France et le risque de décéder par cancer est multiplié par 2,5 entre le niveau d’étude le plus élevé et le plus faible.

Le défi médical et scientifique : vers un traitement personnalisé du cancer

La compréhension du mécanisme de développement des cancers a connu des progrès phénoménaux mais reste encore la clé de voute des futures avancées thérapeutiques. Alors que dans les années 80, on considérait le cancer comme une maladie, puis comme deux cents maladies dans les années 90, on sait maintenant qu’il y a autant de maladies que de malades. Chaque personne est différente et chaque tumeur l’est aussi. Un cancer du sein correspond à une dizaine de maladies différentes ; seule une étude approfondie sur le plan génétique et cellulaire permet de caractériser chaque tumeur pour chaque patient. Il faut donc identifier les altérations génétiques impliquées et les cellules prioritairement touchées. Des chercheurs de l’Inserm ont démontré que les cancers du sein sont issus de certaines cellules souches, qui doivent être prioritairement éradiquées sans quoi elles produiront immanquablement rechutes et métastases.

Pour atteindre cette nouvelle frontière de la médecine personnalisée, il est nécessaire de dresser une carte génétique et cellulaire de chaque cancer afin d’adapter chaque traitement.  De la même façon qu’on réalise un antibiogramme pour tester la sensibilité d’une souche bactérienne à un traitement antibiotique, il faudrait  produire pour chaque malade un tumeurogramme capable d’aiguiller le médecin. À titre d’exemple, les mutations d’un gène (KRAS) dans les tumeurs digestives sont prédictives de la réponse aux thérapeutiques à base d’anticorps monoclonaux ciblés sur l’EFGR (un facteur de croissance des tissus épithéliaux). En ciblant uniquement les patients ne présentant pas de mutations KRAS, les taux de réponse des traitements anti-EGFR sont passés de 10% à 50% chez ce groupe de patients.

Outre les progrès thérapeutiques, le lancement du plan cancer par le président Chirac au début des années 2000 a permis de dynamiser les actions de prévention des facteurs de risque et de dépistage précoce. 30% à 40% des cancers sont évitables en luttant contre les cinq facteurs de risque identifiés (tabac, alcool, sédentarité, obésité, faible consommation de fruits et légumes) et les taux de survie sont considérablement améliorés par un diagnostic précoce. La marge de progression en France sur ces leviers reste cependant très importante (seulement une femme sur deux participe au dépistage organisé gratuit du cancer du sein et près de 30% de la population adulte fume).

Le défi politique : les progrès à venir seront soumis à des choix politiques adéquats et difficiles

Les cancers posent au moins quatre grandes questions politiques. D’abord, garantir l’accès au traitement pour tous. Les thérapies ciblées évoquées précédemment représentent un enjeu majeur de financement public. Avec 12 milliards € par an, les coûts de traitement anticancéreux représentent déjà 7% des dépenses publiques de santé. Les prochains traitements anti-cancéreux vont coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros par patient. Est ce qu’on fait le choix de ne pas tous les rembourser, voire de sélectionner les patients (en fonction de l’âge notamment) comme en Angleterre ? Choix impossible avec notre culture de justice sociale mais d’autres options nécessiteront des arbitrages avec d’autres dépenses et/ou de nouvelles sources de financement.

Ensuite la chronicisation des cancers est un défi en matière d’organisation du parcours de soins autour du patient dans la durée. Si l’organisation pluridisciplinaire est en place à l’hôpital, la coordination des soins maison-ville-hôpital et l’éducation thérapeutique sont encore à perfectionner.

De plus, la mise en place d’une véritable politique de prévention reste encore une chimère dans notre pays, ce qui nuit considérablement à nos résultats de morbidité et de mortalité des cancers. Repousser plus longtemps l’intégration de la prévention comme un pilier de notre politique de santé serait une erreur magistrale.

Enfin, le cancer pose le problème des inégalités sociales face à la maladie qu’elles soient d’origine géographique ou socio-économique. Même si les classes les plus défavorisées sont plus difficiles à mobiliser autour de la prévention comme du soin, il est indispensable de développer des politiques publiques garantissant à tous les citoyens un accès égal à tous les moyens disponibles pour prévenir et guérir. C’est d’ailleurs sur ce thème que le président François Hollande a fait le bon choix de centrer le futur plan cancer 2014-2018.

Le défi social voire sociétal : mieux vivre pendant et après son cancer

L’expansion rapide des nouveaux cas de cancer depuis 30 ans induit un enjeu d’organisation de la société pour permettre aux personnes atteintes, et à leur entourage, de vivre dans les meilleures conditions possibles pendant et après la maladie. Le cancer a un impact majeur sur la vie professionnelle. Six mois après le diagnostic, seuls 53% des hommes et 39% des femmes ont repris leur activité. Les malades sont encore victimes de mesures discriminatoires sous forme de pertes de responsabilités ou refus de promotion entre autres. Si le cadre légal doit évoluer sur ce sujet, c’est aussi toute la représentation sociale du cancer qui doit changer. Une majorité de Français (51%) considère toujours que « lorsqu’on a encore un cancer, on n’est plus capable de travailler comme avant » (baromètre cancer 2010). Les associations de patients ont un rôle prépondérant à jouer dans l’amélioration de la qualité de vie des patients et de leur entourage.

C’est sous l’impulsion de la France que la journée mondiale contre le cancer du 4 février a été créée pour sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics aux enjeux grandissants du cancer et tenter d’en faire une grande cause nationale. Cette journée est traditionnellement la veille du congrès international de traitement contre le cancer (ICACT) qui a lieu chaque année à Paris. Ce congrès est un lieu d’échange et d’éducation sur la recherche contre le cancer pour réussir « le grand saut vers la pensée de la complexité » indispensable si on veut encore espérer quelques améliorations dans les rapports des humains entre eux, toujours selon Edgard Morin.

 

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