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M. Leprince: «Mythe médiatique, les Voltairiens ne dirigent pas la France»

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JOL Press : Promotion Voltaire par-ci, promotion Voltaire par-là… N’en fait-on pas un peu trop autour de ce qui n’a représenté que 3 ou 4 ans dans la vie de quelques hommes et quelques femmes qui nous gouvernent – ou nous ont gouvernés ?

Martin Leprince : Évidemment, la promotion Voltaire est un mythe médiatique et l’élection à la présidence de la République de François Hollande n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Tout cela parce que le locataire de l’Élysée faisait partie, en compagnie notamment de Michel Sapin, Jean-Pierre Jouyet, Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Henri de Castries et Ségolène Royal, des 160 élèves – l’ « élite de l’élite » – qui ont effectué leur scolarité à l’ENA, tout juste transférée rue de l’Université, entre 1978 et 1980. Désormais, on ne peut mentionner un de ses membres sans ajouter qu’il a fait partie de la « fameuse promotion Voltaire »…

JOL Press : Alors, justement, qu’y avait-il donc à raconter que l’on se sache pas ?

Martin Leprince : J’ai été étonné, il n’y avait jamais eu de livre sur le sujet. Des dossiers dans les magazines – Le Nouvel Obs, notamment -, oui, une fiction de Canal+ et Arte, « L’école du pouvoir », largement inspirée de l’expérience de ces jeunes gens, oui. Mais pas jusque-là de récit circonstancié, nourri des témoignages des acteurs de cette aventure collective, rien – et pourtant c’est une formidable histoire romanesque.

JOL Press : Et c’est donc ce à quoi vous vous êtes attelé…

Martin Leprince : Absolument. J’ai interrogé 80 énarques « voltairiens », d’autres anciens élèves de l’ENSPTT ou de la Ville de Paris qui suivaient une scolarité conjointe dans les mêmes locaux, ainsi que d’anciens professeurs. Ce sont eux qui, collectivement, m’ont fourni le détail du récit.

JOL Press : « Mythe médiatique », c’est l’expression que vous avez utilisée. N’est-ce pas un peu exagéré – et injustifié – cet intérêt pour cette cohorte de hauts fonctionnaires ? Après tout, il y en a d’autres des promotions de l’ENA « prestigieuses »…

Martin Leprince : Oui, certes. En 1970, Philippe Séguin, Jacques Attali et Louis Schweitzer étaient ensembles dans la même promotion. Comme François Léotard, Laurent Fabius et Daniel Bouton en 1973… Chaque promotion, par nature, se prépare à la haute fonction publique et à la direction des grandes entreprises privées et les meilleurs jouissent d’une certaine notoriété. Mais la promotion Voltaire est la seule connue par son nom du grand public. Cette sur-médiatisation tient notamment à trois de ses membres, François Hollande, Ségolène Royal et Dominique de Villepin – un président de la République, une candidate au 2nd tour de la présidentielle et un ancien Premier ministre. Ces trois-là font office de miroir grossissant.

Mais il y a autre chose pour nourrir le mythe médiatique : l’histoire d’amour entre deux de ces énarques, le fait aussi que ce soit la dernière promotion avant l’alternance de 1981…

JOL Press : Des témoignages que vous avez pu recueillir, ressort-il qu’il y avait véritablement des talents particuliers au sein de cette promotion ?

Martin Leprince : Si j’en crois les membres de l’encadrement que j’ai interrogés, c’était effectivement une promotion exceptionnelle. Mais, c’est un peu facile à dire 30 ans plus tard.

Parmi les trois têtes d’affiche, François Hollande – 8ème au classement de sortie – semblait incontestablement prédisposé pour la politique. Toujours très entouré, il avait fondé Caréna, un syndicat étudiant et s’était fait élire au conseil d’administration de l’école. Ses condisciples le décrivent comme un « candidat permanent ». Je raconte d’ailleurs qu’avant sa réussite au concours de l’ENA, il avait laissé un tel souvenir à un professeur d’HEC que, l’année suivante, celui-ci avait annoncé à la promotion suivante qu’un jour François Hollande serait président de la République.

Pour ce qui est de Ségolène Royal et de Dominique de Villepin, ils étaient beaucoup plus à l’écart et leur réussite n’avait pas été anticipée par leurs camarades de promotion.

JOL Press : Le fait qu’ils soient la dernière promotion avant l’arrivée de la gauche au pouvoir et de François Mitterrand en 1981, est-ce que cela a joué un rôle ?

Martin Leprince : C’est une explication souvent avancée. Cela a permis à une promotion vierge de rentrer directement dans les cabinets et de se consacrer à la politique, pour certains, sans passer par des années dans leurs corps d’affectation.

Techniquement, ils n’avaient pas le droit d’entrer en cabinet ministériel avant d’avoir exercé pendant 4 ans dans l’administration. Pourtant, entre 1981 et 1983, une dizaine de Voltairiens ont pu échapper à cette règle. La gauche avait besoin de troupes et lorsque c’est le gouvernement qui le demande toutes les règles peuvent être levées.

C’est ainsi que Jacques Attali a alors récupéré François Hollande et Ségolène Royal à l’Élysée. C’est traditionnellement plus facile d’obtenir une mise en disponibilité de leurs deux corps respectifs, la Cour des comptes et le Tribunal administratif.

En juin 1981, Michel Sapin se fait même élire député de l’Indre en juin 1981.

Mais les politiques restent minoritaires et les autres entament des carrières classiques, plus ou moins brillantes – même si tout est relatif.

JOL Press : C’est aussi la première promotion composée de jeunes gens trop jeunes pour avoir participé activement à mai 68. Est-ce que cela n’a pas pu jouer un rôle ?

Martin Leprince : C’est vrai pour les candidats du concours externe, qui avaient alors, en 1976, entre 22 et 26 ans. Ils ont pu voir les limites de la tentation révolutionnaire en 68 mais ont aussi grandi dans l’agitation post-soixante-huitarde. Certains étaient membres des comités d’action lycéens, ces groupuscules trotskystes. Tout cela, pour ceux de gauche, a pu former leurs convictions.

JOL Press : Trente ans après, quel jugement portent-ils sur leur formation ? Après tant d’années, mais surtout tant de bouleversements, ils doivent constater qu’il y a eu comme une tromperie, qu’ils n’ont pas été du tout formés pour le monde dans lequel ils ont vécu et qu’ils sont amenés, pour certains, à diriger…

Martin Leprince : Dans l’ensemble, ils sont assez sévères sur cette formation. S’ils n’admettent pas que l’ENA soit critiquée, condamnent cette « énarquobie » ambiante, ils sont sans états d’âme dans leur critique du cursus qu’ils ont eu à suivre. La plupart s’étonnent, par exemple, de ne pas avoir suivi de cours de management.

Plus fondamentalement, ils ont été formés à une époque où l’État était tout-puissant et où la France était encore relativement peu ouverte sur le reste du monde. À peine étaient-ils sortis de l’école que deux phénomènes ont amorcé le grand chamboulement incessant depuis… La régionalisation – pas une bonne nouvelle pour ceux qui rêvaient de la préfectorale – et l’Europe. L’État qu’ils ont été amenés à servir a alors radicalement changé.

JOL Press : Y a-t-il eu comme un effet boule de neige ? L’ensemble de la promotion a-t-elle bénéficiée de la réussite exceptionnelle de quelques-uns de ses membres ?

Martin Leprince : Un peu sans doute, mais pas plus que cela. C’est vrai que, par exemple, Dominique de Villepin a choisi le voltairien Pierre Mongin comme principal collaborateur à Matignon. Alors, aujourd’hui, certains voient des voltairiens partout dans l’entourage de François Hollande. Pierre-René Lemas et Sylvie Hubac sont à l’Élysée, oui. Michel Sapin est ministre du Travail et Jean-Pierre Jouyet a été replacé à la Caisse des dépôts malgré son expérience ministérielle – d’ouverture – sous Nicolas Sarkozy

Mais les voltairiens n’ont pas attendu l’arrivée de François Hollande à l’Élysée pour exercer des responsabilités. Ils arrivent en fin de carrière et accèdent donc à des postes dotés d’une plus grande visibilité. Ce serait assez ridicule de prétendre que la promotion Voltaire tient la France.

JOL Press : Et si c’était à refaire, ils referaient l’ENA ?

Martin Leprince : Pas tous, semble-t-il. Certains répondent « oui » sans hésiter et d’autres « non » au motif que l’État n’est plus ce qu’il était.

Ceci dit, pour beaucoup, faire l’ENA était – et reste – synonyme d’appartenance à un club, d’intégrer une élite, « l’élite de l’élite » plutôt que l’engagement dans une carrière particulière.

JOL Press : Pour finir, une anecdote… Comment ont-ils décidé de baptiser leur promotion Voltaire ?

Martin Leprince : La soirée – et souvent la nuit – consacrées au baptême de la promotion sont, chaque année, l’occasion de scénarios cocasses. On lit parfois dans les articles que le nom de Voltaire sied particulièrement bien à cette promotion mais, en réalité, elle a bien failli s’appeler tout autrement.

François Hollande et son groupe plaidait pour Jean-Jacques Rousseau. Le syndicat marqué plus à droite souhaitait Voltaire. Henri de Castries et ses acolytes ont tenté de faire la synthèse en suggérant « Trou des Halles » – un symbole du Paris de cette année-là. Cette troisième voie semblait partie pour l’engager jusqu’à ce qu’un des élèves se lance à trois heures du matin dans un plaidoyer pro-Voltaire. Pressés d’en finir, sans enthousiasme, tous ces énarques sont devenus « voltairiens ».

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press     

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