Site icon La Revue Internationale

Mathieu Perreault : les chances du cardinal québécois Marc Ouellet

[image:1,l]

JOL Press : Quelle est l’image du cardinal Marc Ouellet auprès des Québécois ?

Mathieu Perreault : Mon journal a publié, en fin de semaine dernière, un sondage dans lequel nous demandions à nos lecteurs leur opinion sur l’éventualité où le cardinal Ouellet serait élu pape. Très peu, environ 10%, ont émis un avis négatif.

Cela nous a surpris à la rédaction, car son passage à Québec de 2003 à 2010 a été marqué par un certain nombre de controverses. Ces prises de position contre l’avortement, contre le mariage homosexuel, au sujet de la catéchèse à l’école ont été mal perçues. Il n’avait pas très bonne presse et passait pour un intégriste.

JOL Press : On dit de lui qu’il est « conservateur » et « de droite »…

Mathieu Perreault : Effectivement, c’est ainsi qu’il est perçu par l’opinion publique québécoise. Parfois injustement… Alors qu’il était archevêque de Québec, il s’est excusé pour l’attitude de l’Église à l’égard des femmes, des homosexuels et des autochtones avant 1960 et le Concile Vatican II. Tout ce que les gens ont retenu, c’est la date et le fait que ses excuses ne portent que sur la période antérieure à 1960.

Mais, au sein de l’Église, parmi les cardinaux, son positionnement apparait plutôt centriste, comme Benoît XVI d’ailleurs.

JOL Press : En ce qui concerne sa personnalité, est-il exact qu’il est – comme c’est souvent écrit – « froid », « intransigeant », « insensible » ?

Mathieu Perreault : Autre ressemblance avec Benoît XVI, il n’est pas doté du plus grand charisme. Ce n’est pas Jean-Paul II. Il ne s’est pas habitué à faire face aux médias et il est souvent sur la défensive.

En revanche, je tiens d’un ami qui le connait bien, qu’en privé, il peut être tout à fait différent. Il est alors le centre de l’attention et donne de la vie à un dîner.

J’ai eu l’occasion d’en juger par moi-même lors d’une rencontre avec des étudiants à laquelle il participait. C’était un débat sur le Concile et ces étudiants s’étaient dépassés spécialement pour l’écouter. Il se sentait à l’aise, il a été intéressant, captivant même.

JOL Press : A Québec, il a également eu des difficultés à établir des relations de confiance avec le clergé. Est-ce exact ?

Mathieu Perreault : Un certain nombre de prêtres se seraient sentis délaissés, insuffisamment soutenus. Mais, ce problème dépasse largement la seule attitude du cardinal Marc Ouellet. La société québécoise est de plus en plus sécularisée et la mentalité laïquarde, les « mange curés » comme on dit, progressent toujours. Dans ces conditions, les prêtres ont de plus en plus de difficultés à exercer leur ministère.

Marc Ouellet l’a d’ailleurs expérimenté lui-même au début de sa carrière. Originaire du Nord-Québec, en Abitibi-Témiscamingue, il a été ordonné prêtre dans son église natale, l’église Saint-Luc de La Motte. L’église a été cédée par la municipalité et transformée en centre social.

JOL Press : C’est alors que Marc Ouellet est parti comme missionnaire en Amérique du Sud ?

Mathieu Perreault : A partir de 1970, il a enseigné dans trois séminaires à Manizales en Colombie et il y a conservé de nombreux amis.

JOL Press : C’est un atout précieux lors du Conclave…

Mathieu Perreault : Oui, il connaît de nombreux prélats sud-américains et il pourrait faire figure de compromis acceptable si les cardinaux sud-américains ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur l’un d’entre eux. A Rome, il est président de la Commission pontificale pour l’Amérique du Sud. Or, si la France a longtemps été la fille aînée de l’Église, l’Amérique du Sud l’a supplantée dans ce rôle au XXIème siècle. Les catholiques sud-américains sont aux premières loges pour contrer la montée des églises évangéliques. Elles ont aussi développé des réponses au sous-développement. Or ces expériences sud-américaines, dont le cardinal Marc Ouellet est un fin connaisseur, pourraient être reproduites en Asie ou en Afrique.

JOL Press : Ce n’est pas le seul de ses atouts parmi les Papabili ?

Mathieu Perreault : Non, à travers le Québec, il a aussi connu les expériences de nouvelle évangélisation conduites par Benoît XVI dans les sociétés occidentales. Il a été particulièrement actif auprès des jeunes générations de fidèles.

Il connaît aussi l’Amérique du Nord anglophone, les Etats-Unis, un pôle très puissant du catholicisme dans une société majoritairement protestante.

C’est un théologien, disciple d’Urs von Balthasar comme Benoît XVI. Il a notamment travaillé sur la théologie du mariage.

Il a eu grande expérience de la curie romaine et il pourrait chercher à l’inspirer plutôt qu’à la mettre au pas. Depuis deux ans, en tant que préfet de la Congrégation pour les évêques, il joue un rôle considérable dans la nomination des évêques dans le monde.

En 2012, Benoît l’a également envoyé  participer à un symposium sur la pédophilie et son intervention a été bien reçue. C’est important aussi.

JOL Press : Sa proximité – et sa ressemblance -, que vous avez soulignées, avec Benoît XVI, cela peut l’aider ?

Mathieu Perreault : Si les cardinaux estiment que la rigueur théologique dont a fait Benoît a bien fonctionné, alors il a une chance. Même si, à seulement 68 ans, il pourrait être un pape de longue durée… et que cela pourrait faire hésiter le Conclave.

JOL Press : Pensez-vous qu’il ait l’ambition d’être pape ?

Mathieu Perreault : C’est toujours difficile à saisir chez un homme d’église. Tous les cardinaux prétendent que non – sans doute en ayant en tête l’expression selon laquelle « qui entre pape au Conclave en ressort cardinal ». C’est une charge très lourde et qui les éloigne de leurs goûts profonds, que ce soit la proximité pastorale ou la réflexion théologique.

Mais, ce sont des hommes qui croient en l’esprit saint et, si l’esprit saint les choisit, ils acceptent – et exécutent –  de bonne grâce la mission.

JOL Press : Ce serait une fierté pour les Québécois qu’un des leurs s’installe sur le Trône de Saint-Pierre ?

Mathieu Perreault : Malgré la sécularisation croissante et des sentiments antireligieux, je pense que oui. Le Québec est une petite nation, noyée dans un environnement qu’elle juge souvent hostile, ou en tout cas différent. Nous avons lutté – et nous luttons – pour défendre nos particularismes, la langue française et la foi catholique.

Donc, nous sommes fiers des Québécois qui réussissent ailleurs. Il y a Céline Dion, il y aura peut-être Marc Ouellet.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

Quitter la version mobile