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Pakistan: après les attentats, la colère de la communauté chiite s’étend

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Le gouvernement arrête 170 suspects

La manifestation, inhabituelle, semble avoir fonctionné. Le gouvernement pakistanais a arrêté mardi dernier 170 personnes soupçonnées d’avoir des liens avec Lashkar-e-Jhangvi, un groupe terroriste proche d’Al-Qaïda que les autorités tiennent pour responsable de nombreux attentats sectaires. Et vendredi 22 février, les autorités ont déclaré avoir arrêté Malik Ishaq, un membre fondateur de Lashkar-e-Jhangvi.

À la suite de ces arrestations, les familles – qui appartiennent toutes à la communauté chiite des Hazaras –, qui avaient dans un premier temps refusé d’enterrer leurs morts en signe de protestation, ont finalement enterré leurs proches.

« Pourquoi ne les ont-ils pas arrêtés avant ? »

Mais peu de gens sont convaincus de l’engagement du gouvernement à faire cesser la violence.

« S’ils avaient connaissance de l’existence de ces terroristes, pourquoi ne les ont-ils pas arrêtés avant ? » déclarait la militante des droits des femmes Youna Karmal, également avocate, qui a aidé à organiser la manifestation. « Si c’était si facile pour eux de trouver 170 personnes qu’ils pouvaient arrêter, pourquoi étaient-ils encore en liberté ? »

Alors que les autorités dénoncent le manque de sécurité qui, selon elles, est dû à la saturation des ressources, les Pakistanais les accusent de manquer de volonté, et même de soutenir secrètement Lashkar-e-Jhangvi. « Je doute qu’un seul de ces hommes n’aille au tribunal et n’ait à subir un procès », a déclaré Youna Karmal. « Ils seront très probablement libérés dans les prochains jours ».

Les Hazaras du Pakistan, cette minorité chiite cible des fondamentalistes

Les organisations musulmanes fondamentalistes ont longtemps pris pour cible les Hazaras du Pakistan, un groupe ethnique à majorité chiite dont les racines se trouvent en Afghanistan. Les Hazaras pakistanais sont souvent identifiables à leur physique d’Asie centrale, comme leur peau plus claire par exemple, qui en fait des cibles faciles pour les extrémistes. On estime à 800 le nombre de chiites hazaras tués ces dernières années.

Les Hazaras racontent que même les tâches les plus simples deviennent difficiles. Maintenant, les marchés ferment au coucher du soleil pour des raisons de sécurité, et les Hazaras sont obligés d’éviter les transports en commun en raison des attaques fréquentes sur les autobus dans tout le pays.

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Dans la province du Baloutchistan, le gouvernement est accusé de soutenir Lashkar-e-Jhangvi

Après la dernière attaque majeure – un bombardement massif en janvier qui a tué près de 100 personnes à Quetta, l’un des derniers refuges de la population hazara – le gouvernement central a nommé un gouverneur pour le Baloutchistan, une province agitée depuis longtemps par un mouvement séparatiste, pour aider à contrôler la région.

Mais peu voire aucune action n’a été prise contre Lashkar-e-Jhangvi lui-même, qui a revendiqué les bombardements du mois de janvier. Les militants des droits de l’homme ont déclaré que le gouvernement soutenait en fait Lashkar-e-Jhangvi, utilisant le groupe pour aider à réprimer l’insurrection séparatiste du Baloutchistan.

Les militaires soutenaient déjà des groupes fondamentalistes dans les années 1980

Ce ne sera pas la première fois que le gouvernement se tourne vers ce groupe pour obtenir de l’aide. Lashkar-e-Jhangvi est un rejeton d’une organisation que les militaires pakistanais soutenaient dans son combat contre l’agression soviétique dans les années 1980.

Après la chute des Soviétiques, le réseau a continué à opérer librement. En 1996, la branche la plus militante, Lashkar-e-Jhangvi, est née. Le groupe a rapidement grandi en nombre et en extrémisme, aidé par des fonds provenant d’Arabie Saoudite et d’Irak, qui visaient à contrer l’influence de l’Iran dans la région, gouverné par une théocratie chiite, et qui touche les frontières du Baloutchistan.

« Le gouvernement civil ne peut prendre aucune mesure forte sans gêner l’institution militaire »

Certains croient qu’en raison des liens historiques entre l’armée et Lashkar-e-Jhangvi, le gouvernement civil craint un retour de bâton de la puissante armée du pays s’il réprime le groupe terroriste.

Mohammed Waseem, professeur de sciences politiques à l’université de Sciences de Gestion de Lahore au Pakistan, a déclaré que, parce que Lashkar-e-Jhangvi aide peut-être l’opération non déclarée de l’armée contre les nationalistes baloutches, le gouvernement civil hésite à agir.

« Le gouvernement civil ne peut prendre aucune mesure forte sans gêner l’institution militaire », explique Mohammed Waseem.

Les voix des chiites, bientôt étouffées ?

Les prochaines élections pourraient aussi paralyser le gouvernement, qui ne veut pas faire de vagues en adoptant une position plus agressive sur les événements au Baloutchistan.

À Quetta, les Hazaras veulent juste un changement. Ils pensent que le gouvernement pakistanais n’assurera probablement jamais leur sécurité, et s’inquiètent sur le fait que, bientôt, les médias internationaux cesseront aussi de leur prêter attention.

« Que quelqu’un nous aide s’il vous plaît ! », lançait Karamat, un Hazara qui a perdu son père dans les attaques de janvier, et son frère dans le dernier attentat. « Nous n’avons nulle part où aller, et si ces attaques continuent, nous n’aurons pas de génération future ».

Une autre femme, qui a demandé à garder l’anonymat parce qu’elle craignait pour sa vie, a déclaré : « Nous n’avons pas d’intention sectaire, nous n’avons pas de liens avec l’Iran. Nous voulons juste un endroit pour vivre ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs pour JOL Press

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