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Philippe Braud: «F.Hollande doit se tenir à une ligne sociale-démocrate»

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Le débat en cours sur le « mariage pour tous » donne l’impression d’un combat frontal entre opposition et majorité. Au même moment, un certain nombre de députés et sénateurs de l’opposition apportent leur soutien au gouvernement sur des projets sociaux : le texte sur les contrats de génération, l’une des mesures phares du candidat Hollande, a reçu, le 23 janvier, l’approbation de cinq députés UMP, quatre UDI, celle de Marion Maréchal-Le Pen, ainsi que l’abstention de quinze UMP et de vingt UDI.

Quant à la gauche de la gauche, les voix dissonantes masquent de moins en moins non seulement leurs désaccords mais aussi, pour certains, leur volonté d’en découdre. Les cartes ont-elles été rebattues à l’Assemblée ? Entretien avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Le positionnement de François Hollande et de son gouvernement, qui se revendiquent sociaux-démocrates, vous semble-t-il remettre en cause les clivages traditionnels gauche / droite sur les questions sociales et économiques ? Ou bien est-ce juste l’illustration du principe selon lequel les socialistes se font élire à gauche et gouvernent au centre ?
 

Philippe Braud : La gauche et la droite sont des notions politiques qui recouvrent en réalité des courants très divers. Pour ce qui est des socialistes, outre les clivages traditionnels jacobins/girondins (c’est-à-dire centralisateurs et décentralisateurs), et révolutionnaires/réformistes, une ligne de fracture sépare ceux que l’on peut appeler les « réalistes » par opposition aux « utopistes ». La France étant fortement insérée dans l’Union européenne dont dépend sa prospérité, et cette UE ayant fait le choix historique de l’économie de marché et de l’ouverture des frontières, les socialistes au pouvoir ne peuvent guère prendre le risque d’adopter une politique à contre-courant de celle de nos partenaires.

Il est aujourd’hui totalement irréaliste de penser faire reculer le chômage autrement qu’en introduisant plus de compétitivité et plus de flexibilité. Mais pour gagner les élections, il a fallu faire des concessions à une rhétorique encore en faveur dans de larges secteurs de l’opinion de gauche : protection du marché du travail, stigmatisation des agissements du patronat, patronage de l’État pour « sauver les entreprises » en difficulté. C’est cet écart entre le ton des promesses de campagne et les dures réalités du pouvoir qui donne du grain à moudre aux opposants attachés aux schémas socialistes traditionnels. En ce sens on peut effectivement dire que les socialistes continuent de se faire élire à gauche pour ensuite gouverner au centre.

JOL Press : Faut-il voir, dans le soutien de quelques élus de l’opposition, un épiphénomène négligeable ou le signe de la possible émergence d’une plus large coalition soutenant la politique économique et sociale du gouvernement ?
 

Philippe Braud : Ce serait un développement logique mais le contexte n’est pas très favorable à la construction de cette coalition. Pour trois raisons. L’entrée de centristes dans la majorité serait encore perçue comme un affreux épouvantail par la gauche de la gauche. François Hollande ne doit pas être pressé d’aggraver le contentieux avec elle. Par ailleurs, à l’exception de personnalités très isolées, on voit mal des centristes aller au secours d’un gouvernement dont la cote de popularité dans l’opinion est encore médiocre. Enfin, les électeurs des députés centristes qui rallieraient le gouvernement socialiste pourraient fort bien les sanctionner.  

JOL Press : Dans ces conditions, François Hollande ne prend-il pas le risque de voir toujours plus s’intensifier le mécontentement de la gauche de la gauche mélenchoniste et communiste, mais aussi des membres les plus radicaux du PS ?
 

Philippe Braud : François Hollande est tenu de poursuivre dans la ligne sociale-démocrate qui est la sienne car il n’existe pas d’autre choix crédible. Son dilemme, cornélien il faut bien le dire, est le suivant. Soit il ne va pas assez loin et la catastrophe économique nous guette, comme l’a reconnu Michel Rocard, et comme le proclame avec justesse Gerhard Schroeder, l’ancien leader des socialistes allemands.

Soit il va plus avant, et la grogne de la gauche de la gauche ne fera que s’accentuer. Il cherche une voie apparemment médiane, mais en réalité il tente de pousser davantage dans le sens des réformes de structure honnies, en masquant cette politique derrière un style de gouvernement (la concertation) et une rhétorique (proche des gens) qui puissent atténuer la déception de son électorat le plus traditionnel.

JOL Press : L’opposition frontale droite / gauche sur le « mariage pour tous » et au-delà, sur les questions sociétales, peut-elle suffire à préserver la cohérence de la majorité présidentielle de 2012 ?
 

Philippe Braud : En dépit de dissensions plus ou moins visibles au sein de la majorité actuelle, l’accent placé sur les questions sociétales joue un rôle important dans le maintien d’une « identité de gauche » fondée sur des valeurs différentes de celles de la droite. En fait, les deux camps sont partagés. Mais la dynamique majoritaire à droite contraint à un rassemblement sur le thème de l’hostilité au mariage des homosexuels, et à gauche sur sa reconnaissance. Comme ce débat avantage la gauche, en raison de l’évolution de l’opinion sur cette question, l’opposition a intérêt à mettre l’accent sur les questions plus controversées de la PMA (Procréation médicale assistée), et de la GPA (Gestation pour autrui), susceptibles de mieux lézarder la cohésion de la gauche.

Pour l’instant, grâce à ce débat, les orientations de la politique économique passent au second plan de l’agenda médiatique. Mais cela ne saurait durer. François Hollande et son gouvernement seront bientôt confrontés de nouveau à la nécessité d’un gigantesque travail de pédagogie politique s’ils veulent éviter l’érosion de leurs soutiens.

Propos recueillis par Marine Tertrais avec Franck Guillory pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du Département de sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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