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Pour retrouver une confiance durable, il faut refonder le système monétaire

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Dans leur ouvrage Jacques Trauman et Jacques Gravereau revisitent les moments clés, les grandes avancées et les ruptures de l’histoire monétaire. On se souvient peut-être de Franklin Roosevelt, qui décida de dévaluer massivement le dollar en 1933, contre l’avis de tous ses conseillers, avec un plein succès. Sans doute aussi de la réussite inouïe du franc germinal de Napoléon.

Mais que reste-t-il du grand Solon, qui effaça la dette grecque et créa la première grande monnaie en 594 av. J.-C. ? Qui est donc Félix de Parieu, concepteur prémonitoire de l’ancêtre de l’euro, l’Union latine, au XIXè siècle ? A-t-on bien saisi les fulgurances de Jean de Médicis au XIVe siècle ou de John Law au XVIIIe ?

Extraits de Les alchimistes de la confiance, une histoire des crises monétaires, de Jacques Trauman et  Jacques Gravereau (Eyrolles)

Depuis toujours, on a tâtonné pour rechercher une monnaie parfaite, « unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges », comme la définissait déjà Aristote. Les Phéniciens, suivis par les Grecs et les Assyriens, ont inventé les espèces fondues en métaux précieux. On n’a pas tardé à les manipuler, dès l’Antiquité. Des décisions géniales ont stabilisé le système pour des générations, comme celles des Médicis dans la Florence du xve siècle ou de Napoléon avec son « franc germinal » ; d’autres ont précipité l’instabilité, dont la première est le contrôle des prix par « l’édit du maximum » de l’empereur Dioclétien en 301 après J.-C.… et la dernière en date, celle de Richard Nixon, qui décrocha le dollar de l’or le 15 août 1971.

C’est sans doute de cette décision de 1971 que nous ne sommes toujours pas remis. Le flottement généralisé des monnaies s’accompagne jusqu’à aujourd’hui du flottement généralisé de la confiance : toujours le même couple diabolique. Et l’on n’hésite pas à superposer à un système flou une architecture bancale. On a bien créé l’euro, en 1999, mais en commettant une erreur de base, que les États-Unis avaient soigneusement évitée lorsqu’ils créèrent le dollar en 1790 : si l’on émet une monnaie en se privant des instruments adéquats pour gérer la dette au même niveau collectif, on s’expose à des convulsions récurrentes : voyez l’euro. Les États-Unis avaient vu le problème dès l’origine mais, après avoir imposé depuis la Seconde Guerre mondiale leur dollar au reste du monde, ils ont fait fonctionner sans vergogne leur planche à billets pour se trouver, eux aussi, le dos au mur.

Ces bonnes ou mauvaises décisions qui ont bâti la monnaie et la confiance sont l’objet de cet ouvrage. Ce ne sont pas des grands flux de l’histoire qui les ont produites, des sortes de systèmes hégéliens impérieux et asexués, mais des hommes, souvent à rebours des idées dominantes. À propos d’histoire monétaire se trouve donc réhabilitée la « prosopographie », ce courant de pensée qui montre qu’à certains moments critiques, des décisions humaines peuvent faire basculer l’histoire dans un sens ou dans l’autre. On pense à Franklin Roosevelt, qui décida de dévaluer sa monnaie en 1933, avec un plein succès, contre l’avis de tous ses conseillers.

On connaît Napoléon et sa réussite monétaire, un peu moins sans doute l’archonte Solon et son effacement de la dette grecque en 594 avant J.-C. Se souvient-on de Félix Esquirou de Parieu, concepteur prémonitoire de l’ancêtre de l’euro, l’Union latine, au xixe siècle ? A-t-on revisité les fulgurances géniales de John Law au xviiie ? Et celles d’Alexander Hamilton, aux États-Unis, ou de Gerson von Bleichröder, en Allemagne ? C’est un voyage au fil de l’histoire, pour tenter d’éclairer nos décideurs actuels, que propose ce livre, celui d’une recherche perpétuelle du « bon aloi ».

L’aloi était la quantité de métal précieux présent dans les alliages servant à la fabrication des pièces de monnaie. Les changeurs vérifiaient qu’ils avaient affaire à une pièce « de bon aloi » en la faisant « sonner » sur une surface dure, puis en la pesant à l’aide d’une petite balance de précision, le trébuchet, afin de garantir les « espèces sonnantes et trébuchantes ». La recherche de la « bonne monnaie » est aussi vieille que la civilisation. Sans bonne monnaie, pas de confiance ; sans confiance, pas de stabilité, ni de bases économiques pérennes. C’est une équation simple mais redoutable.

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Jacques Gravereau, fondateur et directeur de l’Institut HEC Eurasia, professeur à HEC, est l’un des grands experts européens des développements de l’Asie et de la mondialisation, auteur entre autres du Japon au XXe siècle et de L’Asie majeure.

Jacques Trauman, banquier d’affaires, historien reconnu de l’économie financière internationale, a été en poste dirigeant de grandes banques pendant 35 ans dans plusieurs pays d’Asie et des Amériques. Il est aujourd’hui directeur de Aston i-Trade Finance, éditeur de logiciel.

Les alchimistes de la confiance, une histoire des crises monétaires, Eyrolles (7 février 2013)

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