Dans un rapide essai antérieur au « Capital », « Travail salarié et capital », Marx, inspiré par les classiques, analyse la relation inverse entre la capital et le travail. « Le profit croît dans la mesure où le salaire baisse, il baisse dans la mesure où le salaire croît. » Marx n’avait pas pris en compte les contraintes que l’État pouvait faire peser sur le travail, qui n’existaient pas à son époque, mais dans la mesure où, aujourd’hui, le travail est soumis à une externalité qui en accroît le coût, il est clair que son raisonnement reste le même, le rendement du capital et son accroissement en sont obérés.
[image:1,l]
Depuis le déclin du Parti Communiste, la culture économique de la gauche a décliné sur la compréhension de ces mécanismes qui faisaient autrefois partie de sa culture générale en économie. Il en découle le développement d’idées fausses qui débouchent au fil du temps sur des lois et règlementations de plus en plus inappropriés. Tout cela conduit à la destruction programmée du capital et du travail.
La relation fondamentale entre le capital et le travail est niée
L’une de ces idées, profondément ancrée, suppose que le travail ne soit pas une marchandise comme les autres, il convient donc de ne pas l’assimiler à une matière première ou au travail fourni par une machine. Cette négation a un double impact : le travail n’étant pas une marchandise, sa valeur ne peut être reflétée par un prix de marché qui n’est pas qualifié pour prendre en compte la dimension humaine et sociale du travail. De façon plus grave, le travail n’étant pas une marchandise, il n’entre pas au même titre qu’une vulgaire marchandise dans les coûts de production, sa dimension est autre. Ainsi la relation fondamentale entre le capital et le travail est niée.
Or, Marx n’a aucun état d’âme à ce sujet. Il théorise la division internationale du travail (on dirait aujourd’hui la délocalisation) comme la réponse du capital à des coûts de main d’œuvre qui sont trop élevés. Les fondements de son analyse sont la recherche continue du capitaliste à maintenir et accroitre son taux de profit sans aucune considération pour les aspects humains et sociaux que cela implique.
L’autre erreur consiste à considérer que les deux agrégats sont des variables indépendantes l’une de l’autre ce qui revient à croire que l’on peut les modifier, l’une ou à l’autre sans effet réciproques. Alors que Marx insiste : « …ils se créent mutuellement ».
Ainsi, il est clair que toutes les entraves au fonctionnement du capital, sa taxation, la mise à l’index de sa détention, ont un impact direct sur le travail. Si le capital est malmené, il n’en résulte pas uniquement une gêne pour le capitaliste (on dit aujourd’hui l’entrepreneur) mais une mise en danger du travail : « Aussi longtemps que le travailleur salarié reste un travailleur salarié, son sort dépend du capital. La voilà cette fameuse communauté du travailleur et du capitaliste. »
Le travail dépend du capital car le capital est mobile, ce que le travail n’est pas, le capital est rare, ce que n’est pas le travail.
Justifier l’octroi de salaires supplémentaires en distribuant des rentes sociales financées par de l’endettement
Mais selon un préjugé répandu chez les socio-démocrates le capital s’affranchirait facilement des contraintes qui lui sont imposées car, selon eux, l’ingéniosité du capital est sans limite, plus on lui impose de difficulté, plus il est inventif et plus il s’en joue. Plus il s’adapte. Plus on l’entrave, plus il se réinvente.
Les socio-démocrates ont fait leur miel de cette idée pour justifier l’octroi de salaires supplémentaires en distribuant des rentes sociales financées par de l’endettement. Le capital pouvant, dans le futur, être taxé à l’envie pour rembourser la dette afin de ne pas reprendre au travail avec un intérêt, ce qui lui a été donné dans le passé.
L’État s’impose ainsi dans la relation capital/travail et décide d’éléments durables constitutifs d’une hausse des salaires et d’une baisse des rendements du capital, c’est-à-dire une destruction progressive de l’un et de l’autre.
Cette distorsion introduite par un tiers fait fi d’une autre observation de Marx : « … la croissance rapide du capital est la condition la plus favorable au travail salarié. » Et inversement, pourrait-on ajouter, la destruction du capital est la condition la plus défavorable au travail salarié.
Ce qui conduit à penser que l’intervenant tiers, l’État, ferait bien mieux de s’assurer des conditions de l’épanouissement rapide du capital plutôt que le faire disparaître à petit feu ou de le faire fuir, pour qu’il s’assure de sa prospérité future, vers des zones où le travail est moins cher.
En France la gauche est restée avec la partie du marxisme, messianique et utopique, qui sollicite le moins la compréhension des mécanismes économiques : le rêve d’une société communiste délivrée du capital par la lutte des classes et dont le dernier avatar est la lutte anti-riches.
Elle ferait bien de balayer définitivement cette sinistre vision, de relire et de s’inspirer des premiers écrits et des premiers chapitres du Capital pour la robustesse et l’actualité de l’analyse sur le fonctionnement de l’économie.