Site icon La Revue Internationale

Stéphane Courtois: «Le PCF est entré en agonie depuis les années 1980»

[image:1,l]

Selon un sondage Ifop pour L’Humanité, alors qu’en 2010 le Parti communiste français était voué à disparaître pour une large majorité de Français (58 %, en hausse de 7 points par rapport à 1993), cette idée n’est plus partagée que par 47 % des personnes interrogées cette année (en recul de 11 points par rapport à 2010). 

De la même façon, l’Ifop enregistre une progression de 7 points sur l’item, le PC est « un parti qui s’est transformé » (de 23 à 30 %). La mise en place du Front de gauche a donc redonné un certain dynamisme à l’image du PCF qui apparaît à 47 % des Français (+ 8 points par rapport à août 2010) comme « un parti qui veut changer la société ».

Néanmoins, et c’est là le paradoxe, dans le même temps, 58 % des personnes interrogées estiment que « l’existence du Front de Gauche risque de conduire à la disparition de l’identité et du Parti communiste », cette idée étant partagée par 45% des sympathisants du Front de Gauche.

Afin de bien comprendre l’état du Parti communiste aujourd’hui, JOL Press a fait appel à Stéphane Courtois, universitaire et spécialiste de l’histoire des mouvances et des régimes communistes. Entretien.

JOL Press : On parle de normalisation du Front national. Qu’en est-il du Parti communiste ? Est-il perçu comme un parti comme les autres ?
 

Stéphane Courtois : De toute évidence, l’opinion des Français n’a guère évolué en 25 ans, puisque près de la moitié d’entre eux estiment que le PCF est un parti comme les autres, donc intégré au jeu démocratique et parlementaire. Il y a là une banalisation de ce parti qui fut longtemps tenu, tant par ses partisans que par ses adversaires, pour un parti « révolutionnaire ». La pointe révolutionnaire du parti semble fort émoussée aux yeux de l’opinion.

JOL Press : Le PCF est-il toujours associé à l’ère soviétique dans la tête des Français ?
 

Stéphane Courtois : Le PCF a été associé pendant des décennies à l’image de l’URSS. Cela lui avait été très profitable après la guerre en raison de l’implication de l’URSS et de l’Armée rouge dans l’écrasement de l’Allemagne nazie. Mais cela a commencé à lui être néfaste quand, en 1980, depuis Moscou, Georges Marchais a soutenu l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Cette réactivation de l’image d’un PCF étroitement lié à Moscou a contribué à la forte chute de Georges Marchais lors de l’élection présidentielle de 1981.

Le même phénomène s’est reproduit lors de l’effondrement de l’URSS en 1991, le PCF ayant dans un premier temps soutenu les putschistes anti-Gorbatchev. Enfin, la publication du Livre noir du communisme en 1997, qui dressait un bilan de la dimension criminelle des régimes communistes et en particulier de l’URSS de Staline et de Lénine, livre bruyamment combattu par le PCF, a fortement contribué délégitimer la longue solidarité du PCF envers le PC d’Union soviétique et a encore aggravé la désaffection électorale.

JOL Press : Le Front de Gauche va-t-il conduire à la disparition de l’identité du PC ? On pense en particulier à la forte empreinte de Jean-Luc Mélenchon.
 

Stéphane Courtois : L’association du PCF au Front de gauche semble, dans un premier temps, lui avoir été favorable, la candidature de Jean-Luc Mélenchon permettant au PCF de pouvoir revendiquer à l’élection présidentielle un score de plus de 11% des voix, contre les 1,9% de Marie-Georges Buffet en 2007. Néanmoins, c’était un succès en trompe-l’œil et sans doute d’une grave erreur tactique des communistes. En effet, en collant et en étant associés au discours violemment anticapitaliste, antieuropéen et anti PS de Jean-Luc Mélenchon, le PCF s’est mis à dos le nouveau président de la République et les socialistes devenus tout puissants à l’Assemblée nationale.

À la différence des écologistes, ils n’ont pas eu un seul membre au gouvernement. Et les socialistes ne leur ont fait aucun cadeau aux élections législatives : résultat, le PCF a perdu beaucoup de députés au point de ne pas pouvoir reconduire un groupe à l’Assemblée. Et le plus dur est à venir, lors des élections municipales de 2014 où les communistes ne peuvent se passer d’alliances avec le PS qui ne manquera pas d’imposer des primaires à gauche et, si le rejet du PS au niveau national n’est pas trop fort, d’arriver en tête des duels à gauche et d’imposer la « discipline républicaine » – le désistement en faveur du candidat de gauche le mieux placé – et de prendre nombre de municipalités actuellement dirigées par des communistes.

JOL Press : Le Front de Gauche permettra-t-il au contraire de donner plus d’écho aux idées communistes ? Voir une meilleure image…
 

Stéphane Courtois : Le problème tient à une question de leadership. La campagne présidentielle a montré combien Jean-Luc Mélenchon était un orateur et un tribun beaucoup plus médiatique que Pierre Laurent. En outre, Jean-Luc Mélenchon développe des idées très proches de celles du PCF actuellement, et a été le principal inspirateur du programme du Front de gauche. De surcroît, il ne traîne pas le boulet de l’URSS, des crimes de Staline etc. C’est d’ailleurs cette menace d’une perte d’identité qui avait poussé les orthodoxes du PCF à rejeter la candidature Jean-Luc Mélenchon.

En fait, on a bien du mal à percevoir cette identité aujourd’hui, par exemple d’un PCF qui milite fortement en faveur des homosexuels, alors qu’une homophobie virulente était une constante du PC des années 1920 aux années 1990. Georges Marchais avait même lancé une campagne sur ce thème à la fin des années 1970. On se demande où est passé la « lutte des classes », même si, lors du congrès, Pierre Laurent tente de la remettre en scène en coiffant un casque de chantier… bien faible parodie !

En réalité les études du vote Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle montrent que celui-ci a surtout été important dans les grandes villes universitaires et auprès des intellectuels, des classes moyennes, voire même des « bobos ». Il semblerait que même la direction communiste en donne acte en décidant officiellement de supprimer la faucille et le marteau des cartes d’adhérents : on jette aux poubelles de l’histoire le symbole le plus éclatant du communisme de lutte des classes !

JOL Press : Les communistes ont perdu le vote ouvrier. S’ils ne parviennent pas à reconquérir cet électorat, que leur reste-t-il ?
 

Stéphane Courtois : Le sondage de l’Ifop montre bien cette désaffection : seuls 29% des ouvriers estiment que le PCF est un parti utile pour défendre les salariés, 38% estimant qu’il ne l’est pas ! Ce n’est que le reflet d’une réalité qui date déjà de plusieurs décennies et de la défense jusqu’auboutiste par le PCF de la sidérurgie lorraine en 1979-1980 qui aboutit à un premier véritable désastre pour les ouvriers, toute la reconversion étant partie au Luxembourg.

Les communistes de la CGT sont en train de rééditer cette stratégie calamiteuse dans un certain nombre d’endroits, bloquant toute mutation industrielle. Il est d’ailleurs à noter que la désespérance ouvrière a largement nourri le vote en faveur de Marine Le Pen à la présidentielle, les classes populaires se sentant ouvertement abandonnées par le PS – les analyses de Terra Nova incitant à réorienter le parti vers les classes moyennes et supérieures – mais aussi par le PC qui semble plus s’intéresser aux querelles sociétales – mariage homosexuel etc. – qu’aux problèmes du quotidien, du beefsteak comme on disait dans le temps.

JOL Press : Le PC doit-il se transformer ?
 

Stéphane Courtois : Il me semble qu’après l’heure c’est plus l’heure : si le PCF devait se transformer, c’était dans les années 1970. Cela a été à l’époque tenté par l’équipe communiste parisienne dirigée par Henri Fiszbin. Mais elle a été violemment condamnée par la direction nationale en 1979 – à laquelle appartenait le père de Pierre LaurentRobert Hue a bien essayé de reprendre cette « mutation » en 1995-1996, mais il n’a pas réussi et en a tiré les conséquences : il a quitté le parti. Je crains que le PCF soit un parti entré en agonie depuis déjà le milieu des années 1980, mais une agonie peut-être très douloureuse et appelée à durer longtemps.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Stéphane Courtois est un historien et universitaire. Il est directeur de recherche au CNRS (Université de Paris X) et spécialiste de l’histoire des mouvances et des régimes communistes. Il est l’auteur du Livre noir du communisme : crimes, terreur, répression (Robert Laffont – 1997), du Bolchevisme à la française (Fayard – novembre 2010) ou encore Communisme et totalitarisme (Perrin – août 2009)

Quitter la version mobile