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1858-1929: l’âge d’or de la Haute Couture française

Magasin des Modes 1787

Avant 1848, l’industrie de la mode était dépendante d’une clientèle aristocratique et royale. Le couturier ne disposait d’aucune autonomie. Il ne faisait qu’obéir aux ordres de son client. Le client s’adressait en effet aux merciers. De plus, les demandes en matière de mode étaient dictées par le pouvoir. L’inspiration venait de la presse de mode (Le Journal des dames et des modes par exemple) et des corbeilles de mariage.

Le Magasin des Modes (1787).

 
Le Journal des Dames et des Modes, fondé en 1797 à Paris.

La confection consistait à confier à une ouvrière une étoffe destinée à la fabrication d’un manteau. La couture consistait à assembler des modèles uniques (c’est-à-dire le modèle dans l’air du temps) à partir d’étoffes fournies par des merciers. Dans les faits, il n’existait pas pendant de nombreuses années de césure claire entre les activités de couture et les activités de confection (distinction impossible puisque les modes de fabrication étaient manuels pour tous et la vente à l’unité était pratiquée par toutes les firmes).

Réunion de la famille Barré, marchands-merciers à Paris, par Marius-Pierre Lemazurier (1772). Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Charles-Frederick Worth est reconnu comme l’inventeur de la couture (il fonde sa propre entreprise rue de la Paix à Paris avec son partenaire Otto Bobergh en 1858). Comme le rappelle David James ColeWorth sut mieux que d’autres gérer sa notoriété et gagna rapidement le surnom de « l’homme-couturier », symbolisant « le déplacement du métier de couturier des mains des femmes vers celles des hommes vit la création de mode considérée comme un art appliqué » (source : Mode de Recherche n°16).

Boutique de Charles-Frédéric Worth, 7 rue de la Paix. Source : Didier Grumbach, « Histoires de la mode », éditions du Regard (réédition), Paris 2008.

Avec Worth, la robe, qui était auparavant au second plan, joue un rôle essentiel grâce à l’intervention du couturier. Il appartient à ce dernier de décider de la combinaison des différents éléments (tissus et accessoires) composant la robe. Il convient également de rappeler la dimension économique de l’initiative de Worth : le fait de décider du modèle à la place de la cliente permet en effet au couturier de cumuler les marges de la vente de l’étoffe et celles de la confection du vêtement. Worth fait pour cela appel aux fabricants lyonnais, commandant les étoffes en ayant en tête le modèle qui sera réalisé.

Robe du soir de Charles-Frédéric Worth (1866-67). Source : Museum of the City of New York.

En 1868, est créée la Chambre syndicale de la couture et de la confection pour dames et fillettes. Paris a alors le monopole de la mode et de nombreux étrangers s’y installent pour y exercer cette activité.

La démarche de Worth est suivie par plusieurs entrepreneurs, hommes ou femmes : Jacques Doucet qui ouvre dans les années 1880 et dont la notoriété semble avoir été importante ; Mme Paquin qui ouvre une maison en 1891, rue de la Paix comme Worth. Elle se caractérise notamment par une internationalisation précoce avec l’ouverture d’une succursale à Londres ; les soeurs Callot, à l’origine entreprise de dentelles ouverte en 1888 mais qui devient une maison de couture ;  Mme Laferrière ; Paul Poiret, qui après avoir travaillé chez Doucet et Worth ouvre sa propre maison en 1904.

Le développement de cette activité peut également être illustré par l’accroissement du nombre de couturières figurant au Bottin (de 158 en 1850 à 1636 en 1895). De plus, on estime à environ 400 000 ouvriers et ouvrières la main d’oeuvre du vêtement féminin français en 1895.

Couturières à Paris, vers 1935-1940 (René Giton, dit René-Jacques). Source : Agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux.

S’ensuit jusqu’en 1929 un âge d’or pour la couture parisienne. Résumons-en les principaux facteurs : une main d’œuvre féminine bon marché payée à la pièce, des droits à l’exportation peu élevés. Une clientèle aristocratique couplée à celle de nouveaux riches (provenant notamment d’Amérique du Nord et d’Amérique latine), et des couturiers devenus des personnages sociaux et ne souffrant d’aucune concurrence nationale et internationale. Comme le souligne Deschamps : « c’est à Paris que le monde entier vient chercher ses modèles ».

Couturières de l’Usine Benjamin Mennesson dans la Marne (1946). René Giton dit René-Jacques. Archives photographiques de la Réunion des Musées Nationaux.

Dans le fonctionnement de la couture parisienne à cette époque, on sépare clairement haute, moyenne et petite couture (la structuration de cette activité est expliquée de manière détaillée dans Histoires de la Mode par Didier Grumbach (Editions du Regard, 2008). La haute couture se distingue par sa capacité créatrice. Déjà, certains couturiers entament des démarches de diversification. Paul Poiretest le premier d’entre eux à commercialiser un parfum sous son nom (Rosine en 1911). En 1921, Chanel crée le parfum N°5. En 1925, Jean Patou lance deux parfums à son nom et Jeanne Lanvin un également.

Deux parfums de Paul Poiret : à gauche La Rose de Rosine (1911), à droite Nuit de Chine (1913).

Le défilé de mode serait quant à lui apparu à la suite de l’initiative à Londres de Lady Duff Gordon qui a en effet mis en place des présentations à date fixe de ses collections. Plusieurs maisons de couture ayant développé cette pratique, la Chambre syndicale de la couture parisienne s’est saisie de cette question et a donc mis en place « un calendrier de présentations sur mannequins ». Cette décision a véritablement structuré l’activité professionnelle, car elle a conduit à qualifier les maisons inscrites à ce calendrier de « haute couture ». Le restant des maisons se divisant en moyenne couture (maisons ne figurant pas sur le calendrier des défilés mais ayant acheteurs professionnels et une clientèle privée) et petite couture (couturières traditionnelles dites « de quartier » ayant uniquement une clientèle particulière).

Lucy Christina Duff Gordon (13 juin 1863 – 20 avril 1935).

La crise de 1929 avec son cortège de mesures protectionnistes et de contrôle des changes puis la seconde guerre mondiale viennent porter un coup sévère à cette industrie. La domination des couturiers sur le monde de la mode est progressivement remise en question. Les couturiers eux-mêmes ont senti le changement dès les années 1930 avec le lancement de lignes de prêt-à-porter : une collection signée par Paul Poiret est diffusée en 1933 par les grands magasins du Printemps. Lucien Lelong lance en 1934 une ligne de vêtements fabriqués par ses ateliers de couture mais à un prix inférieur à sa ligne couture… La concurrence du prêt-à-porter et des créateurs ne faisait que commencer…

Pour consulter le site de l’Institut Français de la Mode

 

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