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Amérique du Sud: les grands défis du secteur «R&D»

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Depuis que les Espagnols sont arrivés en Amérique latine, dans l’espoir de trouver la ville légendaire d’Eldorado, tout le développement de la région a tourné autour de ses ressources naturelles. L’essor des exportations – souvent suivi d’un effondrement spectaculaire – des matières premières, dont l’or, l’argent, le guano, le caoutchouc, la laine, la viande bovine, le bois, et maintenant le pétrole et le gaz, ont laissé leur marque dans la région.

Changer de modèle économique

Mais certains gouvernements prennent conscience du fait qu’un modèle dont les fondements ont été posés au XVIème siècle freine la croissance, à l’ère de l’économie du savoir. En particulier, ils commencent à se concentrer sur l’argent des contribuables, qui pourrait servir aux dépenses traditionnellement déficitaires de l’Amérique latine dans les STEM – science, technologie, ingénierie et mathématiques.

En moyenne, les pays latino-américains ne dépensent que 0,7 % de leur produit intérieur brut à la recherche et au développement, selon les chiffres fournis à GlobalPost par la CEPALC, l’agence des Nations unies pour le développement économique de la région.

En comparaison, les États-Unis dépensent 2,8 %, Israël 4,3 %, et la Corée du Sud 3,7 %, trois pays généralement considérés comme des modèles en termes de science et de technologie. Et la moyenne de l’OCDE pour le groupe des principaux pays industrialisés est de 2,4 %.

L’Amérique latine a besoin de plus d’ingénieurs et de scientifiques

« Il y a eu un manque de prise de conscience de l’importance de la recherche scientifique et technologique et de l’innovation en Amérique latine, en particulier dans le secteur privé », explique Sebastian Rovira, un économiste CEPALC. 

Selon lui, les pays latino-américains ont besoin de diversifier leurs économies, de chercher des emplois bien rémunérés, et de renforcer leurs secteurs manufacturiers. Tout cela sera impossible sans un approvisionnement régulier et croissant de diplômés des STEM

Peter DeShazo, directeur de LASPAU, une association à but non lucratif basée à Harvard qui promeut l’accès à un enseignement supérieur de qualité pour les Latino-Américains, ajoute : « Cela peut même ajouter de la valeur dans la filière ». 

« Pour réussir à exporter, il faut beaucoup d’investissements dans les infrastructures, les ports, les ponts et les routes. Tout cela nécessite un niveau élevé de ressources humaines, une ingénierie de haute qualité, des planificateurs, des experts en informatique, et ainsi de suite »Mais les choses commencent à changer.

Suivre le modèle brésilien

Le Brésil, dont les études montrent qu’il a déjà un impact mondial croissant en termes de recherches universitaires et de dépôts de brevets, ouvre la voie. Dévoilé en 2011, son Programme Sans Frontières de 20 milliards de dollars vise à distribuer 75 000 bourses d’études en science et technologie pour que les Brésiliens puissent étudier dans les meilleures universités, principalement aux États-Unis, y compris à Harvard et au MIT, en 2014. LASPAU aide à administrer le projet du programme doctoral.

Parmi ces bourses, plus de 34 000 iront à des étudiants en doctorat. Pendant ce temps, le gouvernement de Dilma Rousseff essayera aussi d’encourager le secteur privé à financer 25 000 autres bourses de scolarité.

Alors que le Brésil se prépare à accueillir la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques de Rio en 2016, le pays a un besoin pressant de plus d’ingénieurs et d’informaticiens, ainsi que de chimistes et de physiciens.

Avec son programme Prometeo, l’Équateur marche déjà dans les pas du Brésil

Plusieurs de ses petits voisins sud-américains font aussi leur mieux pour suivre les pas du Brésil. L’Équateur a lancé son programme Prometeo, visant à renforcer les équipes de recherche dans ses universités publiques traditionnellement pauvres. Le programme permettra à la fois de fournir un soutien pour les jeunes Équatoriens à étudier dans les STEM, et tentera d’attirer des scientifiques, informaticiens, mathématiciens et ingénieurs étrangers.

Avec des salaires mensuels allant de 4300 dollars à 5900 dollars, selon les rapports du quotidien espagnol El Pais, Prometeo vise essentiellement les Espagnols, avec lesquels l’Équateur partage une langue commune, et que la crise économique a sévèrement touchés, poussant des millions de travailleurs au chômage.

Combler le fossé quantitatif et qualitatif

Le fossé que l’Amérique latine devra enjamber a été clairement exprimé dans un récent entretien avec Carlos Jarque, directeur du département « développement durable » de la Banque de développement interaméricaine.

Selon lui, les scientifiques néerlandais et suédois ont publié plus de travaux de recherches que tous les scientifiques d’Amérique latine et des Caraïbes réunis. Et tandis que les États-Unis comptent environ 1 million de personnes travaillant dans la recherche et le développement, l’Amérique latine n’en compte que 30 000.

Mais peut-être que les données ont aussi à voir avec la qualité. Les récentes études de l’OCDE montrent que les meilleurs des 10 % d’étudiants en sciences et technologie d’Amérique latine et des Caraïbes figureraient parmi les moins bons des 25 % en Corée du Sud.

Améliorer la formation et encourager le secteur privé

La solution nécessitera une série de mesures. Peter DeShazo, ancien ambassadeur de l’Organisation des États-Unis, a déclaré que les écoles publiques (primaires et secondaires) devraient aussi s’améliorer.

De son côté, Sebastian Rovira affirme que le secteur privé devrait être encouragé afin que l’Amérique latine imite les économies avancées, où la plupart du financement des sciences et de la technologie provient des entreprises.

Il faudra « des politiques étatiques et non des politiques gouvernementales », a ajouté Sebastian Rovira – en d’autres termes, une planification à long terme qui va au-delà des limites de chaque gouvernement. Cela impliquera d’offrir des opportunités à la nouvelle génération de cracks informatiques.

Créer des emplois pour éviter la fuite des cerveaux

« Pour la plupart des chercheurs scientifiques, vous devez quitter le Pérou, au moins pour une longue période de temps, si ce n’est pour toute votre carrière », explique Mariana Leguia, une biologiste cellulaire-moléculaire péruvienne, qui a un doctorat de l’université Brown, à Rhode Island, aux États-Unis.

Elle est rentrée dans son pays d’origine en 2011 après 20 ans passés aux États-Unis, dont quelques années passées à faire de la recherche post-doctorale à l’université de Californie, à Berkeley. Après avoir parlé avec des universitaires, des ministères et des compagnies privées, elle a fini par faire de la recherche sur les catastrophes tropicales pour la US Navy, à Lima.

Aujourd’hui, alors que l’Amérique latine commence à augmenter en puissance le nombre de ses doctorants et diplômés issus des STEM, son plus grand défi reste de leur créer des emplois – emplois qui permettront à la région, une bonne fois pour toutes, d’en finir avec sa dépendance aux exportations de matières premières.

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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