Site icon La Revue Internationale

Avoir 20 ans en Inde

[image:1,l]

Shuvajit Payne a bientôt 30 ans. Depuis des années, il constate la rapidité de la croissance de l’Inde. Cet engagé dans le développement de son pays travaille dans le social depuis plusieurs années. Il habite à Kolkata, une métropole qui a entamé sa croissance beaucoup plus tard que le reste de l’Inde.

Représentatif de la nouvelle génération indienne, il pense aujourd’hui que son pays doit miser sur l’éducation pour sortir sa population de la misère.

L’Inde a été au cœur de l’actualité, depuis ces derniers temps, en raison de nombreux cas d’agressions sexuelles et de viols collectifs qui ont été révélés. Pensez-vous que la société indienne soit dangereuse ?

Il y a beaucoup de choses à dire sur ce point. Pour commencer je voudrais souligner que globalement la société indienne est essentiellement patriarcale. Le rôle des femmes a depuis toujours été relégué à l’entretien ménager. Cette idée se transmet par l’éducation et les parents perpétuent l’image des hommes tout-puissants et des femmes asservies. Ainsi, dès le début, les hommes sont amenés à croire qu’ils ont droit sur la vie, les ambitions et les actions des femmes.

Toutefois, on ne peut pas dire que ce sentiment de puissance soit à l’origine de la maltraitance des femmes en Inde.

Le système de valeurs en place en Inde implique que les hommes sont responsables des femmes et chaque homme doit prendre soin de sa mère, de sa sœur etc.

Le récent pic d’agressions sexuelles en Inde témoigne d’une dévaluation de ce système de valeurs. L’industrie du cinéma et l’industrie du porno sont en forte hausse et ont dépeint la femme comme un simple objet de désir. Nos valeurs, peut être archaïques ont alors perdu leur place dans la société.

Quoi qu’il en soit, des efforts de sensibilisation sont mis en place – mais je suppose qu’il faudra attendre une génération avant qu’ils ne prennent effet.

Mais je dois souligner que l’actuel de débat national sur la question, et la peine capitale qui sera infligée aux délinquants de ces cas récents pourra peut-être dissuader la criminalité. Pour le reste, un changement de mentalité est nécessaire.

Quels sont les principaux problèmes de la société indienne ?

Tellement de problèmes !

En quelques mots, nous sommes trop nombreux et trop pauvres ! Personne n’a jamais integré que pour vivre mieux, il faut que nous soyons moins nombreux.

Quant à la pauvreté, elle n’a jamais été au cœur des préoccupations et personne ne s’est dit qu’en éduquant et en donnant de la confiance et des aspirations, les « très pauvres » sortiraient de ce cercle vicieux.

Au lieu d’investir dans la formation, nous avons donné des subventions directes et des rations afin de pousser les pauvres à se satisfaire de leurs moyens de subsistances.

J’estime que si l’Inde devient plus entreprenante sur le terrain de la pauvreté, nous pouvons en sortir très rapidement. Il se pourrait même que ce soit la première étape vers la résolution d’autres problèmes.

Pensez-vous que le gouvernement indien agit assez contre la pauvreté ?

Aujourd’hui, je crois que 10% des Indiens possèdent 90% de la richesse du pays. Ces 10% sont les gens que nous voyons dans le monde, dans les médias, dans les « success story » de création des entreprises et dans la liste du magazine Forbes !

Cependant, les autres 90% ne reçoivent aucune attention. Les médias n’en parlent pas et les politiques ne s’en occupent pas.

Pourtant les riches ne sont définitivement pas la plus grande partie de l’Inde, la réalité de l’Inde. Pire encore est l’image de l’Inde florissante.

On oublie trop souvent que l’Inde est un pays agricole et l’agriculture est le quotidien de 60% du pays. C’est le secteur clé qui affecte la sécurité alimentaire et l’inflation de tout le pays. Mais lorsqu’on parle de l’Inde, c’est pour ses banquiers et ses fabricants de logiciels.

Cette pauvreté est-elle le fait de la différence de développement entre l’Inde rurale et l’Inde urbaine ?

En regardant l’Inde rapidement, c’est ce que l’on pourrait croire. Mais la différence n’est pas là. A Mumbai, vous trouvez des gratte-ciels et des pontons de luxe pour les plus riches de l’Inde. Mais Mumbai c’est aussi Dharavi, l’un des plus grands et des plus pauvres bidonvilles du pays.

Dans les villages, vous trouverez des propriétaires possédant de très nombreux hectares de terre, tandis qu’un autre agriculteur aura du mal à répondre aux besoins de sa famille avec son lopin de terre.

Les municipalités des villes favorisent le développement des infrastructures pour les riches. Les politiques agricoles et rurales sont faites pour les agriculteurs riches.

De toute façon, lorsqu’un effort est fait en faveur des pauvres, il sera immédiatement détourné par la corruption permanente qui existe en Inde.

Oui l’Inde grandit vite, mais pas pour tout le monde.

Quel rôle la jeunesse indienne peut-elle tenir dans la construction de l’avenir de l’Inde ?

Nous avons besoin d’entrepreneurs qui seront à l’origine d’initiatives sociales qui auront un impact sur la vie de milliers de personnes.

Les jeunes peuvent également investir leurs efforts pour résoudre les principaux problèmes de l’Inde.

Nous avons besoin d’ingénieurs, de formateurs. La liste des jeunes qui pourront venir en aide à leur pays est longue.

Etre étudiant en Inde, est-ce facile ?

Etudier est probablement assez simple, mais être guidé correctement est en revanche réservé aux plus chanceux.

Je crois que beaucoup de jeunes ne sont pas conscients de l’importance de l’éducation et n’ont pas la chance d’être entourés et conseillés.

Trouver un emploi en Inde, est-ce facile ?

L’Inde grandit de plus en plus, il y a donc du travail. Pour une personne ayant les compétences nécessaires, trouver un emploi est assez facile.

Le problème réside désormais dans les conditions de travail. Les normes internationales ne sont pas respectées et les employeurs ne sont pas du tout regardant quant à la sécurité du travail.

Pour ceux qui n’ont pas de compétences – et ils sont nombreux dans ce cas – la vie est très difficile. Les options de formation sont limitées et les coûts sont très prohibitifs.

Quelles sont vos plus grandes peurs pour l’avenir ?

Je crains de voir les conflits d’intérêts devenir de plus en plus importants en Inde. J’ai peur que la frustration des pauvres augmente à mesure que les riches deviennent puissants.

Lorsque ces deux attitudes seront poussées à leur paroxysme, alors je craindrais un véritable fractionnement de mon pays.

Quels sont vos espoirs ?

Que l’Inde réalise la place qu’elle doit donner à l’éducation. Les ruraux et les pauvres ont besoin d’être instruits pour quitter leur cercle vicieux. Des mesures appropriées peuvent être adoptées et des initiatives sont déjà entreprises, c’est le moment d’agir.

Je suis plein d’espoir. Avec les nouveaux moyens de communication et Internet, la diffusion de l’éducation peut être rapide.

Qui sont vos héros ?

Je n’ai pas de héros en particulier. J’apprécie les gens sans compromis lorsqu’il s’agit de leurs ambitions. J’apprécie les gens qui font leur travail sans se demander à qui cela profitera. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai trouvé ce genre de personnages que dans les films !

Pour vous, qu’est-ce que la France ?

J’ai connu des Français en travaillant au Royaume-Uni. Je me souviens surtout que même lorsque les Français ont des discussions animées, ce qu’il dise est terriblement beau, en tout cas lorsqu’on ne comprend pas.

J’ai eu la chance de voyager en France, j’ai trouvé l’architecture très belle, les gens très courtois. J’aime aussi les films français, et j’apprécie l’ouverture d’esprit dont ils témoignent.

Ce sont toutes ces qualités que j’apprécie en France.

Quitter la version mobile