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Beppe Grillo revendique la présidence du Conseil en Italie, même pas drôle!

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Près d’un mois après les élections générales des 24 et 25 février, l’Italie n’a toujours pas de gouvernement et le président de la République poursuit ses consultations. Malgré une longue tradition de crises gouvernementales, la démocratie italienne n’est que rarement apparue « engluée » dans une situation aussi inextricable…

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Et ce jeudi, au  Quirinal – la présidence de la République -, Beppe Grillo, trublion de la vie politique italienne, anti-establishment et pro-« démocratie directe », vainqueur de fait des derniers scrutins, a jeté un énième pavé dans la mare : le sulfureux ex-humoriste a revendiqué le poste de chef de gouvernement pour son Mouvement Cinq étoiles (M5S) au motif que son parti est désormais « la première force politique du pays par le nombre de voix obtenues ». Son ambition, former le gouvernement et réaliser son programme. Pas si drôle que ça, l’ex-humoriste.

Pas drôle du tout même, puisque son succès électoral – et la désaffection à l’égard des partis traditionnels – prive l’Italie de toute issue rapide à cette crise. Pire encore, les seules solutions – des gouvernements de grandes coalitions – ne seraient qu’éphémères et risqueraient fortement, à court terme, de renforcer encore davantage la position de Beppe Grillo et de son Mouvement Cinq étoiles (M5S).

Une victoire à la Pyrrhus

La victoire de la gauche démocratique, sociale-démocrate « bon teint » du « François Hollande italien », Pierluigi Bersani, n’a été que trop relative en voix et carrément insuffisante en sièges. A l’Assemblée nationale, pas de souci puisque la prime majoritaire accordée à la coalition arrivée en tête – en voix et sur l’ensemble du pays – assure au Partito democratico et à ses alliés une majorité absolue de 340 sièges, soit 216 d’avance sur le Popolo della Libertà de Silvio Berlusconi pour seulement 0,4% de voix de plus. Mais au Sénat où la prime majoritaire est attribuée au niveau des régions, Pierluigi Bersani ne peut compter que sur 109 sièges sur 315. Le bicamérisme italien étant égalitaire, un président du Conseil doit disposer d’une majorité dans les deux chambres. D’où la crise…

Un intérim qui arrange tout le monde ?

Pendant que le président Giorgio Napolitano consulte, pendant que les responsables des différents partis tentent de trouver une solution – de la « grande coalition » au gouvernement minoritaire -, un homme reste en place. Trois mois après avoir annoncé sa démission, un mois après avoir manqué son pari – remporter l’élection ou, en tout cas, être « faiseur de président du Conseil » – l’ancien commissaire européen Mario Monti reste à la tête du gouvernement technique mis en place en novembre 2011.

Dans les milieux économiques transalpins, et du côté de Bruxelles, la prolongation du mandat gouvernement d’Il Professore rassure. Les marchés aussi patientent. Mais, il ne faut pas s’y tromper, Mario Monti se contente de gérer les affaires courantes et n’est pas en mesure d’engager la moindre réforme.

En homme providentiel, pourrait-il consentir à rester ? C’est peu probable. Et puis, les dernières élections ont sanctionné – si ce ne sont les réformes conduites en elles-mêmes – l’impact qu’elles ont eu sur la quotidienne des Italiens. Que leurs sentiments soient « un peu trop d’austérité » ou « vraiment trop d’austérité », dans les deux cas, les électeurs italiens, collectivement, un carton rouge ont adressé un carton rouge à Mario Monti. Le « sacrifié » n’ignore sans doute pas que l’Histoire lui a déjà fait crédit de ce que l’Italie n’a pas sombré « à la grecque » – et l’Europe de ceux qui gouvernent espère, sans doute, à la première occasion le récompenser – et s’assurant de nouveau ses services, du côté de Bruxelles, imagine-t-on.

En attendant Grillo…

Mais, dans le même temps, la situation en Italie est des plus préoccupantes. Qu’une coalition branle-ballante finisse par être constituée et qu’un gouvernement plus ou moins technique soit investi ou pas, les Italiens auront à revoter à courte ou moyenne échéance. Et, alors, il y a fort à parier que le Mouvement Cinq étoiles (M5S) ne sorte des prochains scrutins toujours plus renforcé. Après tout, ne s’en est-il pas fallu que de 4% pour que, dès cette fois-ci, les grillonistes n’arrivent en tête et ne disposent d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale ? Que les uns en gagent deux, que les autres en perdent deux – et c’est l’aventure.

Oui, une aventure car le grillonisme est un populisme de la pire espèce, de ceux nés de nulle part, rattachés à aucune véritable tradition politique, empruntant aux uns, aux autres – et souvent le pire. Ensuite, si le Mouvement Cinq étoiles (M5S) compte sûrement dans ses rangs des femmes et des hommes de qualité – compétents et, sans doute, sincères -, il n’est pas certain qu’ils soient armés collectivement – et durablement – pour l’exercice des responsabilités d’État.

S’il convient d’établir les conditions d’une démocratie plus directe, s’il faut encourager le renouvellement du personnel politique et, au-delà, une plus grande participation des citoyens, les changements ne sauraient passer par une « révolution », fût-elle légale – et scellée par les urnes.

Un avertissement à l’Europe

Les responsables européens auraient tort de prendre à la légère la percée de Beppe Grillo et du Mouvement Cinq étoiles. Cette poussée se situe à la conjonction de plusieurs phénomènes distincts : d’une part, les évolutions technologiques – Internet & co – qui rendent possible une démocratie plus directe et un égalitarisme ambiant qui, évolution idéologique de longue durée, tend à remettre en cause les hiérarchies existantes, d’autre part les effets de la crise centennale que nous traversons, catalyseur potentiel comme celle qui l’a précédée dans les années 1930 des pires expériences.

Si le phénomène prendra, d’un pays à l’autre, des formes différentes, si ses différents acteurs peineront sans doute à s’unir tant leurs intérêts divergent, il n’y aura désormais plus une élection en Europe qui ne risque de se traduire par une poussée des populismes et des irrationnels.

Et Beppe Grillo n’est pas seulement un bouffon. L’histoire a déjà démontré qu’il fallait se méfier des petits excités à la langue bien pendue…    

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