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De l’insulte en politique

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Salopard [nm, pop.]: individu sans scrupule qui agit envers autrui de façon ignoble.

« Dans ces 17 salopards, il y a un Français »

Lors du congrès du Parti de Gauche (PG), qui s’est tenu le 23 et 24 mars à Bordeaux, François Delapierre, son secrétaire national, a dénoncé les « 17 salopards de l’Europe ». Les « salopards », ce sont les 17 gouvernements de l’Union européenne qui ont lancé un plan de sauvetage de l’économie chypriote, très critiqué.

« Dans ces 17 salopards, il y a un Français, il a un nom, il a une adresse, il s’appelle Pierre Moscovici et il est membre du Parti socialiste », a continué le secrétaire national du PG. « Une très belle expression », a déclaré Jean-Luc Mélenchon en souriant aux journalistes lors du congrès, qualifiant le ministre de l’Economie et des finances de « petit intelligent qui a fait l’ENA » et qui « ne pense plus en français », mais « pense dans la langue de la finance internationale ».

Inacceptable !

Ce n’était, bien évidemment, pas l’avis du PS, qui n’a pas attendu pour s’insurger contre cet écart de vocabulaire. Qualifiés d’« inacceptables » par le 1er secrétaire du Parti socialiste, Harlem Désir, les propos étaient pour lui dignes d’« un vocabulaire des années 30 que l’on ne pensait plus entendre de la bouche d’un républicain et encore moins d’un dirigeant de gauche ».

Le principal intéressé, Pierre Moscovici, a condamné les propos, et rappelé au Parisien qu’il « bosse 17 heures par jour. Tous les jours. Je mets toutes les forces que j’ai dans ma mission. Alors je peux réussir des choses, je peux en échouer d’autres. Mais non je ne suis pas un salopard. Je suis un homme honnête », a insisté le ministre.

Des relents de populisme

Sur les réseaux sociaux, les militants socialistes ont aussi réagi à leur manière, demandant des excuses, certains traitant d’« antisémites » [Pierre Moscovici est juif] les auteurs des propos, d’autres de « populistes ».

Pierre Serne, vice-président EELV d’île-de-France, a même twitté : « Si la phrase de Mélenchon sur Moscovici est avérée, il rejoint la lignée des Laval, Doriot, Deat et autres leaders de gauche devenus populistes antisémites ! ». Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a de son côté assuré qu’il « ne sert à rien de courir derrière l’extrême droite dans son langage ».

Pourquoi tant de haine ?

« Je pense que la radicalisation du vocabulaire politique ne vient pas de la crise mais qu’elle répond à d’autres logiques : les formes de la compétition politique sont en train de changer et ce sont ces changements de concurrence dans l’exercice du pouvoir qui ont tendance à radicaliser le vocabulaire », déclarait l’historien Frédéric Monier, spécialiste de l’histoire politique contemporaine.

« Les nouveaux entrants dans la vie politique sont porteurs d’une vision très dure des élites politiques au pouvoir […]. Ce renouvellement du personnel politique radicalise les enjeux », a-t-il ajouté. Il radicalise également le vocabulaire. En témoigne les récentes attaques de Jean-Luc Mélenchon, envers les médias, mais aussi contre le discours « prout-prout » des dirigeants politiques. « Le peuple en colère a besoin d’avoir des dirigeants qui parlent dru et cru, qui disent les choses comme elles sont ».

Libé en prend pour son grade

Le quotidien Libération a « osé » se moquer gentiment des récentes invectives, façon cour d’école, à la une de son édition du 26 mars. Qu’à cela ne tienne, le leader du Parti de Gauche s’est de nouveau lancé dans une diatribe contre ces « hypocrites de médias », « manipulés comme des pantins en agitant des chiffons rouges » : « Oh les pauvres petits biquets ! Libé qui, tous les jours, sort des vannes à deux balles sur tous les sujets… ». La vanne à deux balles aura au moins eu le mérite d’amuser la galerie.

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