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Evangélisation: ce que Rome reproche aux jésuites

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Les jésuites manient avec une grande maîtrise ce que l’on appelle aujourd’hui la « communication » avec leurs pays d’origine. En dépit des distances et de la longueur des voyages, le public européen était parfaitement informé de l’activité missionnaire des jésuites grâce aux « Relations », puis aux « Lettres édifiantes et curieuses » qui renseignaient non seulement sur le travail apostolique, mais aussi sur les mœurs et la géographie des contrées lointaines. Cette littérature missionnaire connaît un grand succès et participe à la vulgarisation de la connaissance qu’ont les Européens des autres continents.

Véritable indépendance

Les jésuites sont indépendants de la puissance coloniale locale. Non seulement, ils se démarquent des autorités coloniales, exemples exécrables de la religion qu’ils prêchent, mais ils auraient même tendance à se substituer au pouvoir temporel. Le père Henriquez, missionnaire en Inde, n’écrit-il pas « Avec un seul prêtre qui serait lui-même fonctionnaire, on ferait plus pour la conversion des Indiens qu’avec 20 prêtres sous un mauvais fonctionnaire.» Les jésuites accordent une grande importance à l’encadrement des néophytes, à la formation des catéchistes. Les indigènes ne sauraient cependant accéder à un statut de père jésuite. Une vie au séminaire ne suffirait pas pour atteindre le niveau requis.

Finalement, au moment de leur suppression en 1773, c’est du côté des conquêtes espagnoles que se trouve le plus gros des missionnaires jésuites : on en compte 1500 en Amérique espagnole contre le tiers seulement au Brésil. Au Brésil en 1549. Il n’y a plus de missions au Japon depuis la fermeture totale du pays survenue en 1623, où ils ont été jusqu’à 140 à la fin du XVIe siècle. Le Paraguay est compté à part puisque les réductions guaranies ne dépendent pas ni de l’Espagne ni du Portugal.

En Inde

Jusqu’à quel point la pratique de la religion catholique peut-elle s’adapter aux coutumes locales ? Jusqu’où l’éradication des anciennes croyances doit-elle aller ? Ces questions sont inhérentes à la démarche d’évangélisation. Tel est le cas en Chine et en IndeEn Inde, c’est la question des castes qui pose problème : les premiers missionnaires ont pu obtenir quelques succès auprès des parias, mais cette image de religion des parias jointe à l’exécrable réputation des Portugais les coupent complètement des castes supérieures. Peut-on se dispenser de mettre de son côté les classes supérieures ? A cette époque, personne de raisonnable ne le croit. Les missionnaires et leurs contemporains sont encore imprégnés du souvenir de Constantin qui a fait basculer en son temps le monde romain du côté du christianisme.

Le jésuite Roberto de Nobili, un intellectuel de haute volée peut approcher à Madurai ceux qu’on appelait les Brahmes (C’est-à-dire les Brahmanes) comme Ricci a pu le faire avec les lettrés Chinois. Il se présente sous la forme d’un saniassi, c’est-à-dire une sorte de sâdhu. Mais pour rester dans le monde des Brahmes, il doit cesser de fréquenter les autres chrétiens, y compris ses collègues missionnaires. Il s’habille et se nourrit comme un Brahme. Ses méthodes sont vivement critiquées au cours d’une controverse qui dure 12 ans. Finalement, le pape Grégoire XV approuve sa méthode en 1623. En 1640, il crée une autre classe de jésuites qui peut fréquenter les parias. En fait, comme il n’a pas de successeur immédiat, quelques décennies plus tard, en 1700, les hautes castes ne sont pratiquement plus représentées dans la communauté de Madurai.

En Chine

Malgré la conquête de la Chine par les Mandchous en 1644, qui met la jeune église en difficulté, la mission réussit à se maintenir. Il n’y a pas entre le christianisme et le confucianisme d’opposition aussi manifeste qu’avec les religions polythéistes, et les Jésuites tentent d’adapter la religion chrétienne à la culture confucéenne chinoise. Ce désaveu des jésuites doit être situé dans le contexte plus général d’une mise en cause de la compagnie par la plupart des puissances catholiques et par les autres congrégations. L’adversaire le plus acharné des jésuites fut le premier ministre du Portugal, le Marquis de Pombal. En 1773, le pape Clément XIV prononçe la suppression des jésuites. 

Cet article avait été précédemment publié dans le mensuel La Nef

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