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François Hollande et le social-libéralisme: la foi des convertis

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Que François Hollande ait, pendant ses premiers six mois de mandat, gouverné la France comme un pied, c’est une évidence. Il a tout fait, mais tout faux. Le matraquage fiscal des chefs d’entreprise a découragé les seuls acteurs dont la fonction est de créer de la richesse, donc des emplois. L’alignement de la fiscalité des revenus du capital sur ceux du travail a été une stupidité économique dans la mesure où cela revenait à imposer le capital deux fois plus, d’où l’arrêt des investissements. Passons sur les puérilités concernant l’arrêt du nucléaire ou la fin de non recevoir à propos de gaz de schiste, ce qui revient à s’interdire tout gain de compétitivité sur les achats d’énergie.

Passons sur les ambitions de relancer la croissance par la demande ! Ces ambitions ont, comme prévu, complètement avorté parce que ce n’était pas le sujet et que l’on n’avait pas un euro à mobiliser.

Face à un régime en déliquescence, François Hollande passe à l’action

Passons sur la naïveté de croire que les Allemands allaient payer nos factures, sans les contrôler. Passons aussi sur la cacophonie récente sur le diesel, comme si c’était le moment de démonter davantage  l’industrie automobile. Passons enfin sur les propos puérils concernant les banquiers, taxés d’ennemi numéro 1 du progrès. Passons sur les propos parfois injurieux à l’encontre de patrons accusés de jouer contre le pays alors qu’on aura forcement besoin d’eux pour créer des emplois. Passons enfin sur les incohérences et l’inexpérience des membres du gouvernement. Bref, le Président et son équipe ont eu tout faux de chez tout faux.

Le résultat de tout cela, c’est que la situation française s’est dégradée dans des conditions dangereuses, que la cote de popularité du Président s’est effondrée en dépit de son agitation internationale qui occupe l’opinion quelques heures mais pas plus. Le plus grave étant de désespérer sa propre majorité sans même lui avoir donné totalement satisfaction. Encore quelques semaines à ce rythme-là, et le régime se serait effondré, surtout avec des marchés internationaux qui n’auraient plus fait confiance à ce pays, des élites et des capitaux qui auraient fuit l’hexagone. Tombé au fond de la piscine, il fallait réagir.

La réaction de François Hollande n’a pas été annoncée ou publiée mais elle a commencé à s’élaborer.

Il a occupé les écrans télé et l’opinion avec des voyages à l’étranger laissant à d’autres (ses amis de la Cour des comptes) le soin d’annoncer les mauvaises nouvelles. De tergiversations en hésitations, François Hollande a, en fait, modifié sa stratégie. Plus question d’accabler l’équipe précédente comme au début du quinquennat. Ce qui nous arrive ce n’est pas de la faute à Sarkozy, mais à la crise.

Des réformes, non, des révolutions !

Hollande a découvert la crise. Alors il n’en est pas au point de faire son autocritique, il considère que si la crise a des effets aussi graves chez nous c’est aussi de la faute de la politique européenne, donc des Allemands, mais là, il va être très prudent. Parce qu’on lui a quand même expliqué que c’est très difficile de demander aux Allemands de payer les factures des Européens tout en leur tapant dessus. Donc là encore, il va changer de discours. D’autant qu’il ne trouvera pas d’alliés en Europe du sud. Il avait déjà eu du mal à rallier Mario Monti, on le voit mal venir flirter avec Berlusconi.

Bref, le roi est nu. Il va donc carrément en tirer les leçons et changer son fusil d’épaule. Nombreux sont ceux qui l’attendaient sur le terrain de la social-démocratie, on va le retrouver sur celui de ce fameux social-libéralisme.

Sur le terrain de l’action, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont déjà acté cette semaine deux réformes structurantes.

La première porte sur une modification du droit du travail négociée par les syndicats et qui va permettre des accords de compétitivité. Bref, on va monter dans le train de la flexibilité. Dans le projet de loi, sur la flexi-sécurité, le gouvernement met l’accent dans ses explications sur la sécurisation des parcours professionnels, sur les concessions faites par le patronat. Mais en réalité, il n’y a pas grand-chose sur la sécurisation. L’essentiel organise la mobilité et la flexibilité. Avant même que la loi soit passée Renault vient d’obtenir de ses syndicats, y compris FO, au départ récalcitrants une signature qui cale l’évolution salariale sur la conjoncture. Ce n’est pas une réforme, c’est une petite révolution qui peut permettre de conserver quelques usines en France.

Le deuxième projet annoncé par le gouvernement porte sur la relance du Grand Paris. C’est assez incroyable qu’un gouvernement soutenu par la gauche avec l’appui des écologistes en vienne à reprendre le plus formidable chantier de développement industriel, urbanistique et d’aménagement que la France ait imaginé depuis des décennies. Quant au financement, il faudra bien passer par des partenariats publics-privés.

Le gouvernement ne va pas s’arrêter là. Il planche désormais sur trois dossiers que l’on ne pouvait pas imaginer voir sortir il y a encore trois mois.

D’abord une réforme du logement, fondée non pas sur le social, les aides, les réquisitions ou la fiscalité mais sur l’offre. Oui sur l’offre ! Le gouvernement a enfin compris que la crise du logement et les prix exorbitants dans les grandes villes étaient imputables à un déficit d’offre. Il faut construire massivement des logements, donc il faut libérer les prix qui vont baisser. Et pour cela, il faut libérer les terrains constructibles, donc alléger les réglementations. Il faudra donc retirer aux maires le privilège d’octroyer les permis de construire parce que ce sont les maires qui bloquent tout. Ils ont tellement peur que l’habitat nouveau vienne changer la sociologie de leur électorat. Si la réforme vient pousser l’offre, là encore c’est une révolution.

Ensuite, une réforme de la retraite est nécessaire. Mais en allant au cœur du problème : l’âge de départ.

L’Insee cette semaine a sorti une enquête montrant que la majorité des seniors partaient plus tard que l’âge légal. Non pas pour de raisons financières mais pour des raisons personnelles. Même Henri Emmanuelli reconnaît qu’il faudra repousser vers 65 ans et plus l’âge de départ. Est-ce que cela se fera par le changement de l’âge légal ou par la durée de cotisation ? Peu importe. L’important, c’est de caler la réalité juridique sur la réalité démographique. On ne peut pas dépenser des fortunes d’un côté pour faciliter l’allongement de la durée de vie, puis empêcher ceux qui voudraient travailler plus longtemps de le faire.

Enfin, mais c’est une banalité, il faudra très vite réduire les dépenses de l’État. Jérôme Cahuzac va trouver les 5 milliards qu’il lui faut, et que l’on a déjà cette semaine demandé aux différents ministres. Mais ça, c’est pour l’administration centrale. Agnès Verdier-Molinié, de l’Ifrap, vient de démontrer dans un livre remarquable qu’il existe un gisement de 60 milliards d’euros d’économie dans les administrations et les collectivités, sans pour autant hypothéquer la qualité de service. Avant six mois, on sera fixé.

Le social libéralisme que préparerait François Hollande piège et paralyse la droite

Ce qui est important, c’est qu’à chaque fois que la sphère publique a un euro de moins à dépenser, c’est la sphère privé qui se retrouve avec un euro de plus à investir. Le gouvernement a enfin compris, contraint et forcé, le BA-ba de l’offre. On ne le criera pas sur les toits mais une telle politique est beaucoup plus libérale que sociale. Beaucoup plus créatrice de richesse que redistributrice de richesse. La logique est complètement différente. Mais après tout, quand il n’y a plus rien à distribuer, il faut bien commencer à recréer de la richesse.

Cette nouvelle politique qui se dessine va évidemment provoquer un séisme politique. A priori, la gauche peut difficilement l’accepter. C’est à l’opposé de tout ce qu’on lui a vendu au moment des élections présidentielles. C’est à l’opposé de tout ce à quoi elle a été formé, nourrie de Keynes, de justice, d’équité et d’égalité. Et là, on va lui servir un projet d’organisation qui assume la mondialisation et ses opportunités, qui prône l’innovation et le progrès technologique et favorise la concurrence (dans le logement par exemple). On tue Keynes et on va réapprendre Schumpeter, le chantre de la destruction créatrice. Arnaud Montebourg qui passe son temps à protéger les vieux arbres qui empêchent le développement des jeunes pousses ne va pas en dormir. Mais il faudra bien qu’il suive le mouvement. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ! » C’est bien Chevènement qui disait cela, non ?

Tout dépend comment François Hollande va présenter cet ensemble.

A priori, il devrait commencer à parler la semaine prochaine. Le fiasco de la manifestation du Front de gauche cette semaine l’a plutôt encouragé à avancer son calendrier. Reste à connaître la réaction des écolos au Parlement. François Hollande a besoin de sa majorité. Mais le Front de gauche, comme les écolos, ont eux aussi besoin de rester au pouvoir. Alors, il y aura des crises de nerfs mais on devrait finir par s’entendre.

A droite, paradoxalement, la réaction va être plus compliquée. Parce que la droite n’a pas de projet, pas de solutions alternatives, pas d’organisation. La droite ressemble à un champ de bataille perdu. La droite n’avait comme solution que de critiquer la politique de François Hollande, de prévenir du côté désastreux de ses premières mesures et de réclamer des réformes.

Si maintenant François Hollande tourne casaque et se met dans le train de la modernité sociale libérale, il va devenir beaucoup plus difficile à critiquer. Comment s’opposer à la loi sur la flexibilité ? Des leaders de la droite ont annoncé qu’ils allaient la voter. Comment s’opposer à la relance du Grand Paris ? Projet initié par Nicolas Sarkozy lui-même. Comment s’opposer à la réforme de la retraite ? Comment s’opposer à la mesure des réductions des dépenses publiques ? Du gel du point d’indice ?

Le social libéralisme que préparerait François Hollande piège et paralyse une droite qui est aujourd’hui incapable de sortir une perspective alternative.

D’où la sortie de Nicolas Sarkozy qui a bien vu le changement d’orientation qui se prépare du côté de l’Élysée et la mollesse des réactions à gauche. En 1982, la gauche de François Mitterrand a bien avalé le libéralisme financier défendu par Jacques Delors et Pierre Bérégovoy. En 2013, la gauche Hollande peut assumer un virage à 180°. François Mitterand n’avait pas changé de Premier ministre. Aujourd’hui, François Hollande a compris que Jean-Marc Ayrault pouvait être son Pierre Mauroy.

A Sciences-Po, autrefois, il y avait un prof qui expliquait que si un président doit changer de politique par rapport aux promesses qu’il a faites pendant sa campagne « il ne faut surtout pas changer de Premier ministre. Ça désorienterait beaucoup trop le peuple ». Le prof en question est devenu, par la suite, ministre dans un gouvernement de gauche. Il aurait aussi pu devenir président de la République. Il aurait pu… oui. Mais ça, c’est une autre histoire.

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