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Hélène Védrine: «Le livre reste le bien culturel préféré des Français»

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JOL Press : Quelle est la situation du marché de l’édition en France ?

 

Hélène Védrine : Depuis longtemps, on a tendance à évoquer le marché de l’édition en termes de crise. De quelle crise parle-t-on ?

Cette notion s’appuie sur des chiffres qui, depuis deux ans, montrent une baisse ou un tassement des ventes de livre. Cependant, depuis 2000, le chiffre d’affaires de l’édition a augmenté de près de 14 %, avec une légère récession en 2008, et s’est stabilisé autour de 6, 5 à 7 milliards d’euros.

Il s’agit plutôt d’une crise structurelle, liée à l’organisation du marché. Depuis 2000, la structure de l’édition est caractérisée par la concentration du chiffre d’affaires aux mains de quelques grands groupes éditoriaux (on ne parle plus que rarement de maisons d’éditions…). 10 groupes éditoriaux (dont Hachette, Editis, La Martinière-Le Seuil, Gallimard qui vient de racheter Flammarion, etc.) concentrent 75 % du chiffre d’affaires. En réalité, deux groupes (Hachette et Editis) possèdent 40 % du marché, et Hachette à lui seul en représente 30 %...

Cette concentration inquiète, car les plus grands groupes sont des multinationales dont l’activité financière ne relève pas seulement de l’édition et se fait pour une large part à l’international. La crainte est de voir une uniformisation de la production éditoriale et une soumission des politiques éditoriales à des logiques strictement économiques qui prônent une rentabilité à court terme au détriment de la construction d’un catalogue sur le long terme. Cette inquiétude est surtout sensible dans le secteur de la littérature, qui représente 25 % du marché.

Cependant, des maisons d’éditions indépendantes ou à capitalisme « familial » perdurent, tout comme perdure une grande diversité éditoriale que l’on explique souvent par la fameuse « exception culturelle » française.

JOL Press : Peut-on en effet parler d’une « exception culturelle française » pour le marché du livre par rapport aux autres pays européens ?

 

Hélène Védrine : Il y a une forme d’exception culturelle due à une volonté politique de préservation du marché, qui passe par la protection de l’édition et de la librairie indépendantes (ce qu’a encore rappelé le président de la république dans une récente allocution). La loi sur le prix unique du livre, le taux de TVA réduit, les politiques de soutien aux librairies de qualité permettent une protection du marché que ne connaissant pas les autres pays européens, et encore moins les Etats-Unis où il n’y a presque plus de librairies en dehors des grandes chaînes. L’exception culturelle, c’est aussi la forte attirance des Français pour les événements liés au livre, comme le Salon du livre.<!–jolstore–>

JOL Press : Le Salon du livre a attiré plus de 190 000 visiteurs l’année dernière. Comment expliquer cette fascination des Français pour les livres à l’heure du web et du développement des tablettes numériques ?

 

Hélène Védrine : Ce n’est pas du tout contradictoire ! Le livre, c’est aussi le livre numérique, et depuis au moins deux ans, les stands, les animations et les débats relatifs au livre électronique attirent énormément de visiteurs, dans les différents salons ou foires du livre. Sous toutes ses formes, le livre constitue encore en France un événement au sens plein du terme : salons, débats, prix littéraires permettent de lui assurer une constante visibilité et il n’est pas considéré comme un bien culturel comme un autre. Il reste le bien culturel préféré des Français (52% du marché des biens culturels, source GfK), même dans un contexte général de « culture de l’écran », c’est-à-dire d’une culture liée aux usages de l’ordinateur et d’Internet.

Même si certains ont pu penser que la culture livresque et lettrée était périmée, la France est très attachée à l’objet symbolique qu’est le livre, et les modifications qu’il a connues ont toujours suscité des débats. Par exemple, le Livre de Poche, dont on fête cette année les 60 ans, a été accusé de dégrader la culture, montrant ainsi que le livre est assimilé à l’idée même de culture. Bien entendu, devant la montée en puissance de cette culture de l’écran, l’enjeu est de savoir si les nouvelles générations liront encore et quels types de livres

JOL Press : Le monde du livre est justement en train de vivre un profond bouleversement avec l’avènement du livre électronique.  Est-il inéluctable, ou le rapport du lecteur au livre papier perdurera ?

 

Hélène Védrine : Il me semble que cet avènement est à la fois inéluctable et que le rapport au livre papier perdurera. Même si une récente enquête d’Opinion Way montrait que 80 % des Français sont réticents vis-à-vis du livre numérique, l’achat des liseuses et des tablettes multi-médias ne cesse d’augmenter et, en six mois, le nombre de Français ayant lu un livre au format numérique a presque triplé. Cette  évolution est inéluctable au sens où ce n’est pas le livre qui a inventé le numérique, c’est le numérique et les pratiques culturelles liées à Internet et aux technologies mobiles qui obligent le livre à se réinventer.

L’histoire du livre a déjà connu un tel changement de support. Entre le Ier et le IIIe siècle, on est passé du volumen, le rouleau de feuilles de papyrus, au codex, le livre sous sa forme actuelle. Ce passage a créé de nouveaux usages du livre, que l’on a pu désormais lire, consulter, étudier. Le livre numérique permettra aussi de nouveaux usages, de nouveaux modes de lecture, fondés sur la mobilité, l’accessibilitél’interactivité, combinant textes, images, sons, vidéos. Cependant, le livre papier perdurera sans doute, comme le disque vinyle survit au CD en rencontrant des pratiques et un public spécifiques. Tant que sa matérialité même permettra des usages singuliers, on peut penser que le livre papier – monumental objet d’art ou petit livre consommable – perdurera.

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