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Hugo Chavez, «matière à rire» pour les journaux satiriques

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Les petites phrases d’Hugo Chavez

Fin mars 2011, le président Hugo Chavez faisait un discours remarqué à la télévision d’Etat. Ce jour-là, ses habituelles diatribes anti-Washington, ses chansons folks et les conversations avec ses partisans faisaient place à quelque chose de plus surréaliste

Le leader anticonformiste avait par exemple suggéré que le capitalisme avait fini d’achever toute forme de vie sur Mars. « Cela ne m’étonnerait pas que Mars ait connu la civilisation, mais peut-être que le capitalisme et l’impérialisme sont arrivés jusque là-bas et l’ont achevée », déclarait le Président.

« Ici, sur Terre, il y a des centaines d’années, il y avait de grandes forêts », avait-il ajouté, en sirotant un verre d’eau lors de la Journée Mondiale de l’Eau. « Maintenant, il y a des déserts ».

Jesus Roldan, 25 ans, venait de rejoindre El Chiguire bipolar, l’équivalent vénézuélien de The Onion (site internet satirique américain), en tant que rédacteur en chef. « C’était impossible ! Que pouvions-nous faire avec cela ? », déclarait-il à GlobalPost dans les bureaux du site internet, à Caracas. « C’était tellement surréaliste. Les gens croyaient que ces phrases avaient été écrites par nous ! ». Et le surréalisme continue.

Parodies et photos détournées

Cela fait une semaine qu’Hugo Chavez est rentré au Venezuela, après deux mois d’hospitalisation à La Havane, à Cuba, suite à une opération pour son cancer. Pendant son absence, l’opposition a organisé des petites manifestations, qui paraissaient bien faibles face à l’immense soutien apporté à Hugo Chavez. Le manque d’information combiné avec une opposition ridiculement inefficace a donné naissance à de nombreuses parodies.

Presque aussitôt après que les autorités vénézuéliennes ont publié des photos d’Hugo Chavez dans son lit d’hôpital de La Havane, entouré de ses deux filles, l’opposition a immédiatement crié au montage Photoshop, et des parodies ont commencé à émerger.

« Nous n’avons pas vu Hugo Chavez depuis des mois et nous allons avoir notre meilleure audience », a déclaré Juan Ravell, co-directeur de la société de production qui détient El Chiguire Bipolar.

« Isla Presidencial », la petite série satirique qui se moque d’Hugo Chavez

Juan Ravell et sa compagnie animent et écrivent également « Isla Presidencial » (« l’île présidentielle »), une série de petits dessins animés illustrant les dirigeants latino-américains – et le roi d’Espagne – naufragés sur une île déserte.

Un épisode les montre assis sur une longue branche d’arbre, pêchant dans la mer située en-dessous d’eux. Hugo Chavez parle et chante toute la journée jusqu’à la tombée de la nuit. Divers personnages tombent au cours de la scène, ennuyés par le flot ininterrompu de ses paroles. Le président bolivien Evo Morales, l’allié d’Hugo Chavez, est le seul qui reste sur la branche pendant tout le discours.

Hugo Chavez lui-même a évoqué cet épisode à la télévision alors qu’il était assis à côté d’Evo Morales, en 2011. Après avoir longuement parlé, il s’est mis à rire déclarant que la scène n’était pas sans rappeler le petit dessin animé. « C’était incroyable », raconte Oswaldo Graziani, co-directeur de la société de production.

Emilio Lovera, comédien vénézuélien très populaire, prête sa voix à tous les personnages de « l’Isla Presidencial ». « Les Vénézuéliens sont connus à travers toute l’Amérique latine pour être les moins sérieux », affirme-t-il, ajoutant que le pays a une longue histoire de la satire.

« Les gens disent souvent que El Chiguire est le seul journal qui donne des vraies nouvelles »

Le succès de la série et d’El Chiguire Bipolar, cependant, ne tient pas seulement à l’attrait pour la satire en général, mais surtout à la figure d’Hugo Chavez.

Pendant l’absence du président vénézuélien, à la télévision, le gouvernement ne faisait que du bout des lèvres le point sur son état de santé, et les bulletins manquaient souvent de substance. El Chiguire Bipolar offrait de son côté une parodie à la Orwell : « L’état de santé du président est stable, certains jours moins stable, d’autres jours plus stable, et parfois dans un état de stabilité excessive ».

Sans véritables informations, les rumeurs vont bon train. « Les gens disent souvent que El Chiguire est le seul journal qui donne de vraies nouvelles », s’amuse Jesus Roldan.

Dans l’opposition comme au gouvernement, il y a matière à se moquer

La parodie peut seulement être concurrencée par la réalité : le lendemain du retour d’Hugo Chavez de La Havane – une nouvelle inattendue révélée sur son compte Twitter – le gouvernement exhibait la jeune Alemar Jimenez, 20 ans, censée être la 4 millionième adepte du Président sur le réseau social. Le vice-président et héritier choisi d’Hugo Chavez, Nicolas Maduro, lui a offert un bouquet de fleurs tout en la décrivant comme une « jeune fille d’une génération dorée qui soutient la patrie ».

Des deux côtés, dans l’opposition comme au gouvernement, il y a matière à se moquer. L’opposition a commencé à se diviser depuis qu’elle a perdu l’élection présidentielle en octobre. Un de ses dirigeants, l’ancien candidat présidentiel Henrique Capriles Radonski, qui veut paraître modéré, reste relativement calme. « Nous essayons aussi de parodier cette quasi absence de l’opposition », a déclaré Jesus Roldan.

« Parfois, l’idéologie dépasse le bon sens »

Le gouvernement et l’opposition sont souvent auto-contradictoires, chacun considérant son animosité envers l’autre comme plus puissante que la raison.

Par exemple, la récente dévaluation monétaire optée par le gouvernement a suscité des protestations de l’opposition, malgré un grand nombre d’économistes qui insistaient sur sa nécessité. « Les économistes de l’opposition ont dit que nous avions besoin d’une dévaluation », explique Juan Ravell. « Le gouvernement le fait et l’opposition lui reproche ! ». Son collègue Oswaldo Graziani ajoute : « Parfois, l’idéologie dépasse le bon sens ».

El Chiguire Bipolar a fait une blague sur le choc d’Hugo Chavez devant l’augmentation du prix des marchandises. « Maduro, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Je ne peux pas partir deux mois sans que tout soit trois fois plus cher ? ». Cela fait rire les Vénézuéliens, mais la dévaluation a sévèrement frappé leurs porte-monnaie. Les économistes estiment que l’inflation atteint 30 % cette année.

Le Venezuela, de moins en mois polarisé ?

Juan Ravell et Oswaldo Graziani pensent que le pays, connu pour ses divisions politiques sévères, est devenu beaucoup moins polarisé au fil du temps.

« El Chiguire Bipolar a commencé à faire des blagues à propos de l’opposition, les jeunes se sont mis à lire El Chiguire, et ils peuvent s’identifier au journal parce qu’ils pensent que l’opposition est merdique », a déclaré Juan Ravell. El Chiguire Bipolar existe depuis 2008, et « Isla Presidencial » a débuté deux ans plus tard.

« Notre objectif est de faire réfléchir les gens, de les faire rire et de dépolariser un peu les choses », a déclaré Juan Ravell. « Les gens de l’opposition et les partisans de Chavez ne réalisent souvent pas qu’ils sont très semblables. S’ils s’en rendaient compte, peut-être qu’on ne se battrait pas autant ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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