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J. de Guillebon: «Il est des dogmes qu’aucun pape ne réformera»

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Le conclave qui élira le prochain pape s’ouvrira mardi 12 mars après-midi, a annoncé le Vatican vendredi 8 mars, au cinquième jour de réunions préparatoires secrètes des cardinaux au chevet d’une Eglise en pleine tourmente. « La huitième congrégation générale du collège des cardinaux a décidé que le conclave pour l’élection du pape débutera mardi 12 mars », selon un communiqué du Vatican. Le matin, sera célébrée dans la Basilique Saint-Pierre la messe « pro eligendo pontifice » puis « dans l’après-midi l’entrée des cardinaux en conclave », a précisé le Vatican.

Une occasion pour JOL Press d’interroger Jacques de Guillebon, journaliste catholique et auteur de plusieurs essais remarqués, dont Nous sommes les enfants de personne et L’anarchisme chrétien (Editions de l’Oeuvre).

JOL Press : Plus de transparence par les médias et les nouvelles communications ont amené l’Eglise à se montrer ferme sur la pédophilie. Le clergé, les évêques et le pape sont-ils tenus à plus de transparence sur les violences commises au sein de l’Eglise ?
 

Jacques de Guillebon : En réalité, il ne faut pas fantasmer sur les « violences » commises au sein de l’Eglise : il y a eu en effet cette affaire sinistre d’abus d’enfants par des ministres du culte, mais il ne faut pas oublier qu’elle s’étend sur des décennies durant lesquelles la société entière jetait un voile pudique sur ces exactions répugnantes. En tant que structure vouée à la sainteté pour les fidèles catholiques, l’Eglise est en effet coupable d’avoir cédé à l’air du temps.

On peut cependant affirmer que plus qu’aucune autre structure, elle aura tenté ces dernières années – en fait, depuis que le Cardinal Ratzinger s’est emparé du dossier – et de lever le voile et de se racheter, autant qu’il est possible. En revanche, croire que ce sont les nouvelles communications qui ont modifié la perception qu’a la société en général de ces crimes est à notre sens une erreur : c’est bien plutôt le souci du faible, du petit, de la victime qui nous caractérise et qui ne fait qu’augmenter, de quoi il faut se réjouir, qui a précipité ces révélations. Et l’Eglise, qui plus que qui que ce soit est vouée à protéger ces petits doit en effet être aux avant-postes.

JOL Press : Demande-t-on à l’Eglise d’être irréprochable justement parce qu’elle est l’Eglise ?
 

Jacques de Guillebon : Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est que non seulement les catholiques, qui sont maintenant très minoritaires au moins en occident, lui réclament à juste titre d’être irréprochable, mais que la société entière, mue sans doute par d’anciens réflexes le lui réclame aussi. Comme si la chute d’un prêtre valait plus que celle d’un moniteur de colo, d’un enseignant ou d’un membre de la secte Moon. Ce qui prouve par la bande l’aura dont jouit encore l’institution romaine dans l’inconscient des contemporains.

JOL Press : Le prochain pape pourrait-il revenir sur certains tabous comme le mariage des prêtres, l’accès au sacerdoce pour les femmes, ou sur la contraception ?
 

Jacques de Guillebon : Il ne s’agit pas de tabous, mais de décisions qui pour diverses qu’elles soient résultent de mûres réflexions de la part de l’Eglise. Les exemples que vous donnez ne se situent pas au même niveau doctrinal : le mariage des prêtres n’a jamais existé et n’existera jamais, mais vous voulez sans doute parler de l’ordination d’hommes mariés – ce qui est très différent – qui a eu lieu pendant mille ans en occident et a cours encore dans certaines Eglises orientales catholiques. Que l’Eglise demain le permette à nouveau est tout à fait possible en soi, ce qui ne veut pas dire probable. Il ne semble pas du tout qu’il y ait une urgence de ce côté-là et l’obsession de nos contemporains à ce sujet ne fait que refléter leur obsession générale vis-à-vis de ce qui touche au sexe.

Quant à l’accès au sacerdoce des femmes, il est fondamentalement impossible, cela a été reprécisé une fois encore par Rome récemment. Pour la contraception, qui relève des mœurs et non de la structure de l’Eglise en tant que telle, l’anthropologie catholique considère qu’il s’agit d’une blessure profonde dans l’acte procréatif : l’autoriser reviendrait à mettre bas toute cette anthropologie qui est complexe. Il y a donc peu de chance que cela advienne un jour.

JOL Press : Sur quels sujets le pape ne pourra jamais tenir un discours différent que ses prédécesseurs ?
 

Jacques de Guillebon : Sur tous ceux qui concernent la foi et les mœurs, sujet dans lesquels l’infaillibilité de l’Eglise, c’est-à-dire son inspiration divine, est engagée.

JOL Press : Est-ce le rôle de l’Eglise d’apparaître comme une conscience morale pour l’humanité ?
 

Jacques de Guillebon : Ce n’est pas son rôle premier, qui est d’annoncer la libération de l’homme par le Christ, mais les questions morales, au sens haut du terme, sont forcément connexes. Aujourd’hui que toutes les structures sociales et communautaires traditionnelles ont été mises à bas et que plus aucune vérité ne peut demeurer sans être contestée, le roc qu’est l’Eglise apparaît dans toute sa dimension prodigieuse aux contemporains, la plupart pour la conspuer, de nombreux autres pour s’y raccrocher.

JOL Press : On sait que l’Eglise s’adapte aussi à son époque. Sur quels sujets, elle pourrait avancer ? On se souvient de la modernité de la doctrine sociale de l’Eglise, par exemple.
 

Jacques de Guillebon : L’Eglise avance, particulièrement depuis Vatican II, sur des sujets comme la liberté religieuse, vaste et complexe concept qui n’a pas fini encore d’être déterminé. Sur toutes les questions économiques, sociales et politiques, l’Eglise évolue aussi, se situant souvent comme vous le rappelez en citant sa doctrine sociale à la pointe du mouvement. Sur les questions écologiques, de croissance et de développement humain, l’Eglise se meut et propose au reste du monde des solutions.

JOL Press : L’enseignement de l’Eglise est-il justement intemporel ou peut-il répondre à des questions précises de son temps ?
 

Jacques de Guillebon : On dira que c’est justement parce qu’il est intemporel, notamment sur sa vision de l’humanité comme relations d’amour, que cet enseignement peut éclairer le temps, en lui rappelant ce qu’il a oublié et qu’il est des choses qui ne changent pas.

JOL Press : L’Eglise a-t-elle vocation d’être comprise de tous ? Quelle est sa place dans la modernité ?
 

Jacques de Guillebon : Si l’on en croit le Christ lui-même, l’Eglise n’a pas vocation à être comprise par tous, elle serait plutôt ferment de division : mais il faut comprendre cette division comme intérieure, c’est-à-dire comme un arrachement douloureux du mal qui subsiste en chaque être humain. Et pourtant l’Eglise s’adresse à tous, elle est même la seule à le faire, au pauvre comme au riche, au Blanc comme au Noir, au bien-portant comme au malade, à l’athlète comme au handicapé, au génie comme au faible d’esprit. Sa place dans la modernité est la même que dans toutes les autres époques, celle d’une mère qui soigne, guide, apaise, guérit et montre.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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