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La mine de Cerro Rico: voyage au cœur de l’enfer

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« Aucun homme sur cette montagne ne veut que ses enfants viennent travailler ici », déclare Pablo Choque, alors qu’il se prépare pour son tour de travail en tant que foreur.

« La montagne qui mange les hommes »

Au-dessus de nous se dresse, à près de 4 800 mètres d’altitude, Cerro Rico – littéralement la « montagne riche » –  la plus grande mine d’argent jamais connue. Mais les locaux lui donnent un autre nom : « la montagne qui mange les hommes ».

À son apogée au 17ème siècle, des armées d’esclaves indigènes et africains sont morts ici, alors que le minerai qu’ils extrayaient contribuait à maintenir l’empire espagnol. Quatre siècles plus tard, des milliers d’hommes comme Pablo Choque continuent à risquer leur vie dans les entrailles du Cerro Rico, où ils cherchent les derniers gisements d’argent, de zinc et d’étain.

Pas de statistiques officielles sur la mortalité

Les mineurs déclarent rarement les accidents du travail au ministère, et il n’y a pas de statistiques complètes officielles sur la mortalité. Mais les récits sur les accidents mortels sont partout. Le journal local est une bonne source pour comprendre l’horreur : « Une détonation pulvérise le corps d’un mineur en morceaux » ; « Un mineur de 14 ans meurt après une chute de 60 mètres », pouvait-on lire dans deux récents titres.

Selon Felipe Calizaya, un professeur bolivien d’ingénierie minière à l’Université de l’Utah, il y a peu de doute que la montagne reste l’un des endroits les plus meurtriers dans le monde pour un mineur. « Les procédures de sécurité les plus simples n’existent pas à Cerro Rico », a-t-il déclaré à GlobalPost.

La silicose tue les mineurs avant leurs 40 ans

Alors que beaucoup meurent d’accidents, la première cause de mortalité provient de la silicose, une maladie pulmonaire causée par l’inhalation de particules de roche. Le décompte commence le jour où un mineur entre pour la première fois dans la montagne. La maladie tue la plupart des mineurs avant qu’ils n’atteignent 40 ans, affirme Felipe Calizaya.

Les problèmes respiratoires sont aggravés par des températures supérieures à 32°C à l’intérieur de la montagne. Les mineurs, lorsqu’ils ressortent trempés de sueur à la fin de leur tour, affrontent ensuite l’air froid des montagnes.

Le travail de Pablo Choque comme foreur est le plus périlleux. Le risque d’éboulements, de chutes de pierres, et d’être projeté en arrière lorsque la perceuse rencontre une roche dure est important.

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Seuls les foreurs portent des masques, qui les empêchent de bien respirer

Mais le pire de tout, c’est la poussière qui provoque la silicose. « Vous ne pouvez pas voir votre main », raconte Pablo Choque, 33 ans. « Il faut porter un masque. Forer sans un masque, même pendant une minute, serait impossible, mais vous pouvez à peine respirer lorsque vous en portez un ».

Dans une mine moderne, cette poussière est en grande partie évitée par un flux continu d’eau dirigé dans la pointe du foret. Mais pas ici. Au lieu de cela, la poussière dérive vers le bas de la mine, où des concentrations plus faibles mais non moins mortelles sont respirées par les autres mineurs. Seuls les foreurs portent des masques.

Il n’existe pas non plus de détecteurs de gaz, d’études géologiques, d’ingénieurs des mines, ou toute autre tentative de réguler les tunnels, dont beaucoup font plus d’un kilomètre de long, et qui font ressembler Cerro Rico à un fromage suisse croulant, dont le sommet commence déjà à s’effondrer.

Les seules mesures de sécurité, relativement récentes, sont les casques à 10 dollars que les mineurs portent, et les tuyaux qui envoient périodiquement de l’air frais le long des passages principaux – mais pas dans les nombreux passages minuscules qui s’étendent comme des branches d’arbres, et où l’exploitation minière est aussi intense.

Les femmes ne sont pas autorisées ici. Les mineurs pensent qu’elles portent malheur.

Au cœur de la mine meurtrière

Nous entrons dans le Cerro Rico à travers une entaille étroite sur le flanc de la montagne, à une altitude d’environ 4 400 mètres – ce qui équivaut au sommet du mont Whitney, le plus haut sommet de la partie continentale des États-Unis.

Alors que les dernières lueurs du jour s’éteignent derrière nous, l’air humide commence progressivement à se réchauffer, et le plafond se rapproche lentement du sol, qui est trempé jusqu’à hauteur de la cheville.

Après cinq minutes de descente constante, l’étroit tunnel débouche dans une pièce de la taille d’une petite chambre, où se trouve un sanctuaire dédié à Tio Jorge – « Oncle George » – la divinité diabolique qui contrôle cet univers souterrain. Julio, mon guide, s’arrête brièvement pour faire une offrande à l’oncle, une sorte de mannequin d’argile, assis les jambes croisées sur le sol.

D’abord, il arrose les feuilles de coca sur la poitrine de la statue, puis il allume une cigarette et l’enfonce dans sa bouche. Enfin, il répand un peu de vin au pied de la statue. George est mieux traité que la plupart des mineurs.

Une étagère au-dessus de la tête de l’oncle est couverte de bouteilles vides de puro, un alcool à friction. Comme c’est le moyen le moins cher pour être complètement ivre, le puro est la boisson privilégiée par les mineurs.

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La boue monte jusqu’à nos tibias

Nous reprenons notre périple dans la mine pendant ce qui semble être une éternité, les pieds dans l’eau, grimpant et rampant. La boue monte jusqu’à nos tibias et le plafond se trouve maintenant à un mètre seulement du sol.

Comme nous marchons, nous nous heurtons à plusieurs mineurs qui se rendent dans la direction opposée. Ils travaillent tous et nous saluent rapidement, comme si aucune seconde passée sous terre – loin de leur vie et de leurs proches qui les attendent à l’extérieur – ne devait être gâchée à faire autre chose que travailler.

Nous passons sous plusieurs poutres qui, soi-disant, soutiennent le plafond de la mine – mais qui fléchissent sous le poids de la roche qui s’effondre. La mine semble assourdir le son, et le silence n’est troublé que par le bruit des gouttes d’eau et, de temps en temps, le grondement lointain et inquiétant des éboulements. Quand on éteint nos lampes frontales, l’obscurité est totale.

Au bout de 500 mètres environ, l’air tiède devient moite, et il est maintenant visiblement chargé de poussières de silice fine – qui fait tousser lorsque vous la respirez.

Finalement, nous arrivons à une bifurcation dans le tunnel, où quelques mineurs prennent une gorgée de soda pendant qu’ils préparent des bâtons de dynamite pour ouvrir de nouveaux tunnels. Alors que nous bavardons, ils pointent du doigt un petit trou dans le côté du tunnel, à peine assez large pour qu’un homme puisse se faufiler ; de l’autre côté, un chemin pentu – une sorte de descente aux enfers –  qui mène vers un autre gisement d’argent.

« Si vous ne le voyez pas, le danger n’existe pas »

Un mois plus tôt, le groupe me raconte que deux adolescents sont morts à cet endroit, intoxiqués à cause du monoxyde de carbone. Personne ne veut dire du mal des morts, mais il semble que les deux jeunes ont peut-être tenté de voler les outils d’autres mineurs.

« Ils sont comme ça, les jeunes », raconte un vieux de la vieille, une énorme liasse de feuilles de coca coincée dans sa joue. « Ils pensent que si vous ne le voyez pas, le danger n’existe pas ».

Ni le ministère du Travail, ni le COMIBOL – l’agence nationale des mines qui loue des concessions à plus de 30 coopératives minières regroupant quelque 15 000 mineurs sur le Cerro Rico – ne tentent de faire respecter les lois sur la santé et sur la sécurité, disent les travailleurs.

Quand je demande à plusieurs mineurs qui est en charge de la sécurité, ils sont déconcertés. « Chacun est responsable », raconte l’un. « C’est votre vie, alors pourquoi voulez-vous compter sur quelqu’un d’autre ? ».

« En bas, c’est le Far West »

Les dangers sont aggravés par la concurrence acharnée entre les mineurs. Quand une coopérative trouve un gisement important, les coopératives voisines tentent de creuser leur chemin aussi vite que possible.

Plusieurs mineurs me racontent les luttes à l’intérieur de la montagne, certaines impliquant de la dynamite. D’autres parlent de mineurs creusant vers le sommet croulant du Cerro Rico, désormais officiellement interdit en raison du risque d’effondrement. « En surface, tout le monde se comporte bien », dit un mineur. « Mais en bas, c’est le Far West ».

Toute l’économie locale repose sur l’exploitation de la mine

Pour vivre, Pablo Choque gagne une moyenne de 1 500 bolivianos (environ 220 dollars) par mois, en fonction de la quantité d’argent que lui et ses compagnons trouvent dans la mine. Il dit qu’il va continuer à forer pendant cinq ans, jusqu’à ce qu’il ait acheté une maison pour sa femme et ses trois enfants. « Le temps nous le dira », répond-il quand je lui demande ce qu’il va faire à la place de l’exploitation minière.

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Le problème pour lui et pour les 240 000 autres habitants de Potosi, la ville juste en-dessous de Cerro Rico, c’est que toute l’économie locale repose sur l’exploitation minière. Au cours de l’empire espagnol, Potosi était l’une des villes les plus riches du monde. On raconte qu’un pont de Cerro Rico à Madrid aurait pu être construit avec tout l’argent de la mine.

Mais maintenant, Potosi, avec ses magnifiques haciendas coloniales, ses églises et sa menthe royale, est en difficulté. En 2010, toute la ville a entamé une grève de trois semaines, exigeant de nouvelles industries qui offrent aux générations futures une alternative à l’exploitation minière. Mais le gouvernement n’a fait aucune promesse.

« Je connaissais la silicose. Mais ma famille devait manger »

Dans une cour délabrée de la ville, appartenant à une association de mineurs, je tombe sur une « espèce rare » : un vieil ex-mineur. Juan Cuiza, 67 ans, me lance dans un jargon à peine audible : « Bien sûr, je connaissais la silicose. Mais ma famille devait manger ».

Les médecins lui ont dit qu’il avait perdu 60 % de sa capacité pulmonaire – ces 60 % sont partis à Cerro Rico, à 4 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. « Les hôpitaux publics ne servent à rien », dit-il, et il ne peut pas se permettre de médecine privée. Au lieu de cela, sa femme le soigne avec du miel et des infusions d’herbes qu’elle cueille dans les montagnes environnantes.

« Fais le travail que tu veux, mais ne descend pas dans la mine. C’est trop de souffrance », dit-il, quand je lui demande quels conseils il donnerait à un jeune homme envisageant de travailler dans le Cerro Rico.

Pendant mon dernier jour à Potosi, au petit déjeuner, un mineur me raconte un autre accident mortel, juste la veille de mon propre voyage dans la mine. Ricardo Manrique, 36 ans, est décédé après avoir chuté de plus de 30 mètres après que la corde, dont il se servait pour monter un tunnel, a cassé. Il laisse derrière lui sa femme, ses deux fils et quatre filles, l’aîné de ses enfants ayant seulement 11 ans.

« Ce qui me chagrine le plus, ce sont ses enfants », m’a dit le mineur avec lassitude en buvant son café. « Ses fils sont orphelins maintenant et se rendront dans les mines dans peu de temps ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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