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Le concept de salle d’injection: la Suisse, pionnière

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En 2011, 10% des jeunes de 15-16 ans déclarent avoir déjà consommé au moins un produit psychoactif illicite autre que le cannabis (amphétamines, cocaïne, crack, ecstasy, LSD, héroïne ou GHB), soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Les salles de shoot, de Pierre Chappard et Jean-Pierre Couteron revient sur toutes ces années où les usagers de drogues illicites ont été les boucs émissaires d’une « politique démagogique ».

Écrit à quatre mains par un usager de drogues activiste et un professionnel des addictions, il montre comment les salles de consommation s’inscrivent dans une politique au service de la santé de tous et au service de la citoyenneté partagée. Il est aussi un cri d’espoir, et un appel pour une politique des drogues plus humaine et plus efficace.

Extraits de Les salles de shoot, de Pierre Chappard et Jean-Pierre Couteron (La Découverte)

En Suisse, un changement se produit durant les années 1980 dans les villes alémaniques. Une controverse politique et culturelle suscite des campagnes en faveur de centres autonomes de jeunesse[1]  et la solidarité se développe avec les groupes marginaux comme les usagers de drogues. Avec l’aide de l’Office fédéral de la santé publique, des services d’aide à haut seuil de tolérance sont installés dans les scènes ouvertes des villes de Zurich, Berne, Olten, Soleure, au nom de la prévention du sida.

En 1986, à proximité de celle de Berne – située devant le Parlement fédéral de la capitale administrative de la Suisse –, des professionnels créent un café à l’intérieur d’un centre de santé géré par le gouvernement. Point de rencontre pour des usagers de drogues exclus des autres lieux de convivialité et de soin, il offre des boissons, des repas et des préservatifs, avec des travailleurs sociaux disponibles pour du counseling, de l’orientation et de la protection sociale. Cette ouverture entraîne une réduction du nombre d’usagers présents sur la scène ouverte et les nuisances qui en résultent. Les usagers commencent à s’injecter leur produit sur place, ce qui est toléré par les travailleurs sociaux. Ils y voient une opportunité de prendre en compte et tenter de modifier les comportements à risque associés à l’injection. Cette attitude accentue l’attrait du lieu. Beaucoup d’usagers préfèrent ce lieu à la rue. Cette possibilité, longtemps gardée secrète, devient publique.

En 1988, après des négociations avec la police et les responsables politiques locaux, le café continue ses opérations en tant que salle d’injection supervisée, à la condition que les mineurs ne soient pas admis et que le trafic de drogues n’ait pas lieu dans le local.

Le concept de salle d’injection supervisée est ainsi né de la rencontre entre les besoins des usagers, et une attention négociée d’acteurs du soin et de la sécurité publique. Le nouveau dispositif est encadré par des professionnels et soutenu par les institutions telles que la police et les collectivités locales ; il permet aux usagers de consommer des drogues acquises à l’extérieur dans des conditions d’hygiène et de sécurité acceptables, tout en préservant la tranquillité et la sécurité des habitants du quartier. Le fonctionnement est réglementé. Les mineurs sont exclus et le deal prohibé. Les usagers doivent respecter des mesures d’hygiène et de sécurité. Le personnel socio-sanitaire, qui ne peut en aucun cas aider à l’administration des substances, est là pour orienter, conseiller, créer du lien, observer les pratiques et intervenir en cas de nécessité, notamment face à des comportements potentiellement délétères et pour prévenir les mauvaises pratiques susceptibles d’entraîner une contamination par les virus du sida, de l’hépatite C, etc. Pour que le dispositif soit bien intégré dans la ville, un travail d’explication avec les habitants est mené. Enfin, il est un maillon d’un dispositif plus vaste de services aux usagers.

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[1] Lieux et Mouvement de jeunes en quête de culture et de politique alternatives, commencés après la dissolution violente d’une manifestation de quelques centaines de jeunes, qui sous le slogan « Nous sommes les cadavres de la culture urbaine » protestaient contre un crédit de 60 millions de francs pour l’opéra de Zurich. En quelques jours, le mouvement est passé de quelques centaines de personnes à plusieurs milliers. D’abord à Zurich, puis à Berne, à Bâle, à Lausanne et dans d’autres villes. Au point le plus fort, plus de 10 000 personnes étaient dans la rue à Zurich.

Pierre Chappard a été président d’Act Up-Paris de 2009 à 2011, il est actuellement président de PsychoACTIF, et coordinateur du Réseau français de réduction des risques. Jean-Pierre Couteron est psychologue clinicien et président de la Fédération Addiction.

Les salles de shootLa Découverte (14 mars 2013)

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